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Décès du pédiatre Philippe Dehaene, spécialiste du syndrome d’alcoolisme foetal

Décès du pédiatre Philippe Dehaene, spécialiste du syndrome d’alcoolisme foetal

Le pédiatre Philippe Dehaene est décédé le 9 décembre 2022, à l’âge de 94 ans. Il avait consacré quarante ans de sa carrière à faire reconnaître en France le syndrome d’alcoolisme fœtal (SAF), première cause de handicap mental et d’inadaptation sociale non génétique. Il est également engagé dans la prévention de ce trouble neurodéveloppemental, lié à la consommation d’alcool de la mère pendant la grossesse.

« Mon aventure a commencé en 1973 », raconte-t-il dans une vidéo réalisée en 2018 par l’association SAF France. Le pédiatre, basé à Roubaix (Nord), assiste à une réunion avec des collègues. ” On nous présente une observation américaine concernant une nouvelle malformation chez des enfants nés de femmes qui ont été alcooliques pendant la grossesse., il décrit. Ces enfants se ressemblent tous, avec un visage caractérisé par un petit périmètre crânien, des yeux étroits, un nez épaté, une absence de gouttière entre la base du nez et la lèvre supérieure, un menton effacé…

Pour lui, l’annonce de cette découverte américaine est un “événement extraordinaire” il a confié. ” Ce type d’enfant, je le rencontre constamment à la crèche où j’exerce une partie de mes activités. » Ce sera pour lui le déclic qui déclenchera son engagement dans la lutte contre ce fléau. Le déni était alors collectif. « Les médecins, même les grands médecins, considéraient que l’alcool n’était absolument pas dangereux pendant la grossesse. » Un pédiatre nantais, Paul Lemoine, qui avait identifié ces troubles vers 1968, avait prêché dans le désert.

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Philippe Dehaene est convaincu de la réalité du problème. A Roubaix, il ouvre une consultation consacrée aux femmes alcooliques ayant déjà accouché d’enfants malformés. « J’aurai la satisfaction de voir des femmes renoncer à toute boisson alcoolisée durant leur grossesse. “, il expliqua. Après avoir observé trois enfants atteints d’une même famille, il verra ” naître enfin un enfant tout à fait normal », exempt de tout dommage cérébral. Un premier succès qui le marquera.

maladie évitable

L’intérêt pour ce problème ne lâchera jamais prise. “Il va en faire le combat d’une vie, avec une vraie bouffée d’air frais. Jusqu’à la fin, il est resté préoccupé par le sujet », tdéclare David Germanaud, neuropédiatre et neuroscientifique au Centre de recherche NeuroSpin du CEA à Saclay (Essonne). Au cours des décennies suivantes, les actions de lutte contre l’alcoolisme foetal se multiplient dans la région Nord-Pas-de-Calais. « sous l’impulsion de Philippe Dehaene et de ses collaborateurs »racontent Thierry Fillaut, historien, et Juliette Hontebeyrie et Florence Douguet, sociologues, dans la revue Psychotropes. Ce travail conduira aux premières mesures de prévalence du syndrome d’alcoolisme foetal dans les maternités de Roubaix ».

La maladie, en réalité, est tout à fait évitable. « Quarante ans plus tard, nous sommes toujours confrontés à l’alcoolisme foetal, aux enfants handicapés, se lamentait le docteur Dehaene. Beaucoup de ces enfants ne sont pas diagnostiqués. » Le plus important, selon lui, restait l’information des femmes. Depuis 2007, un logo représentant une femme enceinte dans un cercle rouge barré doit apparaître sur toute bouteille d’alcool. Mais “le lobby des alcools l’a rendu minuscule”, regrette le neuroscientifique Stanislas Dehaene, son fils, professeur au Collège de France et directeur de NeuroSpin. ” Philippe Dehaene était conscient des progrès réalisés depuis les années 1970, mais il estimait qu’en matière de santé publique, on pouvait faire beaucoup mieux.ajoute David Germanaud.

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Le pédiatre abordera également la recherche. Il collaborera avec une scientifique américaine de renom, Ann Streissguth. Leurs travaux permettront d’étayer les effets de l’alcoolisme fœtal et permettront d’en préciser la fréquence : près d’une naissance vivante sur 100. Plus tard, on découvrira qu’à côté du véritable SAF, dû à l’exposition du fœtus à de fortes doses d’alcool, il existe des formes plus discrètes, sans malformations mais responsables de difficultés d’apprentissage, d’échec scolaire, de troubles des conduites, d’addictions à l’adolescence.

Philippe Dehaene a fait école. « Il a formé une génération de médecins, il était un fil rouge dit David Germanaud. Il est aussi l’auteur d’un « Que sais-je ? », Grossesse et alcool (PUF, 1995). L’association SAF France a rendu hommage à « ce grand médecin humaniste, qui a eu le courage d’agir concrètement pour l’égalité des chances ».

Philippe Dehaene en quelques dates

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