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tête et queue d’un concept ambigu et controversé – La santé mentale en période difficile

tête et queue d’un concept ambigu et controversé – La santé mentale en période difficile

2014-10-21 16:41:05

Le terme d’exclusion sociale est devenu omniprésent dans le monde d’aujourd’hui, d’autant plus dans un contexte de forte augmentation des inégalités. Il s’agit sans aucun doute d’un concept visuel, évocateur, mais, comme nous le verrons dans la deuxième partie de cet article, il peut être questionné pour être ambigu, mou, peu analytique et à fort contenu métaphorique. Il a également été critiqué pour être un pseudo-concept qui cache la dureté de réalités telles que la domination, l’exploitation et la lutte des classes, car il met un voile sur les vrais problèmes politiques et sociaux. Dans ce sens, l’exclusion sociale est un terme confortable qui fait déjà partie du langage usuel des instances officielles. De plus, ce sont souvent les institutions financières et bancaires qui mènent les programmes de lutte contre l’exclusion sociale.

Classiquement, lorsqu’on se réfère au problème des défavorisés, le concept utilisé est celui de la pauvreté. Ce sera fondamentalement après la parution du livre “Les exclus, un Français sur dix” de L’abbé René Lenoir en 1974 que le terme d’exclusion sociale prendra écho.

Le livre de L’Abbé Lenoir a un grand retentissement car il met en lumière et dénonce que malgré des années de progrès économique et social (ce qu’en France, du nom de l’économiste Jean Fourestier, on appelle les 30 glorieuses) il y a encore un pourcentage non négligeable de personnes qui continuent d’être pareil ou pire qu’avant et que donc les mécanismes de redistribution des richesses doivent être revus.

Comme Subirats le souligne en même temps et pour faire référence au même problème, le concept d’underclass (infraclasse) est apparu aux USA. Cependant, surtout à partir des années 1990, le concept d’exclusion sociale a acquis une énorme résonance, qui n’a cessé de croître depuis, donnant naissance à ce qui est considéré non seulement comme un nouveau paradigme, mais aussi comme l’un des paradigmes dominants dans les sciences sociales.

Le succès du concept serait lié à la perspective positive avec laquelle notre société considère le respect des droits de l’homme comme essentiel et l’exclusion serait intolérable de ces valeurs d’égalité et de progrès. Un autre aspect positif du terme d’exclusion sociale est qu’il va au-delà du concept classique de pauvreté, en l’étendant au-delà des aspects purement économiques. Comme le souligne Franzé, le concept est lié aux difficultés d’accès au marché du travail, à la santé, à l’éducation, aux réseaux sociaux, au logement, à la culture, aux services sociaux et au plein exercice des droits : c’est une accumulation de handicaps. Il est considéré comme une métaphore spatiale de la ségrégation dans les sociétés urbaines.

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L’une des raisons pertinentes du succès du concept tient, comme le souligne Franzé, au fait qu’il a été adapté dans la terminologie officielle des principales organisations internationales (ONU, OMS…), ainsi qu’au fait qu’il s’inscrit dans les programmes d’action des organisations publiques, ce qui lui confère un grand pouvoir de légitimité. Par exemple, le Parlement européen en a tenu compte dans ses résolutions, notamment dans la résolution de 2003. Aujourd’hui, il est presque étrange de trouver des rapports officiels, des documents de fonctionnaires ou des textes universitaires qui n’utilisent pas le terme d’exclusion sociale. Même les mairies, les conseils, les gouvernements régionaux, etc. sont rares. qui se vantent de ne pas avoir un tout nouveau programme contre l’exclusion sociale. De plus, comme nous l’avons souligné, paradoxalement, ce sont souvent les institutions financières et bancaires qui mènent les programmes de lutte contre l’exclusion sociale.

À tout ce qui a été dit, il faut ajouter un aspect qui, à mon avis, comme je l’ai écrit dans des travaux antérieurs sur ce sujet, a beaucoup contribué au succès du concept et c’est que le terme d’exclusion a aussi une grande force psychologique puisqu’il est associé à l’idée d’abandon, très importante au niveau affectif puisqu’elle constitue une peur fondamentale de tous les êtres humains. L’exclusion est un terme très chargé émotionnellement, proche de ce point de vue des termes utilisés dans le langage publicitaire, termes qui interpellent rapidement sur le plan affectif.

Le contexte actuel de la société de la connaissance, de grands changements technologiques associés à une forte augmentation des inégalités, expose les individus et les groupes vulnérables à un risque d’exclusion. A cela s’ajoute l’affaiblissement des réseaux familiaux que l’on observe dans les sociétés avancées. De plus, comme le souligne Beck, désormais les problèmes n’affectent plus seulement un certain groupe social, classiquement lié à la pauvreté, mais peuvent toucher n’importe quel groupe. Dans cette ligne se situent les approches de la crise ou de la disparition des classes moyennes dans la société actuelle. Aujourd’hui, tous les groupes sociaux sont menacés. C’est la société du risque. Dans une étude réalisée en France en 2005 par Emmaüs, on constatait que près de la moitié des Français exprimaient la peur d’être condamnés à être un jour exclus, sans-abri

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QUALIFICATIONS ET CRITIQUES DU CONCEPT D’EXCLUSION SOCIALE

Comme le souligne très graphiquement Alain Touraine, montrant la force visuelle du concept d’exclusion sociale, avant, des relations sociales s’établissaient entre ceux d’en haut et ceux d’en bas. Maintenant, entre ceux à l’intérieur et ceux à l’extérieur du système.

Mais le concept d’exclusion sociale, bien qu’il soit si graphique, fait aussi l’objet de nuances et de critiques, de différents points de vue, et de différentes profondeurs.Comme le souligne Damon, le fait que le terme soit intrinsèquement ambigu (exclusion de quoi, par qui…) et avec une composante métaphorique, évocatrice, est en fait l’une des raisons qui ont favorisé son succès. Ses contours sont vagues, on ne sait pas très bien de quoi on parle. Chaque personne qui parle d’exclusion a sa propre image du concept. Mais tout le monde l’utilise.

Il est évident que l’exclusion signifie être en dehors, mais il n’est pas si évident que ces personnes soient réellement en dehors du système puisqu’il n’y a pas de catégories de populations ou de territoires radicalement séparés du reste de la société. Comme le souligne R. Castel dans son ouvrage bien connu « Les pièges de l’exclusion », les exclus participent pleinement aux rapports de domination et d’inégalité, ils ne sont pas en dehors de la dynamique sociale, puisque la société incluse les a bien en tête pour les exploiter ou les inciter à consommer, et les exclus ont bien en tête la société qui les marginalise dans leurs comportements. En réalité, les exclus constituent une partie très importante du tissu social, ils contribuent même à légitimer le système social, puisque le fait que ces exclus en général ne votent pas, qu’ils soient en dehors des organisations contestataires, permet le maintien du statu quo actuel, le maintien du système des partis politiques dominants au pouvoir.

Castel se méfie du terme d’exclusion parce qu’il considère qu’il est devenu un concept mou et non analytique et il propose qu’il ne soit utilisé que pour désigner des groupes physiquement séparés de la société (mais pas radicalement séparés), dans des espaces clos, comme les prisonniers ou les pensionnaires des hôpitaux psychiatriques. D’autres critiques plus radicaux comme J Freund soulignent qu’il s’agit d’un terme consacré par la médiocrité des modes intellectuelles et universitaires, un pseudo-concept qui cache des concepts beaucoup plus durs comme la domination, l’exploitation et la lutte des classes, car il met un voile sur les vrais problèmes politiques et sociaux.

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Il est également souligné que ces situations d’exclusion sont très diverses et changeantes et concernent un large éventail de personnes, elles sont très hétérogènes. Les exclusions sont multiples : économique, culturelle, ouvrière… Comme le rappelle Fretigné, l’exclusion est comme une hydre à plusieurs têtes. D’autres approches soulignent que toutes les sociétés génèrent de l’exclusion, dans tout type de système social. Ils peuvent changer les critères d’exclusion, les idéologies qui les soutiennent mais pas l’existence de l’exclusion. C’est la théorie du bouc émissaire de R. Girard. De plus, on considère que l’existence d’exclus, qu’il existe quelqu’un de différent, d’étrange… a même une fonction de liaison, d’union avec le reste de la société.

Pour Damon, il serait plus précis d’introduire une troisième catégorie entre les exclus et les inclus : la catégorie des vulnérables, ceux menacés d’exclusion. Il est plus réaliste de proposer un continuum de situations, plutôt que d’essayer de séparer artificiellement la société en deux groupes. Il y a un danger dans les discours actuels sur l’exclusion de la dé-réification du concept. Le concept d’exclusion doit être compris de manière relationnelle et non substantielle. Le concept d’exclusion n’étant pas un concept bien défini, il est métaphorique, les mesures de l’exclusion sociale sont toujours imparfaites, incomplètes, insatisfaisantes,

En tout cas, comme le souligne Damon, malgré le fait que le concept a des limites évidentes pour décrire la réalité, il est aussi utile compte tenu de sa capacité communicative par rapport à certaines situations, et il est légitime de se demander s’il ne faut pas le sacrifier sur l’autel de la pureté sémantique. A mon avis, il s’agirait fondamentalement d’être plus critique avec son utilisation, en gardant toujours à l’esprit le contexte dans lequel il est utilisé, tout en étant très attentif à ne pas se laisser séduire par sa grande force métaphorique.

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