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Prévention bucco-dentaire: quelles actions prioritaires en France?

Prévention bucco-dentaire: quelles actions prioritaires en France?

«Sans-dents.» L’expression avait fait grand bruit lorsqu’il y a dix ans, Valérie Trierweiler rapportait l’avoir entendue de la bouche de son président et ex-mari François Hollande pour parler des pauvres. De fait, cette traduction littérale de l’anglais “édenté”qui au figuré signifie «pauvre, sans pouvoir, sans influence», dit bien ce qu’elle veut dire: les catégories les plus pauvres sont, faute de moyens, écartées de la plupart des soins en santé bucco-dentaire. Elles sont aussi parmi celles qui souffrent le plus de l’absence d’une réelle politique de prévention dans le domaine.

Une prévention bucco-dentaire insuffisante

Alors même, comme le rappelle l’OMSquoi «les maladies et affections bucco-dentaires, pourtant en grande partie évitables, sont à l’origine d’une importante charge de morbidité dans de nombreux pays et font ressentir leurs effets tout au long de la vie, en provoquant une gêne, des douleurs, des préjudices esthétiques, voire la mort»la France n’a pas de stratégie sur la santé bucco-dentaire.

Comme le déplorait, en novembre 2023France Assos Santé: «Le volet préventif est absent de la stratégie des autorités de santé, l’accès aux soins bucco-dentaires étant principalement abordé sous un angle financier via le 100% santé». La prévention et les soins conservateurs sont encore trop mis de côté au profit des soins prothétiques.» Corroborant l’idée que les soins dentaires restent en Occident archaïques, enfermés dans un modèle techno-centré et administrés tardivement, l’association ajoutait également: «Insister sur la prévention, c’est éviter des dizaines de milliers de pathologies par an, mais aussi des coûts élevés pour les finances publiques et les personnes prises en charge plus précocement.»

Ajoutons que nombre de soins bucco-dentaires dits «avancés», tels que l’implantologie ou le surfaçage radiculaire en cas de pathologie parodontales, ne sont pas pris en charge par l’Assurance-maladie alors même qu’ils sont extrêmement coûteux.

Force est de reconnaître qu’aujourd’hui, la prévention bucco-dentaire est un angle mort des politiques de santé publique, et que les messages qui passent au sein de la population ne correspondent pas aux données de la science. En effet, si l’on vous dit «prévention bucco-dentaire», vous allez probablement penser «détartrage et visites régulières chez le dentiste». Pourtant, leur efficacité n’a pas été, aujourd’hui, démontrée.

Alors, qu’est ce qui fonctionne? D’abord le brossage des dents, deux fois par jour, avec un dentifrice au fluor et sans se rincer la bouche en fin de brossagec’est-à-dire en se contentant juste de recracher le surplus de dentifrice, pour garder plus longtemps le fluor.

Vous êtes surpris? C’est normal. Le message habituel, du moins lorsqu’il est diffusé, repose surtout sur la durée du brossage et sa fréquence, voire le type de brosse à dents, électrique ou classique, et non sur les modalités pratiques.

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Pourquoi ne pas rembourser le dentifrice et les brosses à dents?

Outre le fait que c’est une habitude –un peu fastidieuse, diront certains– à prendre dès la petite enfance pour toute la vie, encore faudrait-il qu’elle fasse l’objet d’une large communication publique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ensuite, il faudrait s’assurer que chacun ait accès à une brosse à dents personnelle (aucune donnée scientifique ne recommande un type de brosse à dents par rapport à un autre) et à du dentifrice.

Dans son quatrième baromètre «Hygiène et précarité en France» réalisé par l’IFOP, l’association Dons solidaires note que par manque de moyens, 12% des Français ont déjà dû renoncer à l’achat d’une brosse à dents et 10% à du dentifrice. Certes, cela ne semble pas être des produits de luxe, mais dans un contexte où 22% des Français ont déjà dû choisir entre acheter de la nourriture et des produits d’hygiène, il serait plus que bénéfique de mettre en place un système de remboursement, voire de gratuité, pour ces outils de prévention bucco-dentaires simples que sont le dentifrice au fluor et la brosse à dents, notamment à l’égard des 18-24 ans, la tranche d’âge la plus affectée par la précarité hygiénique.

Un accès facilité serait, en outre, un signal fort pour insister sur l’importance et l’efficacité du brossage régulier des dents pour la prévention. Dans d’autres domaines, des outils de prévention dont l’efficacité n’est plus à démontrer, comme les préservatifs, sont aussi rendus accessibles aux plus jeunes en France.

Tabac et alcool, les ennemis de la santé bucco-dentaire

Un second axe de mesures a fait ses preuves en matière de prévention bucco-dentaire –et il rejoint la prévention des maladies cardiovasculaires, métaboliques, neurodégénératives, les maladies mentales et le cancer, la lutte contre le tabagisme et la consommation problématique d’alcool.

Parlons en premier lieu du tabac fumé. Il ne fait en effet pas que noircir ou jaunir les dents et donner mauvaise haleine: il entraîne une dévascularisation des gencives, ce qui les rend plus vulnérables face aux affections parodontales –dont le traitement risque d’être inefficace en raison même du tabagisme. Il est aussi un facteur de risque de cancers ORL.

Ici, on peut se féliciter de politiques publiques qui ont permis de ringardiser la cigarette chez les plus jeunes. Mais, comme pour toutes les autres addictions, on aimerait un meilleur accompagnement des personnes dépendantes, avec des consultations en addictologie plus accessibles à tous et à toutes. Il faudrait aussi recommander explicitement à tous les fumeurs de rapidement préférer, sinon l’abstinence vis-à-vis de la cigarette, au moins les dispositifs de tabac sans combustion. Les patchs, gommes, cigarettes électroniques ou le tabac chauffé ne produisent pas les énormes dégâts de la combustion du tabac sur la santé en général, et la santé bucco-dentaire en particulier.

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On ne peut se contenter de discrets messages: il faut des mesures politiques fortes et ambitieuses.

Parlons ensuite de la lutte contre la consommation problématique d’alcool. On y pense moins quand on évoque la prévention bucco-dentaire, mais l’abus d’alcool est non seulement directement responsable de pathologies des gencives, des caries ainsi que de cancers de la sphère ORL, mais aussi, indirectement, responsable d’accidents ou facteur de traumatismes causant des lésions faciales et bucco-dentaires.

Sur ce volet, on ne peut que déplorer le faible engagement de l’État et mesurer le poids massif des lobbies de la filière en France. C’est quelque chose de particulièrement visible dans le refus du gouvernement de soutenir l’initiative du «Dry January», qui invite ses participants à réfléchir à leur consommation d’alcool et dont l’efficacité à largement été démontrée.

En outre, dans son rapport de juin 2023, l’Association addictions France dénonçait le fait qu’au «détriment de la santé publique, de nombreux sénateurs, députés, ministres et même le président de la République défendent les intérêts privés de l’industrie de l’alcool». L’association ajoute que «ce manque d’ambition en matière de santé publique n’est pas le fruit du hasard. Certes, il est indéniable qu’en matière d’alcool, la France possède un savoir-faire qui génère des emplois sur les territoires. Mais cet élément factuel et historique, que les lobbies de l’alcool enrobent d’un imaginaire culturel et de fausses allégations scientifiques, devient un argument incontournable pour s’opposer à toute proposition de santé pouvant nuire au secteur et à son modèle économique, alors que le chiffre d’affaire de l’industrie provient des consommations excessives, voire pathologiques.»

On ne peut aujourd’hui se contenter de discrets messages «à consommer avec modération», faisant reposer la lutte contre la consommation excessive d’alcool sur la seule responsabilité individuelle: il faut des mesures politiques fortes et ambitieuses. L’Italie pourrait servir d’exemple, car elle dispute à la France la première place de producteur de vins et, malgré les lobbies qui ne doivent pas manquer d’influencer les politiques du pays, la population italienne a une consommation quotidienne 30% inférieure à celle des Français.

On pourrait par exemple chercher à ringardiser la consommation d’alcool, comme on est en train de le faire avec la cigarette auprès des jeunes. On pourrait bien davantage promouvoir les bières sans alcool, les spiritueux sans alcool et sans sucres ajoutés. En bref, il est temps d’agir enfin sur la consommation excessive d’alcool en France, qui reste sur les premières marches de ce triste podium en Europe occidentale.

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Les lobbies de l’agroalimentaire contre la santé bucco-dentaire

Dernier axe de prévention en matière de santé bucco-dentaire: l’adoption d’une alimentation saine et notamment pauvre en sucres ajoutés, c’est-à-dire pauvre en sodas, sucreries, pâtisseries et autres produits issus de la junk food. Là encore, il est bon de promouvoir une nutrition plus saine par des messages comme «mangez cinq fruits et légumes par jour», mais il faudrait mettre en place des politiques plus volontaristes et ambitieuses pour permettre à tous et toutes d’être mieux informés sur les recommandations nutritionnelles, de les rendre plus accessibles, et de les adopter.

On connaît, là aussi, le poids des lobbies: les réticences européennes face au Nutri-Score dénoncées par son créateur, l’épidémiologiste et nutritionniste Serge Hercberg, en sont une très bonne illustration. Mettre en place une «taxe sur les sodas»? Pourquoi pas, mais dans le même temps, il faudrait pouvoir réduire celles sur les produits plus sains afin de permettre aux plus précaires de s’en procurer. Cela ne résoudrait pas pleinement le problème car, comme le disait sur Slate.fr le sociologue Denis Colombi, les plus pauvres, loin d’être ignorants en matière de nutrition, mettent en place «des stratégies permettant de se faire plaisir rapidement et à moindre frais et de tenir dans une vie faite par ailleurs de privations et d’incertitudes».

On le voit, les enjeux de la prévention en matière bucco-dentaire mobilisent de nombreux déterminants de la santé: individuels et comportementaux, médicaux, sociaux, commerciaux, environnementaux, économiques et politiques. Quand on sait que 61% des Français déclarent avoir les gencives qui saignent de temps en temps et 14% à chaque brossage –signe d’une possible maladie parodontale–, il est temps de se retrousser les manches et de cesser de décorreler la santé bucco-dentaire de la santé globale.

Les affections bucco-dentaires sont en effet les affections qui touchent le plus fréquemment l’humanité. La carie et les problèmes parodontaux sont en tête de ce palmarès, et leur prévention se pense et se met en place tout au long de la vie, afin d’éviter d’en souffrir inutilement et d’être contraint d’avoir à vider son porte-monnaie en intervenant trop tardivement.

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2024-03-08 08:45:01

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