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Poutine en Ukraine – un remake de l’invasion américaine de l’Irak ?

Poutine en Ukraine – un remake de l’invasion américaine de l’Irak ?

Le 20 mars marquera le 20e anniversaire de la guerre américano-irakienne. A cette occasion, dans les pages du quotidien français Le Figaro, le spécialiste des relations internationales et professeur à Sciences Po Paris, Guillaume Lagan, analyse les similitudes et les différences entre le conflit irakien et la guerre en Ukraine.

Un État membre du Conseil de sécurité attaquant un pays souverain de 40 millions d’habitants pour renverser son gouvernement, une ONU impuissante, une communauté internationale divisée : l’invasion américaine de l’Irak, qui a débuté le 20 mars 2003, présente de nombreuses similitudes avec la Pour certains analystes, l’affaire est claire : la violation par Washington du droit international a ouvert la voie, voire permis, ce que la Russie est en train de faire. Cependant, les deux guerres ont trois différences notables.

La première différence concerne la légalité de la guerre. Bien sûr, les États-Unis n’ont pas obtenu l’autorisation du Conseil de sécurité pour déclencher le conflit en Irak. Mais, contrairement à la Russie, ils le recherchaient activement. Ils ont également souligné les nombreuses résolutions (17 au total) qui, de la guerre de 1980 et de l’invasion du Koweït en 1990 à 2002, ont sanctionné l’Irak et mis le pays sur la liste des nations bannies dans une situation très éloignée de celle de l’Ukraine.

La dernière résolution, 1441, datée du 8 novembre 2002, exige que l’Irak fasse la lumière sur ses programmes d’armes de destruction massive et menace le pays s’il ne le fait pas de “graves conséquences” à moins d’une “guerre”. Cependant, les Etats-Unis estiment que l’expression « par tous les moyens nécessaires » présente dans la résolution 678 (adoptée en 1990) reste valable et autorise le recours à la force, en cas de rapport négatif des inspecteurs du désarmement. A défaut d’obtenir une résolution en bonne et due forme, Washington, comme la Russie aujourd’hui, a renoncé à son droit à la légitime défense garanti par l’article 51 de la Charte des Nations unies. Mais comme ils n’ont pas été attaqués par l’Irak, les Américains ont fini par invoquer une notion plus floue, non reconnue par le droit international, celle de guerre préventive, arguant qu’il fallait empêcher Bagdad d’obtenir des armes que le régime de Saddam Hussein aurait pu donner groupes terroristes et les a retournés contre les États-Unis.

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Nous savons que ces armes se sont avérées caduques après la fin du conflit. Mais dans le contexte de l’époque, la vraisemblance de leur existence est une croyance assez répandue, y compris parmi les pays opposés à la guerre (Dominique de Villepin, dans son célèbre discours du 14 février 2003, appelait au “désarmement par la paix”). Après tout, l’Irak avait un programme nucléaire dans les années 1970 et dans les années 1980, il a utilisé des armes chimiques contre l’Iran et sa propre population kurde.

La deuxième différence entre la guerre en Irak et la guerre en Ukraine est que la division de la communauté internationale était moins prononcée en 2003 qu’en 2022. Sans le soutien des Nations unies, les États-Unis ont créé une “coalition des volontaires” une cinquantaine de pays dont trois (Australie, Pologne, Royaume-Uni) ont fourni des troupes pour l’invasion et 37 pour l’occupation du pays, dont l’Ukraine. En revanche, on peut noter que la Russie est la seule à opérer sur le territoire ukrainien. Le 23 février, lors du dernier vote à l’Assemblée générale de l’ONU condamnant “l’opération militaire spéciale”, elle était soutenue par six pays (Biélorussie, Corée du Nord, Erythrée, Mali, Nicaragua, Syrie), 32 se sont abstenus et 141 ont condamné l’intervention russe .

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Bien sûr, de nombreux pays se sont opposés à la guerre en Irak. Près de 54 pays ont officiellement protesté contre la campagne américaine, dont les soutiens actuels de la Russie (Chine, Inde), mais aussi la plupart des pays arabes et des pays européens importants comme la France et l’Allemagne, signe d’un clivage majeur dans le camp occidental. Mais aucune résolution de l’Assemblée générale de l’ONU ne condamnait les États-Unis à l’époque. Quant au Conseil de sécurité, un peu plus d’un an après la fin des opérations militaires, avec la résolution 1546 du 8 juin 2004, il a retrouvé son unité en reconnaissant les nouvelles autorités et en organisant la présence américaine en Irak, désormais lointaine perspective concernant l’occupation russe d’une partie de l’Ukraine.

Une dernière différence à noter est que le bilan de la guerre en Irak n’est pas entièrement négatif, du point de vue de Washington. Il est vrai que la guerre en Irak n’a pas permis la démocratisation du Grand Moyen-Orient. Ses détracteurs notent à juste titre que la guerre a coûté la vie à 4 000 Américains et encore plus aux Irakiens (au moins 100 000, peut-être cinq fois plus). L’Irak est devenu un État fragile, partagé entre des communautés chiites et sunnites souvent rivales, des Kurdes désireux de faire sécession et des chrétiens d’Orient tentés par l’exil. La guerre a alimenté le radicalisme sunnite avec l’expansion de l’État islamique, obligeant les États-Unis, partis en 2011, à s’engager dans une nouvelle intervention en 2014. Elle a également facilité la création d’un arc chiite et donné à l’Iran une large influence dans les affaires intérieures de l’Irak. .

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Mais les États-Unis ont reçu certains avantages. L’Irak, réintégré dans la communauté internationale et après être devenu membre de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), a mis fin à tous les programmes de prolifération d’armes chimiques ou nucléaires. Sans Saddam Hussein à la barre, le pays a abandonné la politique de grandeur qui lui avait fait aspirer au Koweït. L’économie irakienne a connu une certaine expansion (en 2022, la production irakienne, deuxième de l’OPEP, est la plus importante depuis 1972). Enfin, aussi corrompu, violent et imparfait soit-il, l’Irak a adopté un régime démocratique marqué par des cycles électoraux réguliers, une rareté dans la région, et la dynamique d’une école chiite plus libérale que celle de l’Iran. On peut également noter que Bagdad, qui s’est abstenu le 2 mars 2022 lors du premier vote à l’Assemblée générale de l’ONU, est passé dans l’autre camp le 23 février 2023 et a condamné la Russie.

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