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Pacifiction est un film transgenre dans tous ses aspects – Francesco Boille

Pacifiction est un film transgenre dans tous ses aspects – Francesco Boille

2023-05-26 16:00:41

26 mai 2023 15:00

Alors que le Festival de Cannes tire à sa fin, deux grands films de Cannes 2022 arrivent en salles. Pacificationest un chef-d’œuvre signé par l’un des réalisateurs les plus originaux et les plus radicaux du cinéma contemporain, l’Espagnol Albert Serra. Mais aussi au film de la nouvelle venue française Emmanuelle Nicot, L’amour selon Dalva, un miracle réussit : un film très délicat sur la pédophilie en famille observé sous un angle inattendu. Et révélant une interprète prodigieuse dans la fille protagoniste.

Dans Pacification nous trouvons un exploit interprétatif. Nous sommes dans le Polynésie française, sur l’île de Tahiti plus précisément, cette île désormais presque mythique tant aimée et peinte par Paul Gauguin qui, au fil du temps, a paradoxalement fini par devenir un stéréotype, un cliché, qui alimente, si l’on reste en surface comme malheureusement arrive souvent, la vision coloniale. Ici, De Roller (Benoît Magimel), haut-commissaire de la république, en tant que représentant de l’État, est bientôt mis au courant par la collectivité, et notamment par le chef indépendantiste ou autonomiste récemment élu, de rumeurs inquiétantes sur la reprise des essais nucléaires qui ne sont plus menées depuis 1995, lorsque le président Chirac les a relancées à la consternation internationale.

De Roller déclare sincèrement qu’il n’en sait rien et n’accorde aucun poids à ces rumeurs, soulignant à juste titre les coûts élevés qui seraient nécessaires pour remettre en service une telle machine. Il s’intéresse plutôt aux angoisses intérieures dont ces voix incontrôlées semblent être l’expression, presque plus la projection dans la réalité d’un inconscient collectif. Des rumeurs qui prolifèrent peut-être aussi en raison d’une insatisfaction sous-jacente généralisée – notamment chez les jeunes (également parce qu'”un tour de l’île est bientôt fait”) – et d’un climat général de paranoïa complotiste qui contamine et imprègne même un endroit éloigné du continent, qui vit dans une circularité sans fin et sans issue et que le film, en quelque sorte, transforme implicitement en sa métaphore et en son paradigme à la fois.

Un film intimiste
On ne voit pas beaucoup de population, plus de dirigeants politiques et administratifs indigènes que de gens ordinaires, mis à part les employés de l’hôtel où réside De Roller et ceux des discothèques et boîtes de nuit, notamment dans les incroyables groupes de danse. Un choix de direction précis, bien que certainement facilité par le fait que lors du tournage l’équipe a dû faire face à la paranoïa suscitée par la très réelle pandémie de covid.

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En fait, Pacification est un film intimiste qui fonctionne entièrement sur une modalité binaire, duale, qui évoque du point de vue d’un microcosme dans le microcosme – la Polynésie et Tahiti – un climat général, voire presque planétaire, de perte de sens des choses, des points de certains référence, de l’incapacité à voir la beauté sous son nez, y compris la savoir faire d’un peuple dans les relations humaines, dans la vie. Un travail sur l’absence d’avenir, d’une vision « au-delà », sur la dissolution de la ligne d’horizon. Un paradoxe pour un film se déroulant sur une île entourée par l’océan Pacifique. Mais en même temps, Pacificationnotamment dans son registre formel, dit aussi le contraire.

On retrouve aussi la représentation, l’évocation de l’imaginaire au sens poétique, comme expression de l’intériorité par l’imaginaire. Ici espace imaginaire, ou espace imaginé, et espace réel se confondent totalement, comme ressenti, perçu, compris comme espace physique par rapport à l’intériorité. Et par conséquent elles donnent aussi naissance à un espace rêvé. Notre imaginaire collectif et ce que chacun de nous imagine ne font qu’un dans ce travail d’exploration sensorielle, à l’état presque statique. Après tout, c’est une île fermée sur elle-même, aussi grande soit-elle. Alors un film de contemplation, pour mieux le fixer ou pour le retrouver.

Dans cette lumière voluptueuse, très appréciée des touristes, les lumières crépusculaires du coucher ou de l’aube se mêlent aux lumières nocturnes et aux néons des discothèques, plongeant le spectateur dans une atmosphère douce, feutrée et feutrée. Unis, voire soudés, dans un même psychédélisme qui devient presque une autre dimension, celle d’un onirique pas loin du surréalisme, compris comme libre révélateur de l’inconscient et de ses archétypes. Cette île est clairement un utérus gigantesque et enveloppant, un ventre maternel traversé, perturbé, par des facteurs extérieurs imprévisibles étrangers à la normalité séculaire.

Procéder par antithèse
Ces facteurs externes sont la paranoïa qui progresse, un virus qui contamine tout le monde, au final même De Roller, un homme de bon pouvoir, mais qui déteste le Parisien, et en même temps vide de sens, qui nous inonde et nous inonde de son coup de gueule narcissique , en forte empathie avec l’île et ses habitants. De Roller est en même temps un politicien mégalomane : il pourrait aussi être, vu ses vêtements, un patron de la mafia en Floride. Mais le fait est que plus le film avance, moins il est certain que la paranoïa se termine et que la réalité commence.

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A l’opposé de cette métaphysique et de cette agitation (ou métaphysique de l’agitation), on retrouve occupant l’espace physique de Tahiti, certainement pas par hasard, la physicalité du corps massif de l’interprète Benoît Magimel, a priori un corps complètement étranger à l’île : un homme blanc dirigeant une population majoritairement indigène. Mais c’est un archétype, et en même temps un stéréotype du machisme, immédiatement contredit dans la pratique. Pour être un homme de pouvoir, son être macho est ouvert, calme, très placide. Il n’est que physiquement macho, d’une manière que nous pourrions définir comme masculine. Mais il accepte sereinement, tout naturellement, la grande attirance qu’il éprouve pour la séduisante trans Shannah, une hôtesse vraiment splendide (Pahoa Mahagafanau, actrice trans et révélation du film) à la fine intelligence qui l’accueille à l’hôtel, antithèse directe de Le personnage de Magimel.

Une antithèse qui devient presque immédiatement complémentaire. Sa conversation avec elle au bureau ou ailleurs, comme dans la discothèque, n’est guère plus qu’un murmure, toujours doux et serein, comme un ruisseau qui coule paisiblement dans la nature. Films de climax, d’ambiances, Pacification c’est aussi une célébration de la beauté de la sensualité, des corps et de la nature. Oscillant toujours entre stéréotype et archétype, entre le faux et le vrai.

Ici du pur et de l’hétéro, entendu au propre comme au figuré, il n’y a que le concept d’hétérogénéité qui semble structurel, congénital.

Bref, Magimel “incarne” ce film extraterrestre et en même temps absolument terrestre, où le corps massif d’un homme devient concave, accueille puis pendant près de la moitié du film enveloppe chacun de sa force tranquille, pas pour autant inactive. En pratique, il est l’incarnation physique de la dimension utérine du film. Un macho comme un utérus. Ou où le macho et l’utérus sont équivalents, deux contraires qui font une chose.

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Pacification c’est beaucoup de choses ensemble. Parmi ceux-ci, il s’agit d’un film transgenre poussé à son maximum. En tant que portail semi-science-fiction vers une nouvelle phase de la nature et de l’espèce humaine, puisqu’en Pacification tout est en osmose malgré les contradictions. En ce sens, la longue séquence nocturne dans le stade désert en pleine nature est tellement suspendue et dérangeante qu’elle évoque une atmosphère extraterrestre attendant presque qu’un vaisseau spatial d’une autre planète glisse à la surface du terrain, rappelant en quelque sorte Rencontres du troisième type par Spielberg. Une ambiance qui se rattache, tant par les thèmes que par la récurrence des ovnis, aux grands réalisateurs du cinéma asiatique, comme le chinois Jia Zhang-ke (Nature morte, Au-delà des montagnes, Les Enfants du Fleuve Jaune) et le réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul (depuis son premier film il y a plus de vingt ans, Objet mystérieux à midisans oublier son dernier long métrage, Mémoire, situé en Colombie et également produit par Jia Zhang-ke). Un cinéma “autre” que celui du réalisateur espagnol Serra qui semble être en contact spirituel avec une manière différente de faire du cinéma et d’autres latitudes, au point de devenir implicitement une manière différente de concevoir la mondialisation.

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Car après tout, en plus de parler beaucoup de la France, de ce qu’elle ne veut pas voir, de ce qu’elle cache, de la question toujours non résolue du postcolonialisme, ce film réalisé en français, mais situé loin du territoire, parle à nous d’un sentiment qui nous enveloppe tous, citoyens du monde, y compris les Italiens. De notre paranoïa, d’être baignés de beauté, d’une lumière voluptueuse, et que dans cette rage et cette agitation insensées nous contribuons à voler notre avenir, que quelqu’un ou quelque chose le projette ou non.

Néanmoins, Serra’s est aussi un film pacifique, et pas seulement parce qu’il se déroule dans l’océan Pacifique. Ou plutôt, un film en quête d’une dimension d’unité entre des contraires, se croisant comme un funambule sur leur crête, comme des surfeurs dans les gigantesques vagues de l’océan. Et pourtant, c’est en même temps un film qui annonce tranquillement, placidement, une énorme catastrophe possible, une apocalypse possible, aussi insensée et idiote qu’elle est secrètement planifiée, sombre, envahissante. C’est absolument indéfinissable, indécidable. Et tant qu’on n’arrive pas à se décider, toujours profondément fascinant.

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