L’intelligence artificielle peut-elle prédire l’heure de votre mort?

Question funeste, s’il en est une. Nous voilà en pleine tragédie shakespearienne. Hamlet confronté au crâne de son oncle assassiné: être ou ne pas être telle est la question!

Moi, je pense que je voudrais connaître l’heure de ma mort. Par curiosité. Mais aussi parce que je me dirais, comme lorsque je faisais des compétitions d’athlétisme, que j’ai une chance de battre mon meilleur temps.

Je dois mourir dans trois ans? Non! Si je fais attention, si je mange bien, si je dors bien, si j’évite le stress, la pollution, les vacances à Gaza et les tueurs en série, je peux vivre encore quatre ans.

Et vous? Voudriez-vous consulter l’Oracle de la Mort?

Si je vous pose la question, c’est que la fiction est en train de rattraper la réalité dans ce domaine. On croyait jadis que seul Dieu tout puissant connaissait le jour et l’heure de notre mort. Mais l’intelligence artificielle est en voie de remplacer Dieu pour ce qui est de prédire la destinée.

Peu avant Noël, un groupe de chercheurs danois et américains en sciences sociales a annoncé avoir développé un modèle révolutionnaire. Un modèle qui permet de prédire, avec une acuité inégalée, des événements dans la vie des gens.

Leurs résultats ont été publiés dans la revue Sciences informatiques de la nature.

Et parmi ses nombreuses capacités de prédiction, ce modèle arrive à déterminer, avec un degré de précision ahurissant de 78%, si une personne va mourir dans les quatre prochaines années. Mieux que tous les autres modèles sur le marché, affirment-ils.

Dieu peut aller se rhabiller. L’intelligence artificielle est en voie de le remplacer.

La particularité du modèle développé par les chercheurs, c’est qu’il est capable d’analyser l’histoire de vie d’une personne pour prédire le genre d’existence qu’il mènera jusqu’à l’heure de sa mort.

Leur découverte nous permet même d’imaginer un monde où on pourra, comme dans le film Rapport minoritaire, prédire les chances qu’un individu commette des crimes de manière à pouvoir agir en amont pour l’en empêcher.

«Nous avons utilisé le modèle pour répondre à cette question fondamentale: dans quelle mesure pouvons-nous prédire le futur sur la base de conditions et d’événements passés?», explique Sune Lehmann, auteur principal de la recherche et professeur à l’Université technique du Danemark.

Les chercheurs ont baptisé leur modèle live2vec. Comment ça marche?

Disons d’abord que l’intelligence artificielle est d’une efficacité redoutable lorsqu’on alimente ses réseaux neuronaux avec des millions de données. Là où un cerveau humain ne percevrait qu’un fouillis indescriptible, l’IA, elle, dégage des tendances, des prédictions…

On a donc alimenté la bête avec les données personnelles extrêmement précises de six millions de Danois : revenus, salaires, type d’emploi, secteur d’activités, nombre de visites chez le médecin, diagnostics médicaux…

Les chercheurs ont ensuite donné des «codes» à tous ces grands événements de la vie. Ainsi, une fracture du bras est représentée par S52; travailler dans un dépanneur, IND4726; une hémorragie post-partum, 072. Et ainsi de suite pour tous les aspects de la vie d’un humain ordinaire.

L’équipe du professeur Lehmann a ensuite lié ces différents événements de la vie sous forme de «phrases».

L’intelligence artificielle arrive ainsi à interpréter les «séquences de vie» de millions de Danois et à en tirer des prédictions.

D’ailleurs, en ce domaine, les prédictions de l’IA ressemblent à celles qu’on peut obtenir en sciences sociales, a expliqué le professeur Lehmann. Un être humain riche et en santé a plus de chances de vivre vieux qu’un être humain pauvre et malade.

Et dans bien des cas, les prédictions de l’IA n’ont rien de sorcier. Si le modèle remarque dans la séquence de vie d’une personne qu’elle est atteinte d’un cancer agressif, il va en arriver aux mêmes conclusions que vous et moi : cette personne a de bonnes chances de mourir d’ici quatre ans.

N’empêche…

On s’est souvent plu à penser que l’existence humaine est trop complexe pour en prédire le dénouement.

Mais ce que les chercheurs viennent de démontrer, c’est que pour un ordinateur ultrapuissant, capable de prendre en considération tous les paramètres de la vie humaine, tout est possible.

Comme Dieu, l’IA a le potentiel d’être omnisciente. J’allais presque dire : l’intelligence artificielle pourrait détenir la vérité absolue sur toute chose.

Évidemment, cela soulève des tonnes de questions éthiques : protection de données sensibles, respect de la vie privée…

On peut très bien imaginer, par exemple, l’intérêt d’un modèle prédictif propulsé à l’intelligence artificielle pour des compagnies d’assurances. Ou encore pour les entreprises technologiques qui cherchent à prédire notre comportement sur les médias sociaux afin de nous vendre des produits… ou influencer le résultat d’une élection.

C’est d’ailleurs pourquoi vie2vec n’est pas accessible au grand public. «Il faut mieux examiner où cette technologie nous mène et décider si c’est une évolution que nous souhaitons», a expliqué le professeur Sune Lehmann.

Il n’y a pas que des aspects négatifs à leur découverte. Imaginez tout ce qu’on pourrait tirer de modèle prédictif comme le leur pour élaborer des politiques publiques en santé, en éducation, en économie… Ça défie l’imagination.

Oui, Dieu peut aller se rhabiller.
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2024-01-20 12:00:00