2023-05-07 06:40:00
Ce sont deux époques différentes, presque méconnaissables l’une de l’autre. Mais il n’est pas rare, dans les manifestations contre la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, de trouver des jeunes et des moins jeunes brandissant des pancartes liant la contestation actuelle à celle de mai 1968. Défiguré par sa propre mythologie, le vieil étudiant révolté fête ses 55 ans ce mois. Est-ce une référence vide ? Les deux manifestations sont-elles comparables dans une certaine mesure ? Ce sont des affiches en ce moment ?
Le journaliste et écrivain Laurent Joffrin, ancien directeur du journal Libération et l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur, J’avais 15 ans quand le French May a éclaté. La révolte l’a rattrapé dans son lycée parisien et il a participé, avec quelques camarades de classe, à un comité d’école qui, poussé par l’inertie justicière qui respirait dans le pays, a réalisé trois choses que les élèves réclamaient depuis longtemps : qu’ils soient autorisés à fumer dans les couloirs, à les laisser partir avec les cheveux longs et à retirer les podiums de la table des professeurs. Il a vu les barricades de loin à cause de son âge, mais il n’a jamais cessé de s’intéresser à ce qui s’est passé ce mois-là et cette année-là. En 2008, il lui a dédié un livre : Mai 68, une historie du mouvement. (Mai 68, une histoire du mouvement). Pour lui, entre cette époque et la contestation des retraites, il y a un point commun : « Il y a une tradition de révoltes populaires en France. Nous savons tous, parce que nous l’apprenons à l’école, que la République est née d’une de ces révoltes. Il y a, peut-être, autre chose en commun : la critique des violences policières, qui s’est aussi produite alors.
Mais ici s’arrêtent les similitudes. Pour Joffrin il y a une différence profonde : « C’est vrai qu’en 1968 on a joué à la révolution, sans vraiment la faire. Il y avait un côté théâtral. Mais il y avait aussi quelque chose de festif, parce qu’en 1968, le monde, nous, croyions à l’idée du futur, nous pensions que le futur allait être meilleur. Il s’agissait de conquérir des choses. Et il ajoute : « Nous n’avions pas peur. Maintenant, les manifestations, les protestations, sont sur la défensive, pour préserver ce qu’elles ont acquis. Les gens se battent parce qu’ils voient que l’avenir est sombre, sombre, compliqué, bien pire. Les jeunes ont peur, ils se sentent angoissés. Le changement climatique, le manque d’emplois, de perspectives… Nous n’avions donc pas peur. C’était plus facile d’être un révolutionnaire à l’époque.”
Avant, les communistes ; maintenant il n’y a pas de modèles
Pour Joffrin, il y a une autre différence radicale qui rend cette période plus difficile : « Puis il y a eu les modèles communistes, le système capitaliste n’était pas le seul qui existait. Et cela a donné l’idée qu’un autre monde était possible et qu’on pouvait s’en approcher. Et maintenant, eh bien, il n’y a plus de modèles. Nous avons vu que les pays communistes ne fonctionnent pas, que le Venezuela est une catastrophe. Maintenant on se contente, comme je l’ai déjà dit, de l’idée de conserver, d’éviter la chute ». L’ancien directeur de Libération rappelons qu’après les révoltes de mai 68, les ouvriers ont obtenu de meilleures conditions de travail et une augmentation de 10% des salaires. “Et maintenant, eh bien, ils ont perdu, parce qu’ils n’ont même pas réussi à retirer la réforme des retraites”, ajoute le journaliste français.
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Si quelqu’un incarne Mai 68, c’est bien le leader étudiant le plus célèbre de la révolte, le désormais écologiste Daniel Cohn-Bendit. Sa silhouette juvénile est tellement associée aux barricades parisiennes qu’il avoue avoir longtemps détesté en parler. Dans l’ensemble, il souligne une différence évidente dans son opinion entre l’épidémie d’il y a 55 ans et les manifestations anti-Macron. « Puis il y a eu une grève générale suivie par des millions de travailleurs français. La France s’est arrêtée. Désormais, les syndicats sont incapables d’organiser une grève générale. Ce qu’il y a, c’est une grève des fonctionnaires, qui se remarque dans le secteur des transports, un peu dans le blocus des raffineries… Autrement dit, il y a une grande partie de la population qui n’est pas d’accord avec la loi, mais alors ne dit-il pas : « Allons-y.
En référence aux jeunes qui portent des pancartes ou qui crient des phrases liées à Mai 68, il assure : « C’est un mirage, un rêve, une comparaison impossible, hors de la réalité. En 1968, on réfléchissait à la société de demain. Aujourd’hui, tout cela est un mouvement pessimiste. Et il ajoute : « La question de prendre sa retraite deux ans plus tard n’est pas une question de vie ou de mort. Il y a évidemment quelque chose de plus derrière tout cela, derrière toute cette grande contestation. Après le coronavirus, que ces dernières années nous avons vu que le socialisme n’existe pas ni l’au-delà, la religion, la retraite sont soudainement devenues une sorte de paradis, une époque dorée dans laquelle nous serons enfin complètement libres. Pour cette raison, se faire voler deux ans de ce paradis devient soudainement quelque chose de très important. Mais tout cela est aussi un mirage.”
“Ce que reflète tout ce mouvement de réforme des retraites, c’est l’angoisse de cette époque, qui a à voir avec la maladie, avec le changement climatique, avec le travail, avec l’insatisfaction au travail. C’est l’erreur de Macron. Il aurait dû faire une loi pour réformer et améliorer certaines conditions de travail et, seulement plus tard, régler la question des retraites », explique-t-il. Et il conclut par une question : « En mai 1968, j’avais 23 ans. Pensez-vous que je me souciais de la retraite?
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