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« Les crimes de guerre au Libéria : une condamnation historique en Suisse »

« Les crimes de guerre au Libéria : une condamnation historique en Suisse »

Il y a précisément 30 ans, pendant l’été 1993, un groupe de soldats rebelles semait une terreur inimaginable dans une ville, Foya, de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest, le Liberia, alors dévasté par la guerre civile.

«Défiez Ulimo, on prendra votre cœur»

A 450 kilomètres au nord de la capitale Monrovia, un homme pieux respecté par sa communauté a eu le courage de déclarer à un groupe humanitaire de passage que le groupe rebelle qui occupait les lieux, l’Ulimo (Mouvement de libération unifié pour la démocratie au Libéria), avait pillé l’hôpital financé par les humanitaires.

Après le départ des étrangers, l’homme pieux a été emmené sur ce qui servait alors de piste d’atterrissage et son thorax a été découpé par les rebelles, son cœur extrait puis mangé devant la population.

«Essayez ULIMO, votre cœur» – «Défiez Ulimo, on prendra votre cœur» – était l’un des slogans utilisés pour terroriser la population. Certains civils, qui ont survécu à l’enfer, s’en souviennent encore.

Absence de justice locale

Le commandant le plus sanguinaire de l’Ulimo, celui qui a découpé à la hache le thorax de l’homme pieux et a propagé sa folie meurtrière à Foya, était surnommé «Garçon laid» («L’Affreux Garçon»), malgré ses beaux traits.

La population locale, qui parlait un autre dialecte que les soldats de l’Ulimo, lui avait donné un autre surnom pour pouvoir donner l’alerte à l’insu des rebelles. Ils l’appelaient «Saah Chuy», «L’Homme à la hache» en langue kissi.

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“Garçon laid” ne sera jamais jugé pour ses actes ignobles. On dit qu’il est mort suite à la vindicte populaire qui a entraîné son propre lynching, après avoir été reconnu en Guinée par des réfugiés libériens. Sinon, «Garçon laid» pourrait vivre en liberté au Liberia.

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Ce mois d’août 2023 marquera les vingt ans de la fin de la guerre dans ce pays. Personne n’a été jugé sur place par un tribunal. Ni le gouvernement ni les Nations unies n’ont rien fait pour les victimes oubliées du Libéria, bien qu’une commission de vérité et de réconciliation sur le modèle sud-africain ait été recommandée en 2009 afin de juger les principaux acteurs de la guerre. Au moins 25 000 personnes ont perdu la vie pendant ce conflit sanglant entre 1989 et 2003.

Un tournant pour la Suisse

Le 1er juin 2023, en Suisse, un tribunal a pourtant condamné un homme pour sa participation au meurtre à la hache de l’homme pieux. Il s’agit d’Alieu Kosiah, qui résidait à Lausanne depuis la fin des années 1990. Cette condamnation est intervenue exactement 30 ans après les faits et a été prononcée à Bellinzone, par la cour d’appel du Tribunal pénal fédéral, à 7000 kilomètres des lieux des crimes.

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Alieu Kosiah avait déjà été condamné en juin 2021 par le Tribunal des affaires pénales pour de multiples crimes de guerre, dont le fait d’avoir mangé un morceau du cœur de l’homme pieux en compagnie de «Garçon laid». Mais il n’avait pas été reconnu coupable du meurtre à la hache, les juges de première instance considérant que son rôle était passif.

Les juges d’appel ont décidé autrement. Alieu Kosiah a été condamné pour complicité de meurtre de l’homme pieux, un acte qualifié de crime de guerre et de crime contre l’humanité. La Cour a jugé qu’Alieu Kosiah avait remis l’homme pieux à “Garçon laid” afin qu’il soit emmené sur la piste d’atterrissage de Foya, sachant très bien ce qui se passerait ensuite – en raison des pratiques cannibales du commandant.

Cette décision d’appel marque un tournant dans l’histoire juridique de la Suisse : il s’agit de la toute première condamnation dans notre pays pour crime contre l’humanité. Celui-ci a été inclus dans le code pénal suisse en 2011, mais la cour d’appel a décidé de condamner rétroactivement Alieu Kosiah pour crime contre l’humanité. Cette décision ouvre la voie à d’autres poursuites de ce type en Suisse.

Certains crimes ne meurent jamais

En tant qu’avocat et directeur de l’ONG Civitas Maxima, je représentais depuis 2014, aux côtés de Me Romain Wavre, plusieurs victimes libériennes, dont un ami de l’homme pieux, lui-même victime des crimes de l’Ulimo et ayant assisté à son calvaire sur la piste d’atterrissage de Foya.

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Nos clients, ainsi que d’autres victimes, ont fait preuve d’une résilience, d’une dignité et d’un courage exceptionnels. La plupart sont venues en Suisse à trois reprises pour témoigner tout au long de la procédure et ont surmonté des obstacles tels que l’épidémie d’Ebola en 2014-2015 et la pandémie de Covid-19 en 2020-2021, pour enfin obtenir justice.

Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ont cette particularité de «ne jamais mourir». En raison de leur gravité, ils concernent la communauté internationale dans son ensemble et ne sont pas soumis à la prescription, contrairement aux crimes de droit commun. Les poursuites sont théoriquement possibles tant que la personne accusée est en vie et que des preuves existent. Et même, théoriquement, si toutes les victimes sont décédées.

Tout comme les victimes oubliées du Liberia qui ont obtenu justice en 2023, si loin de chez elles, pour des crimes commis en 1993, les victimes de crimes internationaux commis pendant les conflits armés en cours ou récents ne doivent jamais perdre espoir. Il faut désormais tout mettre en œuvre pour qu’elles n’aient pas à attendre trente années de plus pour que les crimes qu’elles ont subis soient jugés.

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