Le dossier a pour plaignant la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Son Bureau d’enquête sur les vins et spiritueux considère que 7 000 bouteilles de cognac Martell d’une série limitée « Single Estate Collection » (traduisez collection de cognacs issus d’un même domaine) ne devraient pas être millésimées.
Selon la DGCCRF, rien ne prouve que les deux nectars ont été produits en 1978 et 1989 !
Deux références sont en cause. La première porte la mention Petite Champagne 1978 ; la seconde, Grande Champagne 1989. Ces cognacs ont été distillés et élevés chez des viticulteurs partenaires « de longue date » du négociant, les familles Couillaud et Mongillon. La collection, lancée en 2018 et 2019, célébrait le terroir charentais et ses hommes. Elle était commercialisée à l’étranger, essentiellement en Asie et dans les boutiques des aéroports. Les deux millésimes incriminés étaient vendus 314 et 145 euros.
« Trop d’incertitudes »
Or, et voilà tout le problème soulevé lors d’une opération de contrôle de la DGCCRF, rien ne prouve que les deux nectars (dont le goût et la qualité ne sont pas mis en cause) ont bien été produits en 1978 et 1989 ! « Ces cognacs sont peut-être des millésimes, peut-être pas. Rien ne l’affirme vraiment. Nous n’avons pas la traçabilité nécessaire », a souligné Jean-Philippe Daugas pour la partie civile. L’inspecteur au service des Fraudes a pointé « trop d’incertitudes, trop d’incohérences » dans les carnets manuscrits des viticulteurs et les documents présentés par Martell. Des analyses au carbone 14 ont été menées à la demande du négociant. Elles ne donnent pas de datation précise.
L’audience, mardi, a duré plus de trois heures. Elle fut éminemment technique. On a parlé de l’art d’ouiller et de rembourse les tonneaux ; de la maîtrise du titre alcoométrique volumique (TAV) et des mystères de la part des anges.
Dans ce flot d’arguments parfois abscons, un échange fulgurant a éclairé les débats. Le président Filhouse, évoquant la renommée et le prestige de Martell : « Peut-on se permettre d’être dans l’à-peu-près lorsqu’on produit des millésimes ? » Réplique de l’avocat Voiron, pointant l’absence de preuve du côté de l’accusation : « Peut-on se permettre d’être dans l’à-peu-près lorsque l’on poursuit en justice ? »
Une amende requise
Pour la procureure Élise Bozzolo, pas de doute, l’infraction est constituée. Une maison du standing de Martell « aurait dû faire preuve d’une plus grande rigueur, d’une plus grande exigence ». Selon elle, une entreprise dont les bénéfices dépassent les 150 millions d’euros « aurait dû consacrer un peu d’argent dans la vérification de ses allégations commerciales ». Considérant que le négociant a réalisé une marge confortable et gagné environ 900 000 euros avec les 7 000 bouteilles millésimées, elle a requis une amende de 500 000 euros et demandé la publication (aux frais de Martell) de la peine dans un journal national et une revue spécialisée.
Les avocats du négociant ont réfuté les accusations de pratiques commerciales trompeuses, arguant que « les éléments de traçabilité de ses produits ont été collectés et vérifiés avec le plus grand soin ». Ils ont contesté l’affirmation de la DGCCRF selon laquelle la teneur en alcool des eaux-de-vie, pendant leur vieillissement, ne pourrait évoluer qu’à la baisse. Selon eux, « la mention des années des millésimes commercialisés est en conformité avec les exigences légales et réglementaires ».
Délibéré courant septembre, sans doute le 27.