La pièce n’a rien à voir avec une chambre d’hôpital, beaucoup plus accueillante, avec des plantes vertes, des grandes baies vitrées et un lit posé sur le sol. Federico Seragnoli, psychologue au service d’addictologie des hôpitaux universitaires de Genève, accueille un patient atteint d’une dépression depuis plus de 10 ans. “Vous avez une fiole de LSD sur la petite table” explique-t-il. “Vous pouvez la prendre avec de l’eau ou tout seul. Vous avez aussi un masque pour les yeux et la playlist que vous avez sélectionnée en séance de préparation. On va pouvoir y aller, vraiment quand vous voulez.”
Des séances de 8 heures extrêmement encadrées
Chaque séance dure plus de 8h. Mais les patients sont surveillés en permanence par les soignants. “Les produits psychédéliques induisent un état de modification de la conscience très intense qui peut amener le sujet à explorer différentes choses, des vécus difficiles mais aussi des expériences mystiques très fortes et puissantes” décrypte Federico Seragnoli. “C’est très important qu’il y ait quelqu’un pour superviser le patient en permanence.” Mais les mauvaises expériences, qu’on appelle aussi “mauvais voyage” sont très rares, à peine 1 à 2% des cas.
En Suisse, les produits psychédéliques restent des substances interdites. Sauf quand ces stupéfiants sont utilisés pour des indications médicales bien précises. “Il faut que le trouble dépressif soit sévère et résistant aux traitements” assure Gabriel Torrens, psychiatre dans ce service d’addictologie. “Les patients doivent d’abord avoir bénéficié de l’ensemble des traitements scientifiquement prouvés pour la dépression et qu’aucun de ces traitements n’a marché ou que la réponse n’est pas suffisante.” Une demande d’autorisation pour cette thérapie est envoyée pour chaque patient à l’Office central de santé publique.
Des changements neurobiologiques dans le cerveau
Comment fonctionnent ces thérapies ? Quels sont les mécanismes qui vont aider à soigner la dépression ? Dans les séances qui précèdent la prise du produit psychédélique, les soignants vont demander au patient d’aller chercher, exhumer sous LSD ses pensées noires dans un but thérapeutique. “Il va y avoir des changements majeurs sur la perception de soi, la perception du temps, la perception de l’autre” détaille Gabriel Torrens. “Et c’est effectivement dans ces effets-là que la personne peut avoir des perceptions et des pensées complètement différentes de ce qu’elle a l’habitude de vivre en étant déprimée.” Concrètement, le LSD induit des changements neurobiologiques dans le cerveau. Le patient va donc oublier ses ruminations pour se concentrer sur des choses plus positives.
Marguerite a 34 ans et un très passé très lourd. “J’avais des addictions, tabac, alcool et médicaments” raconte-t-elle. “J’avais aussi une dépression chronique et surtout, une résistance aux traitements médicamenteux traditionnels.” Il y a deux ans, son dossier est validé par les autorités sanitaires suisses. Elle suit trois séances en prenant du LSD.
“Une expérience particulièrement intense”
“La première fois, c’est très difficile car on vous donne une dose thérapeutique qui est beaucoup plus importante que les doses de stupéfiants qu’on peut prendre pour faire la fête” explique la jeune femme. “Vous transpirez beaucoup, vous tremblez, vous pleurez, vous avez aussi des sensations d’angoisse très fortes. Psychologiquement, certains souvenirs douloureux peuvent remonter à la surface. Bref, ce sont des expériences particulièrement intenses.”
Au total, Marguerite a suivi 3 séances, avec la musique qu’elle avait sélectionnée. “Ça m’a tirée d’affaire”, confie-t-elle-même si elle refuse de parler de thérapie-miracle. “Contrairement aux médicaments, le LSD, c’est un peu comme une allumette qui vient enflammer quelque chose qui est latent chez vous” résume-t-elle. “Mais après, c’est à vous de comprendre. Le LSD est vraiment un outil mais la guérison, elle se fait vraiment avec les psychologues sur le long terme”.
Aujourd’hui, Marguerite se sent beaucoup mieux dans sa peau, elle recommande cette thérapie aux personnes qui souffrent de dépression. Problème : les médecins ne peuvent répondre à la demande. Rien qu’en Suisse, plusieurs centaines de dossiers sont en attente.
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2023-10-19 08:18:30
