Jeté au hasard

Notre vie est le résultat du hasard. Nous sommes ce que nous sommes parce que dans un moment si fortuit, le sperme de notre père s’est joint à l’ovule de notre mère et a commencé cette aventure qui a pris forme en notre personne. Cela aurait pu se produire quelques minutes avant ou après, et cette petite différence temporelle – qui aurait déterminé qu’un spermatozoïde différent aurait été celui qui aurait atteint l’ovule en premier.– nous aurait rendus complètement différents : nous pourrions être d’un sexe différent, d’une constitution physique différente, et nous pourrions même ne pas être nés.

Pour chacun de nous, le moment qui compte n’est pas le moment où Colomb a quitté le port de Palos ou le moment où Jules César a vaincu Vercingétorix, mais le moment où quelque chose de mémorable nous est arrivé. L’histoire entière de l’univers nous importe moins qu’un simple commérage survenu dans la région dans laquelle nous opérons. Nous vivons confinés au minimum.

Nous n’avons pas conscience que tout ce qui a marqué notre vie est le fruit du hasard, de la naissance jusqu’au moment de notre départ. Nous le sommes parce qu’une circonstance fortuite a déterminé que ce spermatozoïde et non un autre (parmi des millions) a atteint en premier l’ovule maternel.

Nous ne savons pas que nous sommes allés dans une telle école et que nous avons eu de tels amis parce que nos parents ont pu nous donner une telle formation. Dans ce contexte, que nous n’avions ni choisi ni prévu, nous avons fait ce que nous pouvions avec ce que nous avions.

Nous croyons tout le temps que nous prenons des décisions. Mais la vérité est que nous choisissons, au mieux, entre très peu de variables. Nous vivons en rêvant qu’un coup de chance puisse nous sauver du destin banal, peu glamour et défavorable qui s’est abattu sur la plupart d’entre nous, mais la vérité est que presque personne ne parvient à échapper à l’endroit précis que l’accumulation des chances a configuré comme leur vie.

Chaque livre d’auto-assistance commence par la formule « Vous pouvez ». Pourtant, 99 % de l’humanité meurt dans le destin que lui a réservé sa naissance. Et les 1% restants parviennent à se séparer à cause d’accidents imprévisibles, mais pas parce qu’ils ont travaillé dur pour obtenir une gloire qu’ils ne pouvaient pas connaître.

Pour un Messi, il y a 8 000 000 000 d’autres humains qui ne sont pas des stars du football. Et Messi a réussi à être ce qu’il est par un hasard bénéfique : il est né génie du football à une époque qui valorise le sport professionnel. Si Messi était né au XVIIIe siècle, sa petite taille, son incapacité à survivre dans un environnement misérable et hostile l’auraient condamné à mourir de faim peut-être avant ses 20 ans, comme la majorité des jeunes non privilégiés de ce temps. Et personne, pas même lui-même, n’aurait su qu’à une autre époque de l’histoire, il aurait pu être un héros sportif.

Être la bonne personne au bon moment est quelque chose d’exceptionnel. Nous sommes presque tous des personnes ordinaires dans des situations courantes et cela nous condamne car, même si nous disposons d’une certaine capacité qui pourrait nous sauver de la médiocrité, nous ne sommes même pas capables de savoir de quoi il s’agit.

Presque toutes les filles ne seront pas Marilyn Monroe ou Madame Curie et presque tous les garçons ne seront pas Messi, John Lennon ou Albert Einstein. Non seulement parce que la plupart d’entre nous n’ont pas le talent extrême requis pour faire partie des personnes exceptionnelles, mais parce que nous ne savons même pas si nous avons un talent qui pourrait valoir quelque chose aux autres. Comme nous l’avons vu, En dehors de ce moment historique, Messi n’aurait pas été Messi (et Lennon n’aurait pas non plus été l’un des Beatles s’il était né en Indonésie dans une famille pauvre, même s’il avait un talent pour la musique).

Un roman célèbre des années 1940 (dont la popularité a duré jusque dans les années 1960 dans le monde entier) s’intitulait « Une feuille dans la tempête » et était l’œuvre du romancier chinois Lin Yutang. Il y raconte, à travers les vicissitudes de trois personnages centraux, des scènes de la guerre sino-japonaise de la fin des années 1930 et du début des années 1940.

Au milieu de cruautés inimaginables et d’épreuves de toutes sortes, la vie de chacun ressemblait à « des feuilles dans la tempête ». Chaque personnage a été entraîné dans des actions et des situations dont il ne voulait pas, mais dont il ne pouvait pas échapper.

Ce roman raconte un cas de guerre, mais laisse le sentiment que chaque vie, même la plus « normale », vit dans le hasard qui ne choisit pas : Nous sommes des feuilles dans la tempête, que le vent disperse dans le néant. Cependant, nous pensons tous que nous prenons des décisions et que nous sommes confrontés à des défis. et que, parfois, nous sommes vainqueurs. Il est difficile d’accepter que le hasard régisse nos vies.