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Expérience des prêtres congolais en Belgique: Témoignages et défis

Expérience des prêtres congolais en Belgique: Témoignages et défis
“Vivre dans une telle solitude, ce n’est pas habituel pour nous qui venons du Congo”: découvrez le témoignage d’un prêtre congolais

La plupart découvriront l’Europe, mais s’adapteront rapidement. Ils parcourront les rues de Bruxelles, allumeront le chauffage des églises belges du XIXe, vivront dans les presbytères “en pierre du pays” et se lieront d’amitié avec des familles nombreuses. Ils célébreront des baptêmes fervents, des communions distraites et des enterrements glacés. Cette nouvelle vie est complètement différente de ce à quoi ces hommes sont habitués, venant du catholicisme en Afrique.

C’est pour cette raison que les diocèses francophones du pays organisent depuis 2008, tous les deux ans, une session d’accueil à Beauraing, selon Olivier Fröhlich, vicaire général du diocèse de Tournai. Les deux journées y sont intenses, avec des temps de prière, des témoignages, des échanges et des conférences : “Histoire récente du christianisme en Belgique” ; “Cadre institutionnel de l’Église” ; “État des lieux du catholicisme belge”… “L’objectif est d’offrir des clés de compréhension de la société occidentale”, a ajouté Olivier Fröhlich.

De nombreux étudiants

L’institution peine à donner un chiffre (voir ci-dessous), mais les prêtres africains rendent désormais des services aux quatre coins du pays, et particulièrement du côté francophone. De nombreux doyennés (ensemble de paroisses) comptent aujourd’hui une majorité de prêtres étrangers. Parmi eux, la paroisse de la Hulpe en est un exemple frappant, selon Maxime Bugingo, vicaire. “Nous sommes quatre prêtres, et tous d’origine différente : Congo, Rwanda, Burundi et Nigeria”.

La plupart d’entre eux arrivent en Belgique pour leurs études. Beaucoup suivent un cursus en théologie à l’UCLouvain ou au Centre de formation Lumen Vitae à Namur. D’autres – toujours à la demande de leur évêque africain – s’engagent dans des études “profanes”, tels l’agronomie ou les soins infirmiers. Pour exercer leur ministère et gagner de quoi vivre, la plupart de ces étudiants prend en charge un ou plusieurs clochers du pays pour une petite poignée d’années. Certains rentreront, d’autres resteront.

Parmi les “prêtres venus d’ailleurs” (c’est leur surnom), on compte aussi les “Fidei donum” (selon le titre d’une encyclique romaine de 1957 dédiée aux missionnaires). Ils ne sont pas étudiants : leur arrivée en Belgique résulte d’un accord entre le prêtre (soucieux d’une nouvelle expérience), son évêque et l’évêque belge, en général pour trois ou quatre années renouvelables.

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D’autres sont religieux et rejoignent l’Europe pour soutenir une abbaye ou une communauté. Certains, enfin, s’inscrivent dans le cadre d’une demande d’asile ou voyagent pour des raisons médicales.

Un changement difficile

Depuis trente ans, ces prêtres ont accompagné l’évolution des paroisses belges, devenues largement métissées. Ils ont marqué leur présence, réveillé certaines assemblées endormies, ouvert les catholiques belges à la dimension universelle de l’Église (par des jumelages entre paroisses par exemple), et assurent aujourd’hui des responsabilités majeures. Cependant, ils font face à de grandes difficultés, principalement les prêtres étudiants, parachutés sans grande préparation.

“Ce qui m’a le plus marqué, c’est le peu de chrétiens. Avec le climat austère et la solitude quotidienne, cela m’a pesé. L’accueil est bon pourtant, et les semaines sont denses (rédaction de la thèse, services en paroisses, visites aux malades…), mais on peine parfois à trouver notre équilibre et notre rythme, loin de nos familles et de nos proches”, a avoué un prêtre du Brabant wallon. Pour beaucoup, le plongeon dans la culture belge demeure difficile. Le premier enterrement à célébrer, dans un funérarium désolant ou devant une assemblée distante, est un véritable défi, font remarquer plusieurs d’entre eux.

“Cela fait 29 ans que je suis en Belgique, tous mes amis sont Belges”, a indiqué Vital Nlandu Balenda, prêtre et doyen à Malmedy, visiblement très heureux au cœur de l’Ardenne. “Mais c’est vrai qu’il ne faut pas sous-estimer le choc à l’arrivée. Le monde occidental est un monde désenchanté qui peut bousculer un jeune prêtre. Et tout change dans la vie quotidienne : le climat, l’alimentation, les attentes des fidèles, le fonctionnement des paroisses. Si l’accueil est bon, si on nous donne une véritable place, il ne faut pas oublier que certains accrocs réveillent des stéréotypes, un léger racisme résiduel et parfois inconscient qui habitent l’Europe.”

La gestion de l’argent est aussi une grande difficulté, souvent évoquée, alors que le coût de la vie ou le système de taxation sont très différents. De plus, les prêtres sont informellement tenus, par leurs proches ou leur paroisse d’envoyer de l’argent, de soutenir les études d’un neveu ou d’une nièce. La pression est parfois difficile à gérer. Certains évêques congolais demandent aussi à leur clergé envoyé en Europe de participer à un fonds de formation pour les jeunes prêtres au Congo. “Je verse 50 euros par mois à mon diocèse d’origine”, confie un prêtre. Pour certains, c’est bien davantage.

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Le risque de l’habitude

Pour faire face à ces défis, les diocèses ont plus ou moins progressé dans l’accompagnement et la formation des prêtres venus d’ailleurs pour éviter les abus (certains prêtres échappant des radars pour ne pas devoir rentrer en Afrique), tout comme les dépressions, par exemple. Le suivi des accords passés avec les diocèses africains et les instances académiques est plus ferme que dans les années 1990 et 2000.

Professeur de théologie à l’UCLouvain, orateur lors de la session de Beauraing, Arnaud Join-Lambert espère cependant que l’Église ira plus loin en la matière. “Il faut commencer par interroger les contrats de partenariat et les missions confiées. On attend de ces hommes qu’ils accomplissent les actions spécifiquement réservées aux prêtres, à savoir les sacrements. Pour cela, on estime qu’ils n’ont pas besoin de formation puisqu’ils l’ont déjà reçue au séminaire”, écrit-il dans la revue de recherche en pastorale Lumière de la vie qui a consacré cet hiver un dossier très fouillé aux prêtres venus d’ailleurs. Du coup, la formation aux spécificités belges est faite “sur le tas”. “Le fait de ne pas être accompagné suffisamment dans les premiers temps provoque le repli initial de nombreux prêtres sur ce qu’ils savent faire et sur ce que l’on attend explicitement d’eux”. En bout de course, indépendamment de la qualité de ces prêtres, la vie des paroisses se renouvelle peu et demeure dans les rails de l’habitude.

Un véritable dilemme

En disant cela, le professeur pointe la question la plus critique pour l’Église en Belgique : pallier la chute des vocations par l’accueil de prêtres venus d’ailleurs était-il judicieux ? Aucune véritable étude ne s’est emparée de cette question, regrette-t-il.

“Il y a trente ans, les évêques ont réalisé que les séminaires se vidaient. Plutôt que de revoir le modèle, ils ont accueilli des prêtres africains”, déplore de son côté Alphonse Borras, théologien et vicaire général de l’évêché de Liège jusqu’en décembre 2020. “Entendez-moi bien : je ne mets pas du tout en cause le dévouement de ces prêtres qui ne sont pas meilleurs ni pires que les autres. Je regrette cependant cette politique palliative qui a eu pour effet de maintenir artificiellement des structures, et ne nous a pas permis d’avoir le courage de repenser la présence de l’Église sur le terrain en fonction de la réalité d’une société qui était en train de changer depuis longtemps.”

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Au sein de l’Église, beaucoup sont conscients de cette question. Mais le dilemme est de taille. Les sacrements (la confession, le baptême, la messe…) sont essentiels à la vie de foi pour les catholiques. Permettre aux fidèles de les vivre grâce à la présence d’un prêtre est fondamental. Sans oublier que les premiers à demander à leurs évêques de prendre soin de l’église du village, de lui “donner un prêtre”, sont les paroissiens. Les évêques pouvaient-ils se passer de l’aide venue de l’étranger alors qu’ils étaient dépassés par l’ampleur de la crise des vocations ?

“Faut-il que je ne sois pas là pour que l’Église vive sa réalité ?”, a demandé Vital Nlandu Balenda. “Je pense que, comme toujours, face à une crise, on a vécu au jour le jour, essayant de faire au mieux. Désormais, j’essaye d’accompagner l’Église dans son renouvellement.”

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Des chiffres mal connus

Si l’on se penche sur les chiffres officiels de l’Église pour l’année 2022, le pays comptait 1859 prêtres diocésains (travaillant pour les diocèses). Parmi eux, 387 provenaient d’autres diocèses (principalement étrangers). En 2018, le rapport était de 2301 prêtres pour 381 venant de l’étranger. La proportion du nombre de prêtres venus d’ailleurs au sein de l’Église en Belgique est donc en croissance. Ces chiffres ne disent cependant pas la réalité des “prêtres venus d’ailleurs” : ils sont bien plus nombreux. Après leurs études, ils se sont en effet naturalisés belges ; on ne les considère donc plus parmi les prêtres provenant des autres diocèses. D’autres ne sont pas diocésains, mais font partie des 1723 religieux qui relèvent d’un ordre ou d’une congrégation.

Parmi les prêtres étrangers, une minorité de prêtres viennent de Pologne, de France ou d’Italie. Si l’on se penche sur les origines africaines, elles sont surtout francophones : Congo, Cameroun, Rwanda, Burundi, Burkina Faso, Bénin, Togo.

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