Il était le plus prisé de la région, celui dont on se passait le nom de famille en famille, répétant qu’il était le meilleur. Pendant trente ans, Gabriel Assouline a exercé comme mohel, mot hébreu désignant un circonciseur juif, bénéficiant d’une aura certaine dans la communauté : à lui seul, il réalisait alors 60 % des circoncisions en Île-de-France.
Mais, en 2017, l’état de grâce prend fin. Une vingtaine de femmes racontent avoir subi des gestes intrusifs à connotation sexuelle commis par le religieux, sous couvert de pratiques médicales, autour de la brit milah, la cérémonie organisée au huitième jour suivant la naissance du bébé.
À partir de ce mardi, le mohel déchu, âgé de 62 ans, est jugé par la cour criminelle du Val-d’Oise pour des agressions sexuelles et un viol à l’égard de quatre femmes entre 2010 et 2017, le reste des plaintes ayant été frappées par la prescription. C’est le cas de Sarah (le prénom a été changé)citée comme témoin au procès parmi une quinzaine d’autres victimes prescrites. Un quart de siècle plus tard, il lui coûte encore de raconter cet épisode douloureux. Mère célibataire « pas du tout pratiquante », c’est pour faire plaisir à son père qu’elle avait décidé de circoncire son fils.
Il visait des femmes « en état de vulnérabilité »
Après la brit milah, célébrée chez les parents de Sarah, Gabriel Assouline lui propose de venir vérifier la cicatrisation de son fils, mais seulement quand elle sera rentrée chez elle, où il sait qu’elle vit seule. « Après avoir refait le pansement de mon bébé, il me dit de m’allonger sur le lit et d’enlever mon soutien-gorge pour vérifier si mes seins sont engorgés, décrit Sarah. Voyant ma gêne, il m’a fait comprendre qu’il était médecin. »
Le mohel lui palpe la poitrine, puis lui demande de prendre une douche. « Je refuse, mais il insiste, il prend un ton autoritaire, se souvient-elle. Je suis terriblement mal à l’aise, je la prends le plus vite possible pour me débarrasser de lui. Quand je reviens dans la chambre, tout se passe en quelques secondes. Il baisse ma culotte et insère son doigt, il me parle d’utérus sans même me regarder, et moi je suis totalement sidérée. Puis il se lève et disparaît. »
Bien qu’encore sous le choc de l’accouchement, la jeune maman de 24 ans sait que « rien ne justifie ce geste ». Et ce, d’autant plus qu’elle a encore des saignements, véritable repoussoir pour un religieux. Traumatisée, elle pleure pendant trois semaines d’affilée, prend 17 kg. Mais elle ne porte pas plainte, dissuadée par un proche au motif que cela pourrait remettre en cause cette pratique, non encadrée mais tolérée par les autorités.
« Il avait un double ascendant sur les victimes, à la fois religieux et médical, car il se présentait souvent comme chirurgien-dentiste, éclaire Me Elie Korchia, avocat des parties civiles. Il ciblait le plus souvent des femmes connaissant peu ce type de pratiques ou celles avec des conjoints non juifs. Elles étaient en état de vulnérabilité puisqu’elles venaient d’accoucher », précise encore l’avocat, par ailleurs actuel président du Consistoire, principale institution juive française.
Banni de certaines synagogues malgré le silence des autorités religieuses
Père de huit enfants, exilé à Strasbourg où il vit sous contrôle judiciaire, Gabriel Assouline « conteste avoir eu la moindre intention déplacée », explique son défenseur, Me Francis Metzger. L’avocat en veut pour preuve les « 9 000 à 10 000 circoncisions réalisées sans aucun problème », plaidant un problème d’interprétation. Il nie également s’être présenté comme dentiste, un cursus qu’il a bien suivi, mais sans jamais valider son diplôme. « On a pu le présenter comme tel, mais lui-même ne s’est jamais prévalu de ce titre », précise Me Metzger.
Plus embêtant, comme le révélait notre journal en 2017, bien avant sa chute, des rumeurs couraient déjà depuis plusieurs années un peu partout en Île-de-France. Le mohel avait ainsi été banni de certaines synagogues, comme celles de Sarcelles (Val-d’Oise), du Raincy (Seine-Saint-Denis) ou des Tournelles (Paris IVe), sans pourtant jamais être inquiété.
Sarah en veut ainsi terriblement au Consistoire, qui lui avait à l’époque donné le nom de Gabriel Assouline, et affirme que son père, sans toutefois entrer dans les détails, avait appelé l’instance pour s’en plaindre. Dix ans plus tard, elle assure avoir rappelé, en apprenant qu’il officiait toujours.
Elle affirme enfin que, lors d’une réunion de victimes en 2017, l’un des rabbins présents avait concédé avoir reçu dans le passé des confidences d’une femme. « Très religieuse, elle n’avait pas voulu saisir la justice, explique Sarah. Or ce même rabbin a continué de conseiller ce mohel à des familles ! » s’étrangle-t-elle.
« Le Consistoire n’a nullement autorité sur les mohalim (le pluriel de mohel)qui sont indépendants, précise Elie Korchia. Son nom circulait principalement par le bouche à oreille. C’est en 2017, une fois que ces femmes ont eu le courage de dénoncer les faits auprès de la police, que les langues se sont déliées. Mais aucune plainte pénale n’avait été déposée auparavant », regrette-t-il.
Depuis, sous l’impulsion du Consistoire, une association de mohalim a été créée pour tenter d’encadrer cette pratique. Gabriel Assouline encourt jusqu’à quinze ans de prison. Le verdict est attendu le lundi 5 juin.
2023-05-29 16:55:00
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