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Sur la mort de René Pollesch : “Je ne peux pas penser seul”

Sur la mort de René Pollesch : “Je ne peux pas penser seul”

2024-02-27 21:04:00

Quand quelqu’un meurt, il laisse un vide : quelques réflexions d’un compagnon sur le regretté directeur de la Volksbühne, René Pollesch.

René Pollesch en 2002 lors des répétitions de « 24 heures ne sont pas un jour » au Prater de la Volksbühne Photo : David Baltzer

René Pollesch est décédé subitement et subitement lundi. Cette soudaineté fait qu’une vie manque d’épilogue. Pas de vieillissement, pas de maladie, tout à coup une personne disparaît tout simplement. Comme une série ou un podcast que tout le monde aime mais qui est subitement annulé. Il y avait autre chose à l’instant. Et puis c’est parti. Tous ceux qui ont connu René – et qui ont assisté à sa dernière première il y a à peine une semaine – sont sous le choc.

Je connais René depuis le début des années 2000. Je me souviens encore, comme “les gens dans des hôtels merdiques”, qui faisait alors partie de la trilogie dite Prater, a frappé Prenzlauer Berg. Le titre à lui seul nous a électrisés, qui étions alors au début de la vingtaine. J’étais un jeune étudiant et j’écrivais pour eux des critiques de théâtre et de films depuis Berlin. NZZ. René était encore un jeune réalisateur – et une star du jour au lendemain. Lors de notre première rencontre, nous avons mangé une escalope au café en plein air du Prater.

Cela ressemble à une tautologie de décrire René comme une personne qui – comme l’a écrit Kleist – écrivait ses pensées en parlant. Au cours des 20 années qui ont suivi cette première rencontre, il est devenu l’exemple même de la réflexion instantanée à des hauteurs vertigineuses, au niveau spirituel du monde, pour ainsi dire. René a parlé à travers ses joueurs, avec eux. Avec les anges, avec Judith Butler, mais surtout, c’est ce que j’ai ressenti : avec moi. Si quelqu’un oubliait quelque chose, le souffleur criait. Lors de ses premières soirées du Prater, elle possédait la majeure partie du texte.

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Sur le plan humain, comme on dit, René était incroyablement professionnel : il me reconnaissait toujours immédiatement, moi l’étudiant, même dans les foules les plus folles. Puis nous sommes devenus « collègues », puis amis, et du coup nous sommes devenus tous les deux « réalisateurs » et nous parlions de coproductions. Tout cela ressemblait à une plaisanterie de jeunesse, à un acte. Au théâtre, vous pouvez voir Richard III. le sien ou un anarchiste russe, pourquoi pas aussi « Intendant » ?

La seule peur de René était la solitude

La mort de René met fin à ma jeunesse, absurdement tard. Comme si nous devions désormais vraiment être ce que nous sommes devenus. Parce que tant que René était en vie, j’étais jeune, je vivais au subjonctif, dans des théâtres de merde et dans des hôtels de merde. Tout n’était pas sérieux, disait-il dans les airs. Et je pense que c’est la même chose pour beaucoup, peut-être pour toute ma génération de créateurs de théâtre.

La seule crainte de René était la solitude. Il avait désespérément besoin d’un homologue sexy. Les acteurs racontent comment il les a suppliés de continuer à répéter pendant Noël. « Je ne peux pas penser seul », c’est la phrase qui m’a le plus marqué dans la contribution de René à notre livre « Pourquoi le théâtre ? », publié lors de la première vague de Covid. Plus précisément, il écrit : « Je suis heureux d’avoir compris ce que l’on pense généralement des actrices et des acteurs, à savoir qu’ils ne peuvent pas travailler seuls. »

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La phrase décrit la philosophie du théâtre de René : un espace qui vous libère de votre propre inconscience et de vos propres sentiments. « Seul, écrit René, on ne peut pas du tout penser, on ne peut que ressentir. » Pour lui, le théâtre était un carrefour de solitude. Tous ses textes parlent de solitude, qui ne se dissout que dans l’insécurité mutuelle, d’amour, d’être surveillé, comme il le disait avec Luhmann – lui, comme des milliers d’autres auteurs, connaissait Luhmann par cœur.

Oui, pour René, faire du théâtre signifiait : se dissoudre allègrement dans une sorte d’intelligence collective, dans une sagesse de production totale et vécue. Que vous pourriez ensuite emporter avec vous dans votre vie, ce qui était l’avantage de regarder Pollesch. Si vous étiez loin de René un soir, vous pensiez et viviez plus librement pendant quelques heures et quelques jours.

Peut-être aussi parce qu’il travaillait en série : les soirées n’étaient jamais son premier ou son dernier mot, mais plutôt un extrait aléatoire et pétillant (et de plus en plus sombre et triste) du courant de la pensée de Pollesch.

Pourquoi le théâtre ?

René m’a rendu plus intelligent, à la fois plus en colère et plus détendu, plus profond et plus superficiel. J’étais toujours très heureux lorsque nos chemins se croisaient. Lorsqu’il est nommé directeur artistique de la Volksbühne, après l’intermède malheureux avec Chris Dercon, il suscite rapidement l’intérêt de jeunes militants. Soudain, il était quelqu’un, il avait quelque chose : une « maison », comme on dit au théâtre, une direction.

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Et ce qui était tout à fait improbable : un vent contraire de critiques du pouvoir lui a soufflé au visage, René Pollesch, le penseur du théâtre en Allemagne le plus critique à l’égard de l’institution. Ces dernières années, il est arrivé parfois que mon nom apparaisse sur les manifestes aussi bien pour que contre René – généralement à mon insu, bien entendu.

René Pollesch

« Vous faites tout pour quelqu’un d’autre. Pour quelqu’un qu’on aime, par exemple”

Lors de notre rencontre, nous en plaisantions : « Vos employés ont publié un pamphlet contre moi », a déclaré René. Et j’ai dit : « Ils font ce qu’ils font. » Parfois, il citait des manifestes contre lui dans ses articles, et aussi dans le texte qu’il avait écrit pour moi. Et puis nous avons parlé d’autres choses, par exemple d’une pièce que nous préparions ensemble pour les Vienna Festival Weeks 2025.

Quoi d’autre? Peut-être celle-ci, la phrase par laquelle commence le texte de René pour « Pourquoi le Théâtre ? » : « Une question serait de se débarrasser de la question habituelle : pourquoi quelque chose ne marche plus : pourquoi ça a jamais marché ? » Et plus bas : « Tout est fait pour quelqu’un d’autre. Pour quelqu’un que vous aimez, par exemple.

C’est ça. Adieu, cher René !



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