Shooting Star Tess Gunty: Les leçons du lapin blanc

jeÀ une autre époque, qui ne payait pas non plus ses factures, des voitures étaient construites ici; maintenant l’usine est vide et couverte de graffitis. On pourrait penser que la moitié du livre de Tess Gunty était sur le mur battu : “Quelqu’un a peint BLUE LIVES MATTER sur BLACK LIVES MATTER. Quelqu’un d’autre a écrit TOUTES LES VIES COMPTE à propos d’eux deux.

Un tel palimpseste est caractéristique du premier roman de Gunty, The Rabbit Hutch, qui a remporté le prestigieux National Book Award. Dans la plus grande concentration possible, le mur de l’usine recense un bouleversement social, communicatif, économique et planétaire. Peu de débuts ont inspiré une telle ambition depuis Zadie Smith ou David Foster Wallace. Car Tess Gunty ne se contente pas de convictions courageuses ou d’identités élaborées. Elle a écrit un grand roman social – une forme qui s’appelle simplement “roman social” dans son pays natal américain.

Ce n’est donc pas un hasard si le titre signifie littéralement logement social. “Rabbit Hutch” est le nom donné au complexe de logements abordables La Lapinière dans la fictive Vacca Vale, Indiana, une “ville supposée mourante” dans la soi-disant Rust Belt des États-Unis. Les compagnons de rêve de la marque inventée Zorn ont été autrefois construits à Vacca Vale, ce qui reste sont les nombreux chômeurs et les nombreux lapins des friches industrielles, les magasins fermés, les médicaments omniprésents et ici et là du vieil argent très inégalement réparti.

Maintenant, ils veulent contrer la misère avec un “plan de revitalisation”: là où le benzène était canalisé dans la rivière, des start-up sont maintenant à créer, pour lesquelles, bien sûr, le beau parc doit être supprimé en premier. Il abrite les lapins qui sont le leitmotiv de ce roman, mais aussi le repaire préféré de Blandine Watkins, qui est à la fois Alice au pays des merveilles de Tess Gunty et White Rabbit de Lewis Carroll. Enfant dans l’aide sociale, Blandine cherchait désespérément un autre monde, aujourd’hui, à 17 ans, décrocheuse surdouée, elle s’est appuyée sur le mysticisme d’Hildegard von Bingen, qui croyait à la « transverbération du cœur ».

Naturalisme numérique

En effet, Tess Gunty commence son roman en annonçant que Blandine va “quitter” son corps. On ne peut s’empêcher de soupçonner que The Rabbit Hutch compte à rebours jusqu’à un crime. Les ambitions de Tess Gunty passent assurément par l’intrigue et le suspense : tout se dirige vers une chaude nuit de juillet, qui prend une tournure scandaleuse dans l’appartement C4.

Blandine vit en C4 avec trois garçons eux aussi issus de l’aide sociale, en C2 vit la quadragénaire Joan, pour qui l’avenir de Vacca Vale a déjà commencé, au moins professionnellement. En tout cas, Joan a un boulot de conneries comme l’ère d’Internet peut en produire à elle seule. Chez “Restinpeace”, un portail de nécrologies en ligne, elle doit modérer la zone de commentaires appelée le livre de condoléances, qui transforme naturellement le “clapier à lapins” en roman médiatique.

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Une enfant star des années 1950 a écrit sa nécrologie sur “Restinpeace” de son vivant, sur quoi son fils séparé la réprimande dans les commentaires et, alors qu’elle supprime sa tirade, commence également à traquer la pauvre Joan – bien que, ou peut-être parce que, cet homme ” presque impossible de s’intéresser aux gens qu’il rencontre dans le soi-disant monde réel ».

ce que le diable sait

Ce qui semble construit pourrait en fait être quelque chose comme un nouveau naturalisme numérique : dans ce roman, Internet submerge tout le monde ; la folie habite seule dans son monde désincarné, et le terrier du lapin numérique est le seul que l’astucieuse Blandine évite dans sa recherche désespérée d’un autre monde. Elle ne possède même pas de téléphone portable, mais son désir inavoué de créature authentique est d’autant plus grand.

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Alors qu’elle cherche à transcender son corps, ils sont attirés par les êtres naturels de Vacca Vale : les chiens de l’homme riche que promène sa colocataire ; les chèvres qui sont censées garder l’herbe courte dans le parc ; et bien sûr les lapins, que l’on rencontre si souvent dans le roman jusqu’à ce qu’il devienne indéniable qu’en réalité tous dans le roman, sinon des lapins, sont alors avant tout des créatures, quoique malheureusement celles avec des téléphones portables 5G.

“Vous pensez que les lapins sont des animaux tranquilles”, dit l’un des colocataires de Blandine, “jusqu’à ce que vous essayiez d’en tuer un. Ils crient comme le diable. » Mais le diable apparaît aussi dans l’une des pièces mystérieuses d’Hildegard von Bingen, que Blandine prend à cœur dans le trèfle blanc du parc menacé. Alors que l’âme personnifiée chante Dieu et la création, le diable doit rugir ce qui est au cœur de ce roman : “Parce qu’aucun de vous ne sait ce que vous êtes réellement !”

Tess Gunty : “Le clapier”. Traduit de l’anglais par Sophie Zeitz. Kiepenheuer & Witsch, 416 pages, 25 euros.