Roger Ourset a été le moteur du lancement de l’École supérieure des affaires à Clemenceau (ESA), qu’il a pilotée depuis son inauguration en 1996 jusqu’en 2008. Après ses deux passions, la gestion des affaires et l’enseignement, il s’est découvert un véritable intérêt pour les drapeaux et leur symbolique et a rejoint la Fédération française de vexillologie.
De passage à Beyrouth, il confie à L’Orient-Le Jour qu’il a toujours « aimé voir un drapeau flotter ». « Alors, précise-t-il, j’ai voulu en savoir plus sur son histoire. Chaque bannière exprime une idéologie et une volonté qui doivent être connues pour savoir ce que les États pensent de leur mission. C’est ainsi que je me suis plongé dans l’univers de la vexillologie. » M. Ourset indique que c’est l’Américain Witness Smith, l’instigateur de la création de la Fédération internationale des associations vexillologiques (FIAV) et de la North American Vexillological Association (NAVA), qui a conçu le mot vexillologie, en combinant le mot latin vexillum qui désigne l’étendard des armées romaines et la terminaison grecque signifiant l’étude de. Diplômé de Harvard, Witness est l’auteur de Flags through the ages and across the world, considéré comme le monument de la vexillologie.
L’étendard de l’Arabie Saoudite qui porte la profession de foi musulmane ou chahada, n’est jamais mis en berne. Photo bigstock
Pas de drapeau en berne pour l’Arabie… et un trou pour la Roumanie
À première vue, on pourrait croire qu’un drapeau n’est qu’un morceau de tissu présentant des motifs et des couleurs. Or il contient des symboles qui reflètent l’histoire, les choix politiques et les motifs de fierté des citoyens du pays dont il est l’emblème. Roger Ourset décode le langage de nombre de drapeaux. Nous retiendrons tout d’abord l’usage frappant de celui de l’Arabie saoudite qui ne peut jamais être mis en berne. Et pour cause, son fond vert, couleur de l’islam, porte la profession de foi musulmane (la chahada) qui proclame : « Il n’y a point de divinité en dehors d’Allah et j’atteste que Mahomet est son messager. » Les paroles du Coran ne s’inclinent pas avec ceux qui se prosternent à terre, elles doivent s’élancer plus haut vers le dôme bleu du ciel.
L’attitude par rapport au drapeau national diffère d’un pays à l’autre. La Finlande, par exemple, préconise l’usage de son drapeau uniquement par les institutions officielles. Mais au coucher du soleil, il est mis en berne. Pourquoi ? « Aucune explication n’est donnée. C’est comme ça, ils ne veulent pas que leur drapeau flotte la nuit », relève Roger Ourset. En revanche, au Danemark, « les citoyens ont le libre usage de leur drapeau. Il peut flotter en quelque lieu que ce soit, en extérieur comme en intérieur ». La légende voudrait que ce grand linge rouge sang barré d’une croix blanche soit simplement tombé du ciel lors d’une bataille livrée en Estonie en 1219. Ce drapeau a été officialisé en 1625. « Il s’agit du plus ancien drapeau national au monde. Il porte le nom de Dannebrog. » Par ailleurs, le choix des motifs n’a rien d’un hasard. L’aigle sculpté en pierre qui figure sur le drapeau du Zimbabwe est l’emblème national du pays. Il décorait les piliers surmontant les murs de l’ancien royaume du Zimbabwe, un ensemble de ruines couvrant quelque sept kilomètres construits entre le XIIe et le XVe siècle. L’oiseau apparaît sur les drapeaux et armoiries, les billets et les pièces de monnaie du pays.
Le drapeau libanais dont le design a été adopté en 1943.
Les drapeaux du Liban
Concernant le design du drapeau actuel du Liban, adopté en 1943, M. Ourset raconte qu’« à l’origine il y avait deux écoles : les élus nationalistes arabes qui proposaient les couleurs verte, blanche, rouge et noire, sur le modèle des drapeaux arabes ; et les nationalistes libanais qui réclamaient un drapeau distinctif ». Selon le vexillologue, le député Henri Pharaon, consul de l’Empire austro-hongrois à l’époque, a soumis l’idée de prendre le drapeau autrichien avec les deux bandes rouges et d’y apposer au centre l’emblème du Liban, en l’occurrence le cèdre. Joignant l’action à la parole, il le colorie sur un bout de papier. Le blanc fait référence à la neige des montagnes et à la paix. Le cèdre, symbole de la majesté et de la solidité, est entouré de deux bandes rouges représentant le sang versé par les martyrs de l’indépendance. Depuis, le drapeau que le Liban indépendant a choisi subira une seule modification : le tronc du cèdre était marron, il passe au vert en 1995. Par ailleurs, M. Ourset signale que le drapeau de l’émirat du Mont-Liban était composé d’un cèdre vert sur fond blanc. Sous le mandat français (1920-1943), il a pris les couleurs tricolores de la France avec le cèdre au centre du blanc.
Depuis 2021, la Barbade affiche un drapeau où le symbole du Royaume-Uni est banni.
Pro-Russes et opposants
« Un drapeau n’est jamais neutre. Un drapeau n’est jamais muet », comme le dit Michel Pastoureau, historien médiéviste, spécialiste de la symbolique des couleurs, des emblèmes et de l’héraldique. Bill Clinton n’avait pas saisi la symbolique de l’étendard de la révolution roumaine, que les militants démocratiques avaient percé en son centre pour effacer les armoiries communistes honnies. L’un de ces drapeaux, symbole de la révolution de décembre 1989 qui mit fin à la dictature de Nicolae Ceausescu, a été offert par le président du Sénat Petre Roman à Bill Clinton alors de passage à Bucarest en juillet 1997. Dans une lettre, Clinton remercie M. Roman pour le « poncho » offert, un mot qui a surpris et amusé Petre Roman qui déclarera (cité par l’ensemble des quotidiens roumains) :
« Le président américain a dû croire que le drapeau troué était le manteau que portent les gauchos ! »
Que représente le drapeau rouge et blanc exhibé par les manifestants à Minsk en 2020 ? Lors de la réélection contestée du président Loukachenko en 2020 pour un sixième mandat en Biélorussie, on a vu d’une part des milliers d’opposants défiler sous les couleurs blanc-rouge-blanc, le drapeau apparu en mars 1918 après la proclamation de la République populaire de Biélorussie (que l’occupation soviétique et ensuite le président prorusse Loukachenko ont fait disparaître). Les personnes qui marquaient leur soutien au régime brandissaient en revanche le drapeau rouge et vert, inspiré des anciens emblèmes soviétiques et instauré en 1995 par le président qui avait déclaré la guerre au passé nationaliste et le retour à l’héritage soviétique… mais sans faucille ni marteau.
Le plus ancien drapeau national au monde, celui du Danemark, porte le nom de Dannebrog. Photos d’illustration Bigstock
Divorce avec le Royaume-Uni
Le drapeau britannique, surnommé Union Jack ou Union Flag (Jack est l’argot de Flag), représente en fait la constitution du royaume. Il combine les croix des différents saints patrons du pays : la croix de saint Georges pour les Anglais, et celle de saint André pour les Écossais. Après l’union de 1801, ce drapeau fut augmenté de la croix de saint Patrick pour représenter l’Irlande. « La croix de saint Georges n’est pas anglaise, précise Roger Ourset, elle est celle de la république de Gênes qui avait un drapeau blanc avec une croix rouge. Elle avait été ramenée par les marins anglais dans leur pays. »
À la Barbade, ancienne colonie de l’Empire britannique, on a longtemps utilisé un drapeau colonial de couleur bleue avec l’Union Jack dans son coin supérieur gauche. Devenue une république en 2021 et ne reconnaissant ainsi plus la reine Élisabeth II comme son chef d’État, son drapeau actuel comprend désormais trois bandes verticales, dont deux bandes bleues symbolisant le ciel et la mer, et une bande jaune le sable. Quant au trident noir au centre, il symbolise l’indépendance et l’avenir. De même, l’étendard royal représentant la souveraine britannique a été remplacé par un étendard présidentiel.
Le plus vieil hymne national d’Europe… sans paroles
Roger Ourset s’intéresse également aux hymnes nationaux (chants et mélodies) qui accompagnent les drapeaux. Et qui sont devenus des signes d’appartenance, de manifestation d’identité, des symboles de souveraineté et des témoignages de l’indépendance d’un pays. Parmi eux, une bizarrerie qui remonte à très loin : l’hymne national d’Espagne est dépourvu de paroles. La Marcha Real, dont les origines de la mélodie restent inconnues, est muette depuis 250 ans. Cet hymne a été écrit sur papier par Manuel de Espinosa en 1761 dans un recueil intitulé Le livre des sonneries de l’infanterie espagnole. Il est adopté officiellement par le roi Charles III en 1770, ce qui en fait le plus vieil hymne national d’Europe. La Marcha Granadera est alors jouée pour les cérémonies officielles marquées par la présence de la famille royale. Peu à peu, les Espagnols l’ont adoptée et l’ont rebaptisée Marcha Real. Plusieurs tentatives de l’accompagner de paroles ont été proposées, notamment lors des différents Jeux olympiques. En 2008, le comité espagnol suggère de lancer un concours pour adopter un texte officiel, mais l’idée est rejetée. En février 2018, la chanteuse Marta Sánchez propose des paroles, neutres, mais qui soulèvent de nombreux débats. Des pétitions sont lancées pour que le texte soit adopté, en vain. Cette suggestion, arrivée peu de temps après la crise catalane, n’a pas aidé la chanteuse dans sa cause patriotique. Pour décrypter les messages des images et des textes qui sont les reflets des pouvoirs maîtres des nations, Roger Ourset invite les Libanais à se joindre à la Fédération internationale de vexillologie. Un congrès international se tient chaque deux ans dans une ville du monde. Cette année, il aura lieu à Lubiana, capitale de la Slovénie, puis dans deux ans en Chine. Dans quatre ans, Paris en sera le pays hôte.
Roger Ourset a été le moteur du lancement de l’École supérieure des affaires à Clemenceau (ESA), qu’il a pilotée depuis son inauguration en 1996 jusqu’en 2008. Après ses deux passions, la gestion des affaires et l’enseignement, il s’est découvert un véritable intérêt pour les drapeaux et leur symbolique et a rejoint la Fédération française de vexillologie. De passage à…
