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Que sait-on au niveau psychologique et psychosocial des jeunes radicalisés ? – La santé mentale dans les moments difficiles

Que sait-on au niveau psychologique et psychosocial des jeunes radicalisés ?  – La santé mentale dans les moments difficiles

2019-08-17 13:17:30

17 août 201917 août 2019

La radicalisation est un problème très pertinent dans nos sociétés, comme en témoigne ce deuxième anniversaire des attentats en Catalogne, l’analyse des aspects psychologiques et psychosociaux de la radicalisation étant un défi pour les sciences de la santé mentale.

Dans cette perspective, deux études empiriques de qualité ont récemment été publiées en France, ainsi qu’une série d’analyses réalisées à partir de ces études, sur les profils psychologiques et psychosociaux des jeunes radicalisés.

Dans la première enquête, Laurent Bonelli et Fabien Carrié (1) ont développé une vaste étude sur plus de 800 jeunes, dans laquelle ils ont analysé les données de la JIP (Protection Judiciaire de la Jeunesse) de France. Ces auteurs ont obtenu les données de quatre sources :

-mesures pénales pour association liée au terrorisme 175 cas

-mesures civiles en raison du risque de radicalisation des mineurs, 189 cas

-mesures de précaution contre le risque de radicalisation, 364 cas

-mesures de protection des mineurs de parents radicalisés (ils étaient partis en guerre en Syrie…), 140 cas

Sur la base de l’étude réalisée avec les données recueillies, ils suggèrent qu’il existe quatre types de radicalisation :

  1. -la radicalisation compensatoire : elle relève d’une dynamique personnelle, plus individuelle. Ils essaient de se protéger de leurs familles dysfonctionnelles, violentes et précaires. Grâce à la pratique de l’islam, ils trouvent une nouvelle identité plus forte qui augmente leur faible estime de soi
  2. -la radicalisation rebelle : elle est aussi individuelle et s’inscrit dans un contexte de conflit familial aigu. Il est lié aux conflits classiques de l’adolescence
  3. -La radicalisation agnostique : ce sont des jeunes en échec scolaire, proches des gangs et de la petite délinquance, qui connaissent bien le système judiciaire et social. Pour qu’ils admirent le djijadisme, utiliser leur langage leur permet de pouvoir se confronter au système qu’ils sentent opprimer, déstabiliser, effrayer, les professionnels avec qui ils ont affaire. C’est ainsi qu’ils réévaluent
  4. -la radicalisation utopique : elle s’accompagne d’un projet idéologique et politique alternatif à l’ordre social
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Bonelli et Carrié (2018) affirment que la radicalisation utopique est différente des trois autres. Chacun des quatre types de radicalisation a un profil psychologique et psychosocial avec ses propres caractéristiques, et les auteurs cités développent le schéma suivant :

Famille

Groupe

réglementation faible réglementation forte
faible intégration

radicalisation compensatoire

-opposition à la famille pour des raisons liées à la sexualité

-67% de femmes

radicalisation rebelle

– opposition à la structure familiale

-50 hommes et femmes

forte intégrationradicalisation agnostique

-pour les problèmes avec les institutions

-88% hommes

radicalisation utopique

-pour des raisons idéologiques

-69% hommes

Hormis la radicalisation utopique, les trois autres radicalisations sont réactives à des problèmes familiaux et institutionnels et cherchent à provoquer, impressionner, intimider proches, éducateurs (parlant de la puissance du terrorisme djihadiste, des batailles gagnées contre les infidèles en Afghanistan, en Syrie… Quasiment tous les cas sont issus de milieux d’exclusion sociale, de précarité, de graves problèmes de logement, de quartiers sensibles, d’échec scolaire… face à l’avenir difficile qui s’annonce, ils s’installent dans l’immédiateté et la ruée vers l’auto- estime qui leur donne le sentiment d’être liés au mouvement djihadiste

Autrement dit, en récapitulant, à partir de la démarche de ces auteurs, Laurent Bonelli et Fabien Carrié (2018) on pourrait considérer qu’il existe deux types de radicalisés

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-réactif aux situations sociales et personnelles

-les utopistes

Dans un second travail de terrain, développé par l’anthropologue Pouaud (2)* il est également précisé qu’il existe plusieurs types de radicalisés :

1 -radicalisation de l’initiative : ici on n’a pas affaire à des jeunes issus des classes marginales, mais de secteurs ruraux, issus des classes moyennes, sans problèmes scolaires ni familiaux… Ainsi, à Vesoul, dans l’est de la France, une dizaine de jeunes marche pour combattre la Syrie. L’un est fils de militaire, l’autre médecin, pharmacien… Ces jeunes disent qu’ils marchent pour aider le peuple syrien. Le premier à marcher s’immole en février 2015. Pour l’auteur ils veulent vivre une expérience initiatique, hors du commun, un rite de passage. Des cas similaires ont été observés à Lunel et Strasbourg.

2 – la radicalisation métaphysique : c’est un projet de vie. Comme l’a écrit Muhamad Def, l’un des leaders de ce mouvement, “Nous aimons la mort, comme vous aimez la vie”. Ces jiadistes expliquent qu’ils ne savent pas quoi faire de leur vie. De plus, comme le livre l’inclut, F. Koroskavar, souligne que la forte tendance à la laïcité dans la société française les pousse dans le sens inverse

  1. -radicalisation politique : pour beaucoup, par exemple, le conflit arabo-israélien est à l’origine de leur intérêt pour la politique et de leur radicalisation. Ou dans d’autres cas, la situation en Bosnie
  2. -Jeunes avec de graves problèmes psychologiques. Ainsi, en 2015, dans un entretien au journal Le Figaró, un haut gradé de la police affirmait qu’environ 10 % des radicalisés étaient des schizophrènes connus et liait la vague de radicalisation à la suppression des lits pour psychotiques dans les hôpitaux français, conséquence de les problèmes de la réforme psychiatrique en France qui a vidé les hôpitaux psychiatriques sans créer de services de soins pour les psychotiques, ainsi que les coupes dans les soins après la crise économique de 2008
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En tout cas, par rapport à la démarche de Pouaud (2018), il faut noter que la catégorie des jeunes d’origine autochtone qui deviennent des djihadistes radicaux compte très peu de membres, elle existe, mais elle est minoritaire et elle marche aussi avec Daech à la guerre en Syrie ou en Afghanistan. Ces jeunes ne commettent pas d’actions terroristes contre leurs propres concitoyens dans leur propre pays.

Il est significatif de souligner que dans le cas des attentats de Catalogne, contrairement à ceux de France et de Belgique, les jeunes ne sont pas issus de contextes de quartiers marginaux, ou de milieux criminels, ni des classes moyennes. C’est pour cette raison que son étude renverse un plus grand intérêt, puisque les motivations de l’action terroriste sont plus complexes. Malheureusement, il nous manque ici des études du niveau que j’ai commenté dans ce texte, des études qui pourraient très bien servir de guide pour le développement de la recherche.

(1) Bonelli , Laurent and Carrié , Fabien. La fabrique de la radicalité. Une sociologie des jeunes djihadistes françaises. Paris, Seuil. 2018

  1. Pouaud, David. Le espectre de la radicalisation. L’ administration sociale en temps de menace terroriste” Rennes, Presses de l’Ehesp.  2018

Site du psychiatre Joseba Acotegui



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