« Les grilles étaient fermées et des policiers se trouvaient devant l’école. La directrice du centre de loisirs était effondrée, d’autres personnes étaient hébétées, ahuries. On ne nous a rien dit, on est reparties. C’était très impressionnant. » Sophia*, maman d’une élève de moyenne section à l’école maternelle Méhul à Pantin, se souvient « comme si c’était hier » du lundi 23 septembre 2019.
Au matin, le corps de la directrice est retrouvé dans le hall de l’établissement. Christine Renon s’est suicidée durant le week-end, après avoir envoyé une lettre à tous les chefs d’établissements scolaires de la ville.
Elle y écrit sa détresse face à l’accumulation des tâches administratives qui la détournent des élèves, sa solitude face à une hiérarchie sourde. Elle répète sa fatigue, son épuisement.
PODCAST. Suicide de Christine Renon : pourquoi les directeurs d’école se sentent isolés
A mille lieues de l’image qu’en avait Sophia. « Il n’y avait pas un matin où elle n’était pas là. Elle était disponible, pas en retrait. Elle répondait par un grand sourire à chacun. »
« On ne se rend pas compte que certains sont dans une telle souffrance »
La maman, dont la fille est toujours scolarisée à Méhul, se souvient encore : « Avant, je savais que c’était compliqué mais je ne me sentais pas si concernée que ça. Je travaille à l’hôpital, je sais que le service public connaît des difficultés, on fait avec les moyens qu’on a. Mais ce geste m’a fait prendre conscience qu’à l’école, cela peut aller au-delà : on laisse nos enfants dans un univers que l’on pense bienveillant mais on ne se rend pas compte que certains sont dans une telle souffrance. »
Le suicide de Christine Renon — décrite comme une femme forte, une professionnelle solide — créé un électrochoc dans la communauté éducative et au-delà.
Quinze jours après sa mort, 3000 personnes manifestent sous les fenêtres de la direction des services de l’Education nationale de Seine-Saint-Denis, à Bobigny. Convaincus que le dernier geste de la directrice de Méhul était un geste « militant ».
« Christine nous a confié des missions, elle nous a passé un relais, pour que l’on continue à se battre pour ce métier qu’on adore. Et qu’elle adorait également », assure Sandrine Delmas, directrice de l’école Saint-Exupéry à Pantin.
Un an après, son quotidien a-t-il changé ? Elle regarde ses collègues et partage avec elles un regard fatigué, abattu. « A part un alourdissement de nos tâches, je ne vois pas », résume Sandrine Delmas.
La crise du Covid-19 et ses protocoles n’ont rien arrangé
Le suicide de Christine Renon a « rendu visible auprès du grand public les difficultés de nos métiers ». Mais sur le terrain, rien n’a changé ou presque. La crise du Covid, avec les protocoles évoluant au fil des jours, a un peu plus « écrasé » les chefs d’établissement. « Tout repose sur les épaules des directeurs, avec beaucoup de choses à mettre en place. Nous devons gérer en autonomie, il n’y a pas d’allégement », déplorent-elles.
« Quand il n’y a aucune anticipation, aucune gestion d’un point de vue institutionnel, cela retombe sur les équipes », dénonce Sandrine Duran, directrice de l’école Josephine-Baker.
Fin juin, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi créant un statut de directeur d’école (lire ci-dessous). « Mais cela ne répond pas à ce que l’on demande, s’agace-t-elle. L’idée n’est pas d’acter qu’on a beaucoup de travail. On demande des moyens, on demande une aide administrative. »
La prime aux directeurs annoncée par Jean-Michel Blanquer ? « C’était un effet d’annonce », elles en sont persuadées. « Les postes de secrétaire administrative ont été supprimés, ils n’ont pas été remis en place », abonde Marie*, une mère d’élève.
La prime aux directeurs sera versée en novembre
Contacté, le ministère de l’Education nationale précise que cette prime sera versée cet automne, « sans doute en novembre. ».
En juin, de nombreuses mesures techniques visant à « améliorer le quotidien des directeurs » et à « mieux les accompagner », ont par ailleurs été annoncées par Jean-Michel Blanquer, pour la rentrée. Concernant le soutien administratif, le ministère annonce par exemple que le nombre de jeunes en service civique dans les écoles, qui était de 10 000, « passe à 12 500 dès cette année afin de venir en appui aux directeurs. »
Idem concernant les étudiants en pré-professionnalisation — cursus proposés à partir de la licence (L2) aux jeunes se destinant au métier de professeur. « On en avait recruté 700 l’an dernier, et on en recrute 900 supplémentaires cette année. Ce sont des jeunes qui, au fil de l’avancée de leur formation, peuvent prendre en charge des petits groupes d’élèves, notamment dans les classes de directeur », précise le ministère.
Une marche « revendicative » ce samedi
Samedi, le collectif Christine Renon organise une marche** « revendicative », dans les rues de Pantin. « Cette marche (NDLR : contre l’oubli, pour la jeunesse et l’éducation) est un hommage mais nous voulons aussi dire qu’il ne s’est rien passé depuis, précise Marie. Et que cela concerne tous les enfants. Nous continuons à demander des moyens pour la Seine-Saint-Denis. »
Ce collectif illustre la solidarité qui s’est nouée entre directeurs, enseignants et parents d’élèves. « On réfléchit ensemble, sans s’opposer les uns aux autres. » Et pour l’accompagnement psychologique, les anciennes collègues de Christine Renon n’attendent rien de leur hiérarchie. « On le fait entre nous. L’accompagnement, c’est sur le groupe WhatsApp des directrices. »
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes
** Départ à 14 heures du métro Aubervilliers-Pantin-Quatre-Chemins et marche jusqu’à l’école Méhul. Prises de parole à 16 heures.
2020-09-22 10:00:00
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