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“Pain au chocolat” ou “chocolatine” ? Les Deux-Sèvres partagées entre deux appellations

“Pain au chocolat” ou “chocolatine” ? Les Deux-Sèvres partagées entre deux appellations

Une boulangerie en Deux-Sèvres se distingue par une singularité. Ici, on ne vend pas de pains au chocolat, cette ô combien délicieuse viennoiserie croustillante, beurrée et chocolatée. A la boulangerie Gudin d’Argenton-l’Eglise, dans le Thouarsais, on ne trouvera Quels chocolats ! Deux appellations pour un même produit qui ont suscité un véritable ramdam quand la femme du boulanger, originaire du sud de la France, de Tarbes s’est amusée à accoler les deux étiquettes : « chocolatine » à 1,15 € et « pain au chocolat » à 5 €. L’écriteau « pain au chocolat » est généralement dans la réserve, « on le ressort de temps en temps pour rigoler » s’amuse l’employée.
Voiture en Deux-Sèvres, à la très grande majorité, on dit « pain au chocolat » même si, au sud du département, la « chocolatine » gagne du terraincomme en témoigne Emmanuel Gripon, boulanger à Melle et représentant de la profession.

« Je pense que c’est la chocolatine qui va gagner ! »

Le regard d’Emmanuel Gripon, boulanger dans les Deux-Sèvres à Melle, avec ses casquettes de président départemental et régional de la fédération des boulangers et vice-président national, est particulièrement intéressant. « Bon, cette histoire d’appellation, c’est plus un amusement qu’autre chose », lance-t-il d’emblée.

Le Deux-Sévrien n’a pas l’ombre d’une hésitation : « Moi, je suis originaire de la Touraine. C’est clair, je fabrique des pains au chocolat » dans sa boulangerie de Melle. « Mais à vue de nez, je dirais qu’à 60 %, les clients me demandent des chocolatines. » Sans que cela ne suscite d’incompréhension. Au contraire. « Franchement, c’est sans importance. C’est même plutôt amusant. »

Mais alors, quand le président départemental de la fédération de la boulangerie des Deux-Sèvres revêt sa caquette de président régional de Nouvelle-Aquitaine, avec un sud-ouest très « chocolatine », qu’en est-il ? « En fait, entre professionnels, on parle de viennoiseries donc ce n’est pas un problème. »

Et dans les instances nationales où il vient d’être élu premier vice-président de la confédération nationale de la boulangerie ? « À Paris, c’est le pain au chocolat sans hésiter. »

Reste que pour le boulanger mellois, « je pense qu’à long terme, la chocolatine va gagner. Déjà, le genre est féminin. C’est plus agréable, romantique de dire une chocolatine qu’un pain au chocolat. D’ailleurs, les enfants disent plus chocolatine ! ».

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Amusé par la richesse de ces appellations régionales parfois très différentes en France pour désigner un même objet, le linguiste Mathieu Avanzinatif de Chambéry a décidé de s’y pencher en 2015 avec le plus grand sérieux à travers des enquêtes participatives. Succès immédiat, notamment dû à la question « pain au chocolat/chocolatine », comme il l’explique avec un enthousiasme intact depuis la Suisse où il enseigne actuellement (lire ci-dessous). Le sujet a suscité intérêt, curiosité, débats passionnés et beaucoup de rires en découvrant les mots ou expressions colorés utilisés d’un bout à l’autre de l’Hexagone. Chacun est d’ailleurs toujours invité à enrichir la base de données, notamment à travers la nouvelle appli.

32 % de chocolatines au sud

De toutes ces données, ont été établies des cartes. D’où il ressort que si l’appellation est très tranchée dans certains départements, tout « pain au chocolat » ou tout « chocolatine », ce n’est pas le cas des Deux-Sèvres, aux confins de deux influencestraversé par les deux appellations. « Le département des Deux-Sèvres est une zone tampon, un peu avec des influences venues du sud et du nord » observe-t-il.

Dans les Deux-Sèvres, l’appellation “chocolatine” gagne par le sud. Mais au-delà de Niort, dans le centre du département et dans le nord, c’est “pain au chocolat”.
© Infographie NR, source ” L’ Atlas du français de nos régions ” de Mathieu Avanzi.

Alors sans discussion, sur la carte des Deux-Sèvres, c’est le « pain au chocolat » qui l’emporte haut la main, dans le centre et au nord.

Au sud, « on voit, en Deux-Sèvres, que c’est le point le plus en bas, dans la région de Niort, où il y a le plus de chocolatines » observe Mathieu Avanzi. « 32 % des gens qui ont grandi dans l’arrondissement de Niort disent chocolatines. Il y a peut-être des gens originaires de Niort dont les parents ont vécu plus au sud » (1).

A Parthenay, Thouars et Bressuire, c’est “pain au chocolat”

En revanche, à remonter en Deux-Sèvres, « dans les deux autres arrondissements de Parthenay et Bressuire, il n’y a quasiment zéro chocolatine. C’est typique des zones de transition ». Dans l’arrondissement de Parthenay, « on voit 0 % de chocolatine ». Quant à celui de Bressuire, « 5 % des répondants disent chocolatines ». Celui-ci englobant Thouars, le linguiste s’amuse de l’anecdote avec la boulangerie thouarsaise (qui en fait partie) : « Cela explique peut-être qu’on trouve un peu de chocolatines dans l’arrondissement de Bressuire ! »
(1) Les enquêtes demandent aux « répondants » où ils ont vécu la plus grande partie de leur jeunesse. 43 personnes ont répondu pour l’arrondissement de Niort ; 40 pour celui de Bressuire et 20 pour celui de Parthenay.

Certains ne plaisantent pas avec le pain au chocolat (ou manquent d’humour)

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À la boulangerie Gudin à Argenton-l’Église, le mot écrit, c’est donc “chocolatine”, ramené du sud d’où est originaire madame. Et quand elle place parfois à côté « pain au chocolat » avec un prix cinq fois plus élevé, c’est pour rigoler, car tout le monde paye le même prix.

Si la blague fait sourire en magasin, ce n’est pas toujours le cas sur le web. En témoignent des avis en ligne sur la boulangerie : « Restez dans votre région si vous voulez parler de chocolatines. Ici on dit pain au chocolat. » Ou encore : « Chocolatine ?… Désolé, je ne parle pas anglais ! » et « S’ils vendent des chocolatines où sont passés les raisintines ? » Certains parlent de « vol » ou s’interrogent sur la légalité de cette différence de prix…

Une belle démonstration qu’il est toujours mieux d’engager une conversation que de se fendre d’un commentaire erroné derrière son ordinateur.

••• Participez aux enquêtes avec l’appli !

Le linguiste Mathieu Avanzi, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages, qui a grandement participé à rendre célèbres les appellations régionales bigarrées, relate cette aventure. « On a commencé en 2015 avec plusieurs linguistes de Strasbourg, Nanterre, de la Sorbonne. À l’époque, moi, j’étais à Zurich. Dans cette toute première enquête sur Internet, il y avait le pain au chocolat ou la chocolatine. C’est la question qui a fait le plus de bruit. Le sujet était vraiment clivant ! Elle a beaucoup été relayée sur les réseaux sociaux et dans les médias. »

“Les régionalismes sont souvent des mots de l’enfance”

Le groupe de scientifiques s’est appuyé sur les sciences participatives qui invitent la population à y prendre part. « Nous demandons aux personnes qui participent le code postal de la ville où elles ont passé la plus grande partie de leur jeunesse. » Car « les régionalismes sont souvent des mots de l’enfance, des mots de la famille. C’est souvent au moment de l’enfance que les particularismes s’acquièrent. Si votre mère a toujours dit chocolatine, vous direz chocolatine ».

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Les premières enquêtes en ligne ont généré un blog, francaisdenosregions.comtenu par le linguiste avec des déclinaisons sur les réseaux sociaux et des livres à succès dont (entre autres) “Comme on dit chez nous – Le grand livre du français de nos régions” (Le Robert) préfacé par Alain Rey ou encore l’ “Atlas du français de nos régions” (Armand Colin).

Et la rose, vous le dites comment ?

Depuis novembre 2021, une application pour téléphones portables a été lancée. Même succès fulgurant. Chacun peut répondre à des enquêtes en ligne sur les mots et expressions qu’il utilise avec un côté ludique. Mais l’application permet d’aller plus loin, en demandant aux participants pour un même mot comment ils le prononcent. Exemple : est-ce que vous dites « rose » avec un « o » ouvert ou fermé comme dans « eau » ou « port » ? Il suffit de s’enregistrer.

.« Nous avons déjà reçu 200.000 enregistrements »se réjouit Mathieu Avanzi qui va essayer de dégager du temps et trouver des financements pour pouvoir exploiter cette base de données. « L’idée est de réaliser un atlas sonore de la langue française » avec les particularités des régions « qui sera mis en ligne sur le blog francaisdenosregions.com ».

REPRÉSENTANT

  • Mathieu Avenzi est actuellement professeur ordinaire à la faculté des lettres et sciences humaines de l’université de Neuchâtel en Suisse et directeur du Centre de dialectologie et d’étude du français régional.
  • Auparavant, il était maître de conférences en linguistique française à l’UFR de Langue française, de la faculté des lettres de Sorbonne à Paris.
  • Ses travaux de recherche portent sur “la variation du français dans l’espace”qu’il s’agisse d’expressions ou de mots différents pour désigner une même chose ou de variations sonores autour d’un même mot.
  • Il tient le blog françaisdenosregions.com
  • Sur les réseaux sociaux, il est présent sur Twitter ici et Être ; sur instagram par là ; comme sur Facebook.


2022-07-04 10:00:00
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