notre journaliste a pris le premier train de nuit entre Bruxelles et Berlin

Notre pays dispose depuis jeudi d’une deuxième liaison ferroviaire de nuit avec l’European Sleeper entre Bruxelles et Berlin. Les initiateurs belgo-néerlandais veulent élargir rapidement leur offre, mais des soucis pratiques empêchent une véritable renaissance du train de nuit. “Cela n’a jamais fonctionné dans le passé.”

Lorsque l’European Sleeper déferle dans la gare berlinoise de Lichtenberg jeudi soir, des passionnés de train émus lèvent dans les airs leurs gobelets en plastique remplis de vin mousseux. Bien que la liaison ferroviaire vers Bruxelles soit toute nouvelle, il semble que les passionnés se préparent à un voyage dans le passé. Sur les wagons rouillés – construits en 1955 – seul le logo blanc éclatant de l’European Sleeper révèle que l’infrastructure a été récemment retravaillée. Les couloirs étroits à côté des compartiments, avec leurs tapis moisis et leurs photographies en ruine de monuments tchèques, montrent à quoi ressemblerait l’Orient Express si un architecte soviétique l’avait conçu. Pour de nombreux passagers du train, cependant, cela fait partie du charme.

« Enfant, je prenais souvent le train de nuit entre Dresde et Stuttgart », raconte Myriam, la quarantaine, en demandant aux autres passagers de son compartiment d’écrire quelque chose de doux sur son billet imprimé. “Je voulais revivre ce sentiment et j’ai réussi.”

La nostalgie n’est pas une surprise. La gamme de trains de nuit en Europe était aussi étendue qu’elle était populaire au siècle dernier. Cependant, la libéralisation des chemins de fer dans les années 1990 a alourdi les risques financiers et a conduit les compagnies ferroviaires nationales à se considérer de plus en plus comme des concurrents. De nombreux partenariats ont été rompus et avec l’avènement des compagnies aériennes à bas prix dans l’aviation, le besoin de trains de nuit semblait appartenir au passé.

Quand le principal opérateur de trains de nuit en Europe renonce en 2016, le duo hollandais Chris Engelsman et Elmer van Buuren veut apporter un contrepoids. Ils s’associent à la compagnie belge Moonlight Express pour lancer leur propre train de nuit. C’est plus facile à dire qu’à faire. Chaque pays décide lui-même de ce qu’il advient de la capacité de ses chemins de fer et la concertation n’est pas toujours aisée. La Belgique donne la priorité au transport international, alors que les Pays-Bas lui laissent très peu de place.

De plus, European Sleeper doit chercher des wagons et une locomotive. Concevoir et faire construire un nouveau modèle prend sept ans et coûte plus de 110 millions d’euros. Cela explique pourquoi European Sleeper loue les anciens wagons nu d’Allemagne et de Slovaquie. Ce n’est que plus tard que l’entreprise convertira d’autres trains et concevra de nouveaux modèles. «Nous voulions démarrer rapidement et montrer aux voyageurs et aux investisseurs que le train de nuit peut circuler», explique Engelsman.

Un voyage avec l’European Sleeper est charmant, mais pas très luxueux. Le premier voyage ressemble à un camp de scouts sur rails avec des passagers sautillant avec enthousiasme et plaisantant sur les inconvénients pratiques qui accompagnent une infrastructure aussi ancienne. La seule question est de savoir si le grand public est aussi si tolérant. Sur le trajet entre Bruxelles et Berlin, une place dans un compartiment de six personnes coûte au moins 69 euros. Les prix des couchettes ou des couchages commencent respectivement à 99 et 139 euros pour un aller simple. Ce sont des montants considérables qui sont environ deux fois plus élevés qu’avec les compagnies aériennes.

«Bien sûr, vous économisez sur les frais d’hôtel et vous avez plus de temps pour les activités», explique Lieve Pillen (63 ans), qui travaille comme guide de voyage à Berlin depuis 36 ans. Dans le train, elle dit qu’il y a effectivement une demande d’alternatives aux vols polluants. D’autant plus que le voyage en train offre une expérience que peu oublient rapidement.

“Je n’aurais jamais pensé que l’on pouvait voyager de manière aussi authentique”, déclare le touriste australien Aaron (38 ans) lorsqu’il se laisse tomber dans l’étroite couchette de son compartiment. “Je préfère les expériences au luxe de toute façon.” Une attitude qui s’avère pratique lorsque l’électricité est coupée plus tard dans la nuit.

Soutien du gouvernement

Le gouvernement belge soutiendra les fournisseurs de trains de nuit. European Sleeper n’a pas encore reçu de subventions, mais à l’avenir, l’entreprise pourra faire usage de la loi votée jeudi au Parlement. Désormais, le gouvernement interviendra sur l’indemnité de sillon et les coûts énergétiques des trains de nuit. Le ministre de la Mobilité Georges Gilkinet (Ecolo) met à disposition pour cela un budget annuel de 2 millions d’euros.

Il semble qu’il soit de plus en plus intéressant d’étendre les liaisons en train de nuit, mais Alexander Gomme de Back on Track craint qu’aucun changement majeur ne soit imminent. Avec son organisation, il plaide pour un éventail plus large et pointe les enjeux financiers. « Réaliser un profit est presque impossible. Les investissements dans les infrastructures sont très importants et avoir du personnel pour travailler la nuit coûte cher. Gomme voit donc plus d’avantages dans un institut européen capable de contrôler le trafic ferroviaire international. “Je soutiens European Sleeper, mais de telles initiatives ont connu des difficultés dans le passé.”

Engelsman le voit différemment. « Nous visons largement, mais nous n’avons pas à toucher tout le monde. Si 1% des passagers sont transférés de l’aviation, l’ensemble du réseau ferroviaire sera plein. Et avec tous ses rêves, lui et son train foncent dans la nuit.