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Miquel Barceló : Entre Art et Vie

Miquel Barceló : Entre Art et Vie
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Francisca Artigues, sa mère

Sa mère, Francisca Artigues, peintre de paysages, lui a ouvert les portes du monde de l’art. «Elle m’a fait entièrement confiance quand je me suis lancé. J’étais un peu angoissé. Je me demandais si j’allais parvenir à gagner ma vie. Sa confiance m’a porté. J’ai eu la chance, tout jeune, d’avoir en outre à ma disposition des tubes de peinture, un chevalet et plein de livres d’art autour de moi. Cette intimité précoce avec l’art m’a permis de plonger tout naturellement dans le grand bain de la peinture. Quand elle est devenue mon métier, ma mère a arrêté de peindre pour se lancer dans la broderie. C’était une sorte de passage de témoin.»

Chez lui, tout jeune, la peinture est étroitement associée à l’excitation et à une forme d’inquiétude. «Une grande excitation mêlée à un fond d’angoisse. Peindre, c’est une pulsion qui te prend tout entier, comme le sexe ou la drogue. C’est en cela que la peinture est addictive. Elle me plonge dans un état auquel aucune autre activité ne me permet d’accéder. On ne se libère jamais complètement de cette inquiétude. Même à plus de 60 ans.»

La maison de Felanitx

Miquel Barcelo semble attacher presque autant d’importance à la présence des animaux, qui vivent autour de lui, et aux maisons qu’il a habitées qu’aux rencontres humaines. La grande maison familiale de Felanitx, «qui sentait la peinture à l’huile», occupe une place particulière dans sa vie.

«C’est dans le village de Felanitx, qu’en jeune homme prétentieux j’écrivais «FelaNietzsche», que je suis né. Cette grande demeure, bâtie au XVIIIe siècle, se compose de plusieurs maisons qui ont été réunies. Très tôt, j’ai eu un étage entier, délabré, en guise d’atelier. L’espace est devenu un luxe pour les jeunes générations du fait de l’explosion des prix de l’immobilier. A l’époque, nous n’avions pas besoin d’être riches pour avoir de l’espace. Les artistes de ma génération ont eu la chance de trouver des grands espaces abordables à Paris, Barcelone et New York. A Manhattan, on pouvait louer une usine pour trois fois rien.»

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La maison de Gogoli

A l’âge de 27 ans, déjà célèbre et trop sollicité par ses galeristes Bruno Bischofberger, Yvon Lambert et Léo Castelli, il prend la poudre d’escampette direction le Mali. Une révélation. Chez les Dogons, il retrouve le monde de son enfance, sans la mer, mais avec des grottes et des falaises. «Une cosmogonie extraordinaire. J’ai toute de suite été fasciné. J’ai commencé à me documenter en lisant Marcel Griaul, Michel Leiris, tout ce que je trouvais sur les Dogons et aussi en discutant avec de vieux sages. Au Mali, comme à Majorque à la fin des années 1950, la vie était restée, comme il y a cent ou deux cents ans, rythmée par les cycles agricoles.»

A Gogoli, Miquel Barcelo se fait construire une maison en pierres, recouverte de terre crue et de paille. Une maison organique et un peu bancale. «En pays dogon, les maisons sont conçues comme des corps humains avec un cœur, une tête et des membres. Ces constructions sont longuement mûries. Elles sont le fruit d’une grande sagesse et d’une cosmogonie extraordinaire. Les plans de ma maison ont d’abord été dessinés sur le sol terreux, par de vieux Dogons barbus, à l’aide de bâtonnets. Elle a été élevée, ensuite, à l’écart du village, sur la falaise, un peu à la manière des maisons des forgerons, ces hommes à la fois sorciers et artistes, proches de mon univers.»

Les Dogons

Au Mali, l’artiste se prend d’amitié pour le vieux De Bamon, son cuisinier, analphabète et grand connaisseur de bière dogon et des arcanes de l’animisme dogon. «Il avait fait les 400 coups. Il aimait la vie et les femmes. C’était un personnage à l’image de ceux que l’on rencontre dans la Bible». Miquel Barcelo fréquente aussi Abinou, guérisseur et rebouteux. «C’est lui qui m’a soigné quand j’ai été piqué par un scorpion. C’est lui aussi qui fabriquait les caisses dans lesquelles je transportais mes céramiques. Aucune d’entre elles n’a jamais été endommagée lors des transports. C’était un analphabète, et un grand sage.»

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Galeristes, peintres et écrivains

Une année, son marchand suisse, Bruno Bischofberger, est venu lui rendre visite au Mali. «J’avais noué une véritable amitié avec lui. Avec Léo Castelli, c’était plus difficile du fait de la distance, sa galerie étant à New York. Le marchand américain n’avait que sept ou huit artistes dans sa galerie dont Andy Warhol, Jasper Johns et Roy Lichtenstein. J’avais 26 ans et je trouvais cela merveilleux d’évoluer au milieu d’un pareil aréopage. Castelli traitait les artistes avec beaucoup d’égards. Aujourd’hui, je travaille avec Thaddaeus Ropac en Europe, et Acquavella aux Etats-Unis.»

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L’écrivain Hervé Guibert est, lui aussi, venu retrouver Barcelo en pays dogon. «Nous sommes devenus amis, en 1990, au moment où il a publié A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Ce livre m’avait remué. Je n’avais encore rien lu de similaire dans la littérature contemporaine. Un proche m’a dit à ce moment que l’écrivain était un grand fan de ma peinture. Nous sommes restés de grands amis jusqu’à sa disparition en 1991.»

Après l’atelier, ou la pratique de la plongée sous-marine, c’est le temps de la lecture qui contribue à son équilibre intérieur. «Je me vide en peignant et je me remplis en lisant. J’ai lu très jeune Jules Vernes et son Voyage au centre de la terre et Edgar Poe. J’ai aussi lu beaucoup de poésies qui nourrissent mon travail. J’ai toujours eu des amis poètes. Je viens de lire un livre extraordinaire d’un auteur colombien, Tomas Gonzalez, La Lumière difficilequi évoque un peintre. C’est peut-être l’un des portraits de peintre les plus justes que je n’ai jamais lus. Je lis aussi des vies de peintres, le journal de Delacroix et les écrits du peintre et poète italien Filippo de Pisis notamment.»

Genève

En 2007-2008, à Genève, la star internationale est chargée de peindre la coupole de la salle XX du Palais des Nations, pompeusement rebaptisée «coupole des droits de l’homme et de l’alliance des civilisations». «Au début, j’ai détesté Genève. Mon travail avançait très lentement. Je ne m’en sortais pas: une coupole de 1500 m² qu’il nous a fallu peindre avec des dizaines de tonnes de peinture, rouge, verte, jaune et des centaines de kilos de lapis-lazuli. Au bout de quelques mois, j’ai dû tout recommencer. Genève est une ville qui ne se livre pas d’emblée. Il faut prendre son temps. Après quelques semaines, je l’ai trouvée magnifique. Je me promenais en vélo dans la ville et au bord du lac. Je m’y suis fait des amis.»

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Les bisons d’Altamira

Miquel Barcelo aime aussi passer du temps dans des grottes. «Il y a beaucoup de grottes chez moi à Majorque qui est une île calcaire. Je suis fasciné par les peintures rupestres. Il y a 15 jours, j’ai visité la grotte d’Altamira, près de Santander en Espagne. Je l’avais déjà vue quand j’avais 25 ans. Elle est impressionnante avec tous ces bisons rouges peints il y a 14 000 ans. Il n’y a pas de progrès en art. Nous en avons la preuve en visitant ces lieux. Quand on voit la grotte Chauvet et ses œuvres extraordinaires, on ne peut que concevoir l’histoire de l’art comme une lente décadence. Il est difficile de retrouver une telle acuité, une telle compréhension du monde animal. Chaque lion figuré a une apparence différente, une attitude et une identité différentes. Dans l’art égyptien ou dans l’art baroque, les chevaux sont tous figurés de la même façon. Les artistes de la préhistoire peignaient ces animaux comme s’ils étaient des membres de leurs familles. Les hommes sont absents de ces représentations. Cela me réjouit que les animaux prennent, ici, plus de place que les hommes.»


Parcours

Né en 1957 à Majorque, Miquel Barcelo, reconnu très jeune comme un peintre important, a connu la célébrité à moins de 30 ans. Pressé par ses galeristes et collectionneurs, il fuit en Afrique et s’établit, en 1990, au Mali, à 27 ans. Dans les années 1990, le peintre, sculpteur, céramiste et graveur partage sa vie entre le Mali (qu’il a finalement dû quitter en raison des tensions et affrontements armés), Paris et Majorque où il vit toujours.


A lire:
Miquel Barceló De ma vie. Traits et portraits, Mercure de France, décembre 2023.

A voir:
Exposition. «Scarifications. Miquel Barcelo & le Musée Barbier-Mueller»Musée Barbier-Mueller, Genève, jusqu’au 21 avril 2024.

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