Le Québec compte désormais une trentaine de cas de rougeole depuis le début de l’année. Bien que ce nombre puisse sembler faible, les éclosions de rougeole indiquent une couverture vaccinale insuffisante. Interview avec l’anthropologue et titulaire de la Chaire IRSC en santé publique appliquée sur l’anthropologie des enjeux de la vaccination INSPQ-ULaval, Ève Dubé.
1. Êtes-vous surprise de voir la résurgence de la rougeole et de constater que les taux de vaccination des jeunes enfants sont sous-optimaux à certains endroits?
En regardant les données de couverture vaccinale chez les jeunes enfants, on constate qu’environ neuf enfants sur dix ont reçu tous les vaccins, ou peut-être juste une dose manque.
Nous avons observé une diminution du taux de vaccination pendant la pandémie. Cependant, les taux sont ensuite revenus à ce qu’ils étaient avant.
Il y a toujours eu une partie des parents hésitante quant à la vaccination. Avant la pandémie, il y a également eu des éclosions de rougeole, y compris au Québec, associées à des groupes moins bien vaccinés. Donc, ce n’est pas nouveau.
On l’oublie, mais en 2019, l’SGD avait déclaré que l’hésitation à la vaccination était l’une des cinq plus grandes menaces à la santé des populations.
Avant la pandémie, on pensait que la plupart des parents faisaient vacciner leurs enfants, que c’était la chose normale à faire. Maintenant, il semble que ces affirmations doivent être nuancées. Tout ce que nous pensions avant la pandémie doit maintenant être remis en question. Ce fut une crise majeure et nous n’avons pas encore mesuré tous les impacts.
2. La publication d’une étude en 1998 liant la vaccination à l’autisme a été retirée en raison de données falsifiées. Cela a beaucoup alimenté l’hésitation vaccinale. Dans quelle mesure la pandémie de COVID-19 et la polarisation entourant la vaccination contribuent-elles également à l’hésitation vaccinale?
Avant la pandémie, la vaccination était une affaire de parents et de bébés, ce n’était pas vraiment discuté dans d’autres circonstances. Maintenant, c’est une question qui préoccupe tout le monde, qui polarise les gens. Cela favorise la diffusion d’anecdotes et de fausses informations.
Ce que nous comprenons mal actuellement, c’est l’impact de la pandémie (Nouvelle fenêtre) sur les attitudes et les comportements des parents concernant la vaccination. Lorsque nous interrogeons les parents [depuis la pandémie], nous observons une plus grande méfiance envers les vaccins, mais aussi plus largement envers les autorités sanitaires et le gouvernement.
Dans nos études, nous avons déjà observé des différences générationnelles en matière de confiance et d’attitudes à l’égard de la vaccination. Comment les nouveaux parents [depuis la pandémie] envisagent-ils la vaccination? Nous aurons probablement une meilleure idée dans les mois et années à venir.
3. Pourquoi certains parents hésitent-ils à faire vacciner leurs enfants?
Nous savons que lorsque nous demandons aux parents pourquoi ils n’ont pas fait vacciner leurs enfants, ils ont des craintes concernant la sécurité des vaccins, les risques et les effets secondaires tels que la douleur et la fièvre.
Il existe encore des mythes persistants mentionnés par certains parents aujourd’hui.
Notamment la perception qu’il n’est pas nécessaire de vacciner son enfant car il est en bonne santé, car les maladies ont disparu.
Nous savons que [ces mythes] ne sont pas prouvés scientifiquement, mais ils préoccupent beaucoup les parents.
31 % des parents canadiens estiment qu’il est préférable que les enfants développent leur immunité à partir d’infections naturelles plutôt que de vaccins.
4. Grâce à la vaccination, il y a presque plus de maladies infectieuses au Canada telles que la rougeole, la coqueluche et la polio. Cela joue-t-il contre les autorités sanitaires et les campagnes de sensibilisation?
Oui, tout à fait. On parle de la vaccination est victime de son succès
. Pour certaines maladies comme la poliomyélite, par exemple, plus personne ne connaît quelqu’un qui a eu la polio.
Les gens ne voient plus ces maladies et se concentrent davantage sur les risques des vaccins. Ils se demandent : pourquoi continuer à vacciner mon enfant?
En même temps, il y a un paradoxe, car avec de nouveaux vaccins, les gens sont plus inquiets car ils disent que c’est nouveau, non testé, ils vont attendre un peu.
D’un autre côté, le vaccin contre la rougeole est utilisé depuis les années 1970. Nous avons beaucoup d’informations, nous sommes très confiants dans les preuves scientifiques, nous connaissons les effets secondaires possibles.
5. D’ailleurs, s’il y a autant de preuves scientifiques des bienfaits de la vaccination, pourquoi y a-t-il autant d’hésitation vaccinale?
C’est parce que ce n’est pas une question scientifique, mais une réaction émotionnelle basée sur des croyances plus larges sur la santé. Ainsi, même lorsque des preuves sont présentées, une personne justifiera son refus de se faire vacciner par d’autres raisons.
Les gens sont très sensibles aux anecdotes, bien plus qu’aux faits scientifiques. Dans mes recherches, j’ai constaté que la décision de se faire vacciner ou non est largement basée sur les expériences vécues : ce qui s’est passé avec son cousin, son ami qui s’est fait vacciner et a eu des complications.
Il est essentiel d’avoir des informations précises pour prendre des décisions éclairées. Pour la plupart des parents qui ne sont pas nécessairement très méfiants, la présentation de preuves scientifiques suffira souvent à les rassurer.
Il faut personnaliser l’information. Parce que si l’on parle de la sécurité des vaccins alors que la personne veut simplement savoir si son bébé aura mal, nous ne répondons pas à ses questions.
Parmi les parents canadiens qui n’ont pas fait vacciner leurs enfants :
54 % ne l’ont pas fait en raison des risques associés aux vaccins
33 % disent ne pas avoir confiance en l’utilité ou l’efficacité des vaccins
6. Doit-on revoir notre approche pour réduire l’hésitation vaccinale?
Traditionnellement, de nombreux efforts ont été déployés pour améliorer l’accès aux services de santé. On pensait que si c’était facile de prendre un rendez-vous, si des rappels étaient faits, nous réussirions à vacciner tout le monde. Mais même si les services sont disponibles, certains parents refusent de faire vacciner leurs enfants.
Nous savons également que les professionnels de la santé ont un rôle crucial à jouer. Si notre médecin de famille parle de la vaccination de manière positive, cela sera souvent un facteur déterminant.
Enfin, nous oublions qu’il y a de nombreuses barrières à l’accès et des groupes moins bien atteints. Pendant la pandémie, nous avons vu qu’il fallait passer par des intermédiaires de la communauté, des associations, des maisons familiales. Ces personnes ont déjà des relations de confiance avec la population et peuvent mieux communiquer et adapter l’information aux réalités du terrain.
Les écoles sont un excellent point d’entrée. Un appel de l’infirmière scolaire pour répondre à vos questions n’a pas le même impact que de recevoir une lettre du centre de services scolaire.
Il est également important de fournir aux professionnels les outils nécessaires pour aborder l’hésitation vaccinale. Je prends l’exemple d’une mère avec sept enfants. Elle avait refusé le vaccin contre la coqueluche pour son premier enfant. Tous ses enfants ont eu la coqueluche et elle a alors changé d’avis sur la vaccination. Elle a raconté que personne ne lui avait parlé de vaccination après son premier refus. On avait présumé que l’opinion de cette mère et des gens ne changerait pas avec le temps.
Si nous sommes actuellement dans l’urgence de contrôler les éclosions de rougeole, nous aurons du travail à faire pour promouvoir la vaccination, car avec les maladies infectieuses, ce n’est jamais terminé.
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2024-03-24 11:01:20