France – Le suivi 2020-2021 d’une file active francilienne [1] de 12 942 patients vivant avec le VIH (PVVIH) montre une incidence annuelle moyenne de 7,8 décès pour 1 000 personnes, les principaux facteurs de risque étant le vieillissement de la population, les antécédents de Sida et le moins bon contrôle viro-immunologique. Au vu de l’évolution des chiffres depuis une vingtaine d’années, et face au vieillissement continuel de la population PVVIH, la place des généralistes doit être renforcée dans ce suivi. Le Docteur Pierre Sellier (département Maladies Infectieuses et Tropicales, Saint-Louis/Lariboisière-Fernand Widal, Paris et COREVIH Ile-de-France Est), premier auteur de cette étude, en évoque les principaux résultats et enseignements pour la pratique clinique.
Quelles sont aujourd’hui les principales causes de décès dans la population des PVVIH dans votre cohorte ?
Dr Pierre Sellier : Nos résultats confirment l’impact différentiel du traitement antirétroviral sur les taux de mortalité toutes causes confondues depuis l’avènement des antirétroviraux (ART). La mortalité liée aux affections classant Sida ne représente plus que 10 % du total des décès, chiffre qui est en baisse constante depuis pratiquement vingt ans. Aujourd’hui, les tumeurs malignes non liées aux virus des hépatites et non classant Sida sont devenues la principale cause de décès, représentant un quart des cas. Ce sont surtout des cancers associés au vieillissement et au tabagisme, comme ceux touchant la sphère ORL, les poumons et le tissu urothélial. Il y a désormais très peu de décès par hépatocarcinomes : ils représentent seulement 3 % des décès, grâce aux traitements actuels des hépatites virales.
La seconde cause de décès sur cette période 2020-2021 était les infections, en premier lieu par le Covid-19, alors que durant la pandémie, le VIH ne faisait pas partie des pathologies à risque de forme grave. Comment l’expliquez-vous ?
Dr Pierre Sellier : En effet, 19% des décès étaient des infections non-classantes Sida dont plus de la moitié était des cas de Covid-19. À l’époque de la pandémie, les études étaient discordantes et un surrisque de décès a été décrit dans certaines populations européennes. Notre série confirme ce qui a été décrit par ailleurs par Santé Publique France, à savoir que les décès par Covid-19 dans la population PVVIH ont eu lieu dans une population fortement comorbide atteinte de diabète, de maladie cardiovasculaire ou de cancers. C’est en quelque sorte un phénomène de compétition, puisque ces patients seraient décédés de leur comorbidités si la pandémie n’était pas survenue. Les autres causes d’infection étaient communautaires, à type d’infections pulmonaires, de pyélonéphrites ou de prostatites.
Les données obtenues auprès de cette cohorte francilienne sont-elles transposables au reste de la population PVVIH française ?
Dr Pierre Sellier : Notre cohorte correspond à la file active de notre COREVIH, qui est l’un des 5 implantés au niveau Francilien. Elle représente environ 10 % des PVVIH pris en charge au niveau national ; elle est donc assez représentative quand on sait que l’infection VIH n’est pas répartie uniformément sur le territoire métropolitain, mais concentrée en région francilienne, dans le sud de la France et dans quelques grands centres. La population sub-Saharienne est probablement un peu plus représentée dans notre COREVIH que dans les grands centres de province, et ces patients sont aussi globalement plus jeunes. Cela suggère que les chiffres de mortalité de notre étude sont peut-être plus faibles par rapport à ceux que l’on retrouverait au niveau national.
Quel est aujourd’hui le rôle du généraliste auprès de ces patients et quels sont les points de vigilance à avoir concernant le suivi de ces patients ?
Dr Pierre Sellier : La majorité des PVVIH ayant aujourd’hui une espérance de vie voisine de la population séronégative, les files actives hospitalières augmentent. Leur suivi doit aujourd’hui être conjoint et coordonné entre l’hôpital et la ville, comme le rappellent les recommandations des rapports d’experts ou des sociétés savantes sur le rôle du médecin généraliste dans le parcours de soins des sujets PVVIH. Schématiquement, leur suivi repose sur une visite annuelle ou tous les 6 mois à l’hôpital, les autres visites nécessaires ayant lieu chez le médecin traitant.
Notre difficulté actuelle est que les plus jeunes généralistes ne sont pas toujours formés au suivi de ces patients, par rapport à ceux qui partent à la retraite et qui suivaient souvent, à Paris, des files actives de plusieurs centaines de PVVIH. Certains messages doivent donc être rappelés : concernant les risques de cancers, les PVVIH ont un risque de cancer du poumon, du canal anal et du col de l’utérus qui est plus élevé que celui de la population générale. Il faut donc penser à surveiller cette population concernant le dépistage de ces cancers. Le rôle du généraliste dans la prévention vaccinale (grippe, pneumocoque, COVID…) est aussi essentiel.
Qu’en est-il du risque cardiovasculaire ?
Dr Pierre Sellier : Il est en effet important de surveiller les comorbidités cardio-métaboliques étant donné le risque supplémentaire conféré par l’infection VIH. Dans notre étude, pratiquement 10 % des décès étaient liés à ces affections : le bilan lipidique, la surveillance du poids, de la tension artérielle et de la glycémie sont indispensables dans notre population vieillissante. Dans la population africaine, la prévalence de ces pathologies, et notamment le surpoids, l’hypertension artérielle et le diabète, est souvent plus importante. Certains antirétroviraux, comme les inhibiteurs d’intégrase peuvent donner une prise de poids assez importante notamment chez les femmes et les PVVIH d’origine sub-Saharienne. Cette prise de poids n’est pas systématique, et dépend probablement aussi de l’alimentation et de facteurs génétiques. Elle peut parfois justifier un changement de molécule par l’équipe hospitalière lorsque la prise de poids est importante.
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2023-10-04 10:48:09