L’épopée du barrage de Sainte-Croix : le projet qui défiait le temps

Ce projet est en attente depuis la fin du XIXe siècle. Pour satisfaire les besoins en eau potable et en électricité des littoraux de Toulon et Marseille, la “cuvette de Sainte-Croix” doit être submergée par un barrage hydroélectrique, construit à l’embouchure des gorges de Baudinard. Un défi technique difficile au début du XXe siècle, mais qui prend forme dans les années 1960.

Le conseil général des Basses-Alpes donne son accord de principe à la construction de cet édifice. En 1958, des demandes de concession pour l’utilisation de l’eau du Verdon sont formulées par la société du canal de Provence et de l’aménagement de la région provençale – aujourd’hui société du canal de Provence (SCP) -, avec la participation d’Électricité de France (EDF) en tant que maître d’ouvrage. Les prémices d’une construction imminente…

“Nous avions une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes”, se souvient René Rouvier, résident des Salles à l’époque. Le futur lac doit recouvrir leur village et 2 180 hectares de terres, dont la majeure partie est cultivable.

C’est une pilule difficile à avaler pour de nombreux habitants, qui ne sont pas prêts à abandonner leur lieu de vie et leurs terres fertiles.

Personne n’y croyait plus

Certains pensaient que cela ne se produirait jamais. “Cela fait cinquante ou soixante ans que l’on en parle et que cela ne se réalise pas !” rapporte Nice-Matin, qui a enquêté sur place en 1965.

Certains préfèrent mourir plutôt que de voir leurs repères engloutis. “Ce qui va être détruit ne pourra pas être remplacé et Les Salles est une région où il fait bon vivre. Pourquoi détruire tout cela ?” interroge Isidore Taxil, buraliste bien connu des habitants. “J’ai toujours pensé que je ne le verrais pas ou que je mourrais avant. C’est tout ce que je désire.”

L’angoisse se transforme progressivement en résignation. “Il y a, dans cette affaire, une impression de silence et d’abandon qui risque de disparaître subitement pour faire place à la brutale réalisation [que le projet de barrage se concrétisera]” écrit alors le journaliste.

En résumé : “Les habitants ne veulent pas y penser.”

80% de vétusté, faute d’espoir

Anticipant à la fin, de nombreux habitants de Salles cessent d’entretenir leurs maisons. “À quoi bon restaurer ce qui, de toute façon, disparaîtra ?” expliquent-ils.

Certains entreprennent des travaux qu’ils ne terminent pas. Résultat : le taux de vétusté de la commune atteint 80%, selon le barème utilisé à l’époque.

Les derniers signes marquant la fin d’une époque, journalistes et historiens affluent vers le village. Micro et caméra en main, ils veulent capturer les derniers moments de la vie des Sallois.

En 1972, il n’y a plus de déni. Le barrage hydroélectrique est en cours de construction en aval. Et les premières expropriations arrivent dans les boîtes aux lettres.