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le récit bouleversant d’une maman victime d’un trafic mafieux au Sri Lanka

le récit bouleversant d’une maman victime d’un trafic mafieux au Sri Lanka

Véronique et Jean-Noël Piaser ont adopté en 1985 un bébé au Sri Lanka. En 2018, ils ont découvert que la petite orpheline avait en fait été volée à sa mère. Véronique fait un récit bouleversant de l’enquête qu’ils ont menée pour comprendre comment une telle chose a pu arriver.

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Véronique Piaser raconte dans un livre intitulé “Ma fille, je ne savais pas…”, l’enquête bouleversante qu’elle a menée avec son mari Jean-Noël. L’histoire commence en 1985 quand ils adoptent, comblés, une petite fille de quelques jours au Sri Lanka. 33 ans plus tard, quand leur fille leur demande de l’accompagner pour rechercher ses parents biologiques, ils découvrent qu’ils ont été tous les trois victimes d’un trafic mafieux. Un cataclysme dans leur vie et dans celle de leur fille.

France 3 : C’est un livre intense, un récit haletant qu’on ne peut lâcher même s’il évoque des évènements très douloureux. Qu’est-ce qui vous a poussée à témoigner de ce qui vous est arrivé ?

Véronique Piaser : J’ai écrit ce livre pour dénoncer les adoptions illégales qui ont eu lieu au Sri Lanka dans les années 80. Quand je parle d’adoptions illégales, j’y associe le trafic d’enfants, le trafic d’êtres humains. Dans le monde, il y a du trafic d’armes, de drogue, mais aussi d’êtres humains.

Au milieu des années 80, nous avons décidé d’adopter un enfant. Nous avions déjà deux enfants biologiques. Suite à des problèmes de santé, l’adoption me paraissait le moyen d’avoir ce troisième enfant. Ce n’était pas que ça : ça nous correspondait, dans ces années-làon était animé par un esprit beaucoup plus altruiste qu’actuellement. On pensait venir en aide à un enfant.

On a fait les démarches pour adopter en toute légalité. On a monté un dossier validé par la DDASS et le ministère des Affaires étrangères. Nous étions aussi en règle par rapport à l’ambassade du Sri Lanka. On a adopté notre fille, on est revenu en France.

On fait un bond dans le temps. Notre fille Titania*, qui a 33 ans, nous dit qu’elle aimerait bien savoir d’où elle vient. Elle nous demande de l’aider. On a la chance de bien connaître le Sri Lanka car on y a vécu, on a des amis sur place. L’un d’eux se renseigne avec l’accord de notre fille, avant qu’on ne prenne tous les 3 l’avion. Et quelques jours plus tard, c’est le coup de téléphone qui a fait basculer ma vie et la vie de la famille. Il me dit : Véro, c’est un “baby business”.

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France 3 : Concrètement, qu’est-ce qu’il vous apprend ?

Véronique Piaser : notre ami a parlé aux personnes voisines du lieu où a séjourné notre fille. Il me donne des détails et là, notre monde s’effondre. On n’est plus du tout sur une recherche des origines, sur retrouver la famille de notre enfant, ça devient un autre problème : comment accepter et comprendre qu’on ait pu se retrouver dans ce trafic criminel ?

Je n’en déduis pas à ce moment-là que ma fille a été volée. Mais, il nous apprend que ce lieu était un endroit où on “stockait” littéralement les bébés et où, certaines nuits, des pères venaient réclamer qu’on leur rende leur femme, leurs enfants… C’était sordide !

Très vite, je me connecte à internet et là je découvre que dans d’autres pays européens, en Suisse et aux Pays-Bas, des enquêtes ont été menées par des journalistes. Je reconnais sur les vidéos la directrice de l’orphelinat, Madame Perera qui est clairement présentée comme une mafieuse. Elle a 30 ans de plus, mais je la reconnais parfaitement.

France 3 : comment ça se passe pour vous à ce moment-là ? Gardez-vous espoir de retrouver la famille de votre fille ?

Véronique Piaser : On se retrouve dans une situation très compliquée et très difficile à supporter. C’est à nous d’annoncer tout cela à notre fille, lui dire qu’elle a été victime d’un trafic. Ça a vraiment été un moment horrible. C’est un choc pour toute la famille. Mais elle veut en savoir plus, elle est comme nous, elle dit : il faut aller voir.

Et c’est ce que je raconte dans le livre, tout ce qu’on va découvrir sur place. Les doutes qu’on a eus sur le fait qu’on puisse retrouver sa mère, le face-à-face avec cette mafieuse qui s’est fait avec des policiers armés de fusils mitrailleurs, les rouages de ce trafic avec ce que cette organisation protégée en haut lieu faisait croire aux familles sri-lankaises, les rôles qu’ils faisaient jouer à de fausses mères pour tromper les parents…

France 3 : C’est une véritable enquête que vous avez menée et qui vous a amenés à mettre en cause les autorités ?

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Véronique Piaser : Oui et ce livre je l’ai écrit pour en faire un levier car nous avons accumulé beaucoup d’éléments et de preuves sur ce qui s’est passé. On n’est pas les seuls, ça concerne pour l’Europe 11.000 enfants en provenance du Sri Lanka, 1.500 pour la France.

On n’a pas compris pourquoi dans les autres pays européens, les gouvernements réagissaient et avaient déclenché des enquêtes : en Suisse, aux Pays-Bas où les gouvernements ont reconnu que ces adoptions étaient en majorité illégales. En Suède, une enquête est en cours, au Danemark, en Belgique, elle démarre. Et la France, au milieu, rien.

Au début, on nous a même dit qu’on était sous influence des enquêtes faites dans d’autres pays d’Europe. Incroyable. Nous, on reconnaissait les interlocuteurs à qui on avait eu affaire. Comment penser qu’avec nous, ils étaient des gens honnêtes et avec tous les autres, ils s’étaient comportés en mafieux de la pire espèce ? C’est juste impensable.

France 3 : C’est important cette reconnaissance des faits…

Véronique Piaser : oui, c’est fondamental. Il faut qu’on dise qu’on n’est pas des voleurs d’enfants. On veut que l’État français reconnaisse ses responsabilités, ses manquements comme ils disent. Le passeport de notre enfant a été établi avec de faux papiers, sur la base de documents qui comportent des irrégularités manifestes. Ma fille n’avait pas d’état civil. Le passeport qu’on nous a délivré est de fait un faux passeport.

Nous, on a fait confiance à l’État. C’est un mot très important. Quand on fait confiance, ce n’est pas à moitié. Jamais on a douté. Jamais on est allé acheter un enfant ou le voler. Or, l’État savait à l’époque que ce type de trafic existait au Sri Lanka. On est allé chercher dans les archives et on a trouvé des courriers qui en attestent. On veut qu’il reconnaisse qu’il n’aurait pas dû laisser faire.

Tout ça a détruit notre famille. Or, c’est nous qui passons auprès de certains enfants adoptés pour des salauds. C’est très très douloureux. Nos trois enfants souffrent énormément de cette situation : les aînés qui voient leurs parents en loque. La première année, nous étions tous les deux pulvérisés et depuis, nous les sacrifions d’une certaine manière au profit de cet engagement pour la vérité. Et Titania bien sûr : l’étendue de sa douleur, je ne peux pas l’imaginer, elle est inimaginable.

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Comment vivre avec de tels questionnements sur son histoire, sur le destin qu’elle a actuellement en France et celui qu’elle aurait eu si elle était restée au Sri Lanka ? Comment se dire que peut-être c’est mieux en France (ce sont que des hypothèses que je fais) et qu’elle le doit à des criminels ?

France 3 : d’une certaine manière ce livre est une mise en garde pour toutes les familles qui ont adopté ou souhaitent le faire. Vous êtes avec votre mari des lanceurs d’alerte…

Véronique Piaser : Quand on est parti au Sri Lanka en 85, c’était avec la préoccupation de ne pas tomber dans ce genre de piège. On n’ignorait pas tout ce qui se passait, on en entendait parler pour l’Amérique du Sud et on était vigilant. C’est ça qui est d’autant plus rageant, on était des personnes vigilantes. Je ne recule pas devant mes responsabilités, on était adulte. Mais on s’est fait manipuler. On a fait confiance et on a eu tort. Je veux que l’État reconnaisse sa responsabilité. C’est important pour nous, pour les enfants adoptés et pour que des faits similaires ne puissent pas se reproduire.

Au lieu de cela, la mission d’adoption internationale nous a dit qu’on aurait dû vérifier. Elle dont c’était le travail, l’instance officielle qui organisait les adoptions avec les pays concernés. C’est du transfert de responsabilité. Nous leur avons fait confiance et ils ont failli. L’État nous a au contraire isolés. Nous avons découvert qu’être lanceur d’alerte, c’est être isolé, seul avec son combat.

Aujourd’hui, heureusement les choses bougent. Nous avons déposé une plainte sur le plan judiciaire et la députée de notre circonscription, Valérie Rabault, a pris les choses en main. Elle a déposé une proposition de résolution pour une enquête interministérielle sur les adoptions au Sri Lanka. C’est une petite victoire parce que c’est ce qu’on demandait depuis trois ans. La France ne peut pas rester le seul pays en Europe qui ne reconnaît pas ces trafics.

*Titania est un prénom d’emprunt qu’a choisi Véronique pour préserver l’intimité de sa fille.

“Ma fille, je ne savais pas…” est publié ce mercredi 31 août chez City Editions.

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