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Le combat d’Aurélie: du silence à l’optimisme

Le combat d’Aurélie: du silence à l’optimisme

Les bruits de stylos qui cliquent, les portes qui claquent et les conversations qui s’entremêlent… Tout cela crée un brouhaha insupportable pour elle. C’est la même chose dans les endroits où les gens se rassemblent : les bars, les restaurants, les cinémas, les festivals, les halls de gare. “Je me sens soit perdue, soit profondément envahie par tous ces bruits et stimuli“, explique-t-elle. Dans ces conditions, il est impossible pour elle de se concentrer, de suivre une conversation, ou d’avoir un dialogue.

Aurélie, jeune femme atypique, atteinte d’autisme, à son domicile bruxellois. ©cameriere ennio

Si tout est difficile, rien n’est impossible

À 30 ans, Aurélie est professeure en soutien scolaire à temps partiel pour les élèves du secondaire ayant des difficultés en néerlandais et en anglais. “Elle a énormément évolué et continue de progresser“, souligne sa mère. “C’est encourageant pour toutes les personnes comme elle. Avec un trouble autistique, on ne reste pas figé. Je sais que tout est difficile pour elle mais je sais surtout que rien n’est impossible“.

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Je sais que tout est difficile pour elle mais je sais surtout que rien n’est impossible.

La jeune Aurélie est fière de ce qu’elle est devenue. Elle s’est battue pour y arriver après un parcours semé d’embûches. “J’ai vécu dans le silence sans que personne ne soit au courant“, raconte-t-elle. Pendant le confinement imposé par la crise du Covid, elle a décidé de raconter son expérience de personne atypique atteinte d’autisme dans un livre. “J’ai voulu écrire ma propre histoire et révéler ma différence, ainsi que mes forces et mes faiblesses, à mon entourage et au public“. Jusque-là, elle s’était tue par pudeur et par crainte d’être rejetée, comme elle l’écrit dans son livre.

Optimiste et plein d’espoir

Son livre “Je navigue entre deux mondes”, sorti en décembre 2022, se veut optimiste et plein d’espoir. Ce récit sur sa personnalité est arrivé comme une étape nécessaire. Pour son entourage, Aurélie était une personne “mystérieuse“, “étrange“, “un peu à l’ouest“, “vivant sur sa propre planète“. Elle se souvient d’interpellations auxquelles elle ne savait que répondre: “Que cache ton sourire ?“, ou “Tu es drôle et sympa mais certains de tes comportements sont bizarres“. Elle a même subi des moqueries, de la malveillance, voire des violences, faute de connaissance ou de compréhension de son handicap invisible.

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Le diagnostic est tombé très tard, quand Aurélie avait dix-sept ans, et il a fallu traverser l’Atlantique pour découvrir le nom de sa particularité. Le syndrome de dysfonctionnement non verbal (SDNV), bien identifié au Canada, reste largement méconnu des intervenants dans les milieux de l’éducation et de la santé en Belgique. “Mais nous avons eu cette énorme chance, ce qui a changé notre vie”, témoigne la mère de la jeune fille.

“Une phase de colère monumentale”

L’annonce de ce diagnostic a déclenché “une phase de colère monumentale” chez l’adolescente. “J’en voulais à tout le monde. J’ai un cerveau qui fonctionne différemment et je comprenais que cela n’allait jamais changer”, explique-t-elle. Pour elle, certaines actions du quotidien ne sont pas naturelles, comme ranger, cuisiner, saluer ou dire au revoir. Elle a dû tout apprendre (comment s’adresser aux adultes; comment parler en public; ne pas se lever quand on veut; écouter et puis répondre, sans interrompre…) pour interagir de manière adéquate.

Elle explique que lorsque les personnes atypiques ne regardent pas leur interlocuteur, ce n’est pas par manque de respect mais pour se concentrer sur ce qu’il dit. Elle raconte qu’une personne atypique peut sourire lorsqu’on se fâche, parce qu’elle n’a pas le bon décodeur. Aurélie a dû travailler avec son psychiatre et son psychologue pour décoder le sens des expressions verbales et non verbales. “Quand on est atteint d’un syndrome autistique, on a tendance à vivre sur sa propre planète. Il nous arrive d’être seuls dans notre tête. Mais chaque cas est unique“, explique-t-elle.

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Un parcours scolaire chaotique

Enfant, elle était mutique. “J’étais fragile, très sensible et timide. Je ne savais pas communiquer. Je n’entrais pas en interaction avec les autres. J’étais toujours angoissée“, relate-t-elle. À l’école, son parcours a été chaotique. “Les professeurs étaient peu ouverts et peu informés. La connexion avec eux était totalement inexistante. C’était un monde très anxiogène parce que je n’avais pas du tout ma place”, décrit-elle. À neuf ans, on lui a diagnostiqué un trouble de l’attention, sans hyperactivité. Elle a redoublé deux fois en primaire, et cette étiquette lui collait à la peau. Elle avait besoin de soutien scolaire tous les après-midi et devait faire quatre heures de mathématiques tous les dimanches. “Je devais toujours travailler“, explique-t-elle. Malgré tout, elle a réussi à obtenir son certificat d’études de base.

Des moqueries, des méchancetés, des humiliations

À douze ans, Aurélie sentait qu’il y avait “quelque chose” qui la différenciait des autres enfants. Les moqueries, les méchancetés et les humiliations de ses camarades l’ont beaucoup marquée. “La vie en groupe lui posait de réels problèmes. Il y avait trop d’interactions, trop de codes sociaux, ce qui rendait son intégration difficile”, décrit sa maman.

Rejetée et incomprise, elle a voulu arrêter l’école. Elle a finalement intégré un petit établissement privé pour préparer le jury central. Après avoir obtenu son CESS, elle a suivi des cours pour devenir maquilleuse professionnelle, son rêve. Cependant, son intégration dans le monde professionnel a été très compliquée. “Le monde du travail est fidèle à sa réputation : il grouille de requins“, indique-t-elle. “En plus d’être différente dès le départ, j’ai dû affronter la présence de gens très doués autour de moi“. Soutenue par sa famille, son psy et son psychiatre, elle s’est accrochée: “Grâce à eux, j’ai réalisé qu’il y a une place pour chacun dans le monde professionnel, en fonction de son propre talent. Je n’étais ni pire ni meilleure qu’un autre.

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“La différence est juste joliment masquée”

Elle a suivi une formation d’employée administrative, mais son intelligence hors normes a rendu les choses difficiles. Aurélie a dû se battre pour faire sa place dans le monde du travail. Les personnes atteintes d’autisme, comme elle, ont besoin de moments de calme. Elle ne peut pas rester trop longtemps en contact avec les gens, au risque de finir épuisée et désorientée. “C’est souvent très difficile d’avoir des horaires aménagés ou un temps de travail réduit. Cela montre que notre société n’est pas encore assez ouverte et inclusive face à aux situations de handicap, qu’il soit visible ou invisible“, constate-t-elle. Elle a souvent été accusée de jouer la comédie.

Les quotas, c’est bien beau, mais il faut surtout nous donner les moyens de nous intégrer. On veut nous faire croire que le monde du travail est inclusif, que la différence est acceptée : elle est juste joliment masquée“, analyse-t-elle. Le combat quotidien continue, mais Aurélie escalade les montagnes sans relâche. “Être dotée d’un cerveau différent fait la différence, que ce soit en négatif ou en positif“, sourit-elle. Elle reste décidément optimiste.

* “Je navigue entre deux mondes”, Éditions du Panthéon, est disponible en librairie.

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