L’arrêté «anti-précaires» d’Angoulême nie le droit d’exister, par Jérôme Lèbre – Libération

Le tribunal administratif de Poitiers se prononcera le 7 août sur un arrêté municipal limitant «l’occupation abusive de l’espace public». Le philosophe s’indigne de ce texte qui vise des individus immobiles ou peu mobiles, et oublie au passage que les «marginaux» visés ne sont pas les seuls à s’arrêter.

Chaque été pleuvent les arrêtés municipaux qui entendent écarter la précarité des centres-villes consacrés au commerce et au tourisme, donc de rétablir par la bande une pénalisation de la mendicité supprimée par la loi il y a trente ans. Cette année, c’est celui d’Angoulême, dont la validité sera jugée par le tribunal administratif de Poitiers le 7 août, qui provoque le plus de débats. Retournant comme un gant une liberté fondamentale, celle d’aller et de venir, la mesure supprime le droit de rester où l’on est, ouvrant la possibilité de verbaliser les individus «regroupés de manière immobile ou peu mobile». Etrange arrêté dirigé contre l’arrêt ; étrange circonscription du droit n’autorisant l’immobilité qu’aux personnes “pas en transit”.

L’immobilité, ennemie historique des privilégiés

Dans ces tensions se condense toute une histoire. L’ordre public est d’origine statique, comme l’Etat (dérivant du même mot latin statut) ; son plus ancien ennemi se trouve dans la circulation. Mais une injonction générale à la mobilité, moderne et d’origine économique, l’a rendu également mobile (comme l’est aujourd’hui la police, l’armée). Rien n’est devenu plus contrôlable que les mouvements, les trajets que l’on peut retracer ; n’est devenu plus indéterminé et subversif que les positions statiques.

Ce mouvement ordonné est aussi la première force de discrimination spatiale : tous ceux qui ne peuvent pas bouger, en premier lieu les précaires, également les habitants des zones urbaines ou rurales pauvres, occupent ensemble,