La nageuse Caroline Jouisse médaillée d’or neuf mois après la course : « Cela n’aura jamais la même saveur »

« Cela n’aura jamais la même saveur, confie la Tricolore. Je ne sais même pas si je vais éprouver des émotions. Depuis, je suis quand même largement passée à autre chose. C’est totalement abstrait. L’ascenseur émotionnel, je l’ai eu l’été dernier. »

Et pour cause. En ce 20 août 2022, le temps est plus que chamboulé et la mer agitée au large d’Ostie (Italie). Des conditions météo qui ont déjà obligé les organisateurs à modifier leur programme les jours précédents.

Retour sur une course lunaire

Beaucoup s’attendaient à ce que le 25 km, dont le départ est donné dans l’après-midi, n’aille pas à son terme. L’hypothèse est même ouvertement évoquée lors de la réunion technique où nageurs et staffs sont rassemblés avant la course. « Ils nous ont dit : allez jusqu’aux 15 km (distance minimale à parcourir sinon les résultats ne peuvent pas être homologués) et après on verra »raconte la jeune femme licenciée à Sarcelles et qui s’entraîne à Saint-Raphaël.

« Quand on entend ça, on se dit que ça a toutes les chances de s’arrêter avant. Donc j’ai pensé qu’il fallait tout le temps être aux avant-postes et faire hypergaffe. On voit moins les bouées, les trajectoires ne sont pas forcément très bonnes, c’est plus difficile de distinguer où sont les filles. On est tout petit dans l’eau. Il fallait faire beaucoup plus attention que d’habitude. »

Et voilà comment la médaillée de bronze européenne de 2016 s’est retrouvée en tête devant les Italiennes Barbara Pozzobon et Veronica Santoni et sa compatriote Lara Grangeon au bout de 18 km (11e tour sur 15 et 3h30 d’effort)… lorsque l’organisation a décidé de renvoyer tout le monde à terre sans aucune information préalable.

Sauf pour les trois nageurs — italiens — aux commandes de l’épreuve masculine, qui sont conviés à aller toucher prématurément la plaque d’arrivée alors qu’aucun juge n’était présent pour valider le classement. Il avait pourtant été prévu d’alerter les compétiteurs un tour avant en cas d’interruption.

Dans un grand n’importe quoi, les athlètes sont déroutés par des scooters des mers venus à leur rencontre. « Franchement, les conditions ne s’étaient pas dégradées autant que ça, se souvient Caroline Jouisse. Il ne restait que sept kilomètres, cela n’aurait pas été fou de nous faire finir. Soit on mettait directement la barre à 15 km, soit on nous laissait terminer, mais là cela n’avait pas trop de sens. »

« Aux yeux de certains je l’ai presque volée »

Comme le seuil fatidique des 15 km a été franchi, la Française commence à savourer sa victoire. Avant la douche froide. Après plus de 2h30 de palabres et de tergiversations, les officiels décident d’annuler purement et simplement la compétition. Pas de palmarès, pas de prize-money. Les 18 km n’ont jamais existé…

Évidemment, l’affaire ne s’arrête pas là. En tant que représentante des nageurs à la Fédération européenne (LEN), Caroline Jouisse se renseigne sur les suites à donner à tout ce pataquès. « Cela aurait été mon rôle même si je n’avais pas été concernée directement », lâche-t-elle.

Dans le même temps, des concurrents s’estimant floués saisissent le Tribunal Arbitral du Sport (TAS). Et un peu plus de trois mois plus tard, le 25 novembre 2022, la LEN annonce dans un communiqué qu’elle établit un podium après avoir fait appel à une instance indépendante pour statuer.

La native de Saint-Mandé apprend par hasard la nouvelle en étant interpellée sur Instagram. « Et là, paradoxalement, tout ça m’a fait plus de mal que de bien, avoue-t-elle. C’était un accomplissement personnel après pas mal de galères mais vu la tournure des choses, cela m’a enlevé de la confiance au lieu de m’en apporter. »

Elle reprend : « Il y a eu une polémique sur les réseaux sociaux en disant que ce n’était pas juste. Bien sûr j’ai gagné ma médaille mais aux yeux de certains je l’ai presque volée, j’ai limite triché ! C’est décevant. Si tout avait été fait selon le règlement, les résultats auraient dû être validés directement. »

Cet or à retardement a aussi privé la nageuse d’éventuelles retombées dans une discipline où l’argent ne coule pas à flots. « C’est passé aux oubliettes, souffle-t-elle. Quelques personnes l’ont vu ou su, c’est tout. J’ai au moins pu compter sur le soutien et le réconfort moral de mon employeur (Véolia) envers lequel je me sens un peu redevable des horaires aménagés dont je bénéficie pour pratiquer mon sport. Je ne sais même si pas la LEN a prévu de faire un communiqué mais, dans tous les cas, l’impact va être minuscule. »