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La Libération de Chartres à travers des yeux d’enfant : « Chaque jour, on se disait : “On est vivant aujourd’hui, mais demain ?” »

La Libération de Chartres à travers des yeux d’enfant : « Chaque jour, on se disait : “On est vivant aujourd’hui, mais demain ?” »

À quatre-vingt-cinq ans passés, Gérard Trillon habite toujours la maison qui l’a vu naître, celle construite par les mains de son grand-père à la limite de Luisant. Si peu de souvenirs de la libération de Chartres lui reviennent, il garde néanmoins en mémoire des images terribles de Chartres en guerre, et d’une petite enfance marquée par elle.

« J’ai toujours vécu dans cette maison. Mes grands-parents étaient concierges à l’imprimerie d’à côté, ma mère y travaillait aussi. » raconte Gérard Trillon, convoquant à son souvenir cet enfant fragile, toujours malade, qui faillit mourir de la fièvre typhoïde. Un enfant de trois ans lorsque débute la guerre, un enfant de trois ans lorsque son père lui est retiré, mobilisé ; prisonnier, il reviendra quelques années plus tard, malade, et travaillera à reboucher les trous du terrain d’aviation.

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« En 1940, avec d’autres membres de la famille, on est partis en exode, comme beaucoup d’autres, pour fuir l’avancée allemande. Je me souviens des carrioles remplies des affaires des gens sur le chemin. En une journée on est allés de Chartres à Pont-Tranchefétu. Le lendemain, le fils Marceau, notre voisin, nous a reconnus et nous a menés dans un café du Cantal. La dame qui le tenait nous a emmenés chez elle. Les hommes aidaient à la ferme, les femmes effectuaient des travaux de couture. Moi, en ce temps-là, je ne parvenais pas à manger, les aliments ne voulaient pas passer, et j’étais donc difficile. Alors quand le paysan a voulu me faire boire du lait directement sorti du pis de la vache, il a eu beau insister, jamais il n’est parvenu à m’en faire boire ! », rit-il.

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Trois mois plus tard, son grand-père décrète qu’il est temps de rentrer à Chartres. « Il y avait l’angoisse de l’état dans lequel on retrouverait la maison ! ». Ils la retrouvent intacte. Rapidement, Gérard Trillon et sa famille se rendent compte que les soldats allemands ne sont pas à craindre, malgré la peur qu’ils inspirent à l’enfant. « Les Allemands avaient pour consigne de nous respecter. Pourtant, il fallait bien qu’ils mangent aussi, alors ils nous volaient des lapins. La fenêtre de la chambre de mon grand-père donnait sur les clapiers. Il gardait une fourche avec lui, mais il n’a heureusement pas eu l’occasion de s’en servir. »

« On est vivant aujourd’hui, mais demain ? »

Malin, le grand-père de Gérard Trillon installe un piège qui, une nuit, fera tomber une bassine à l’ouverture du cabanon. « Les Allemands sont partis en courant, mais l’un s’est accroché au grillage et a perdu son insigne. Mon grand-père l’a apporté à la Kommandantur, nous n’avons plus été embêtés. Des voisins se faisaient voler des pommes de terre. Les voleurs allemands ont été envoyés en Russie. »

Pendant l’Occupation, le petit garçon, qui ne quittait jamais son grand-père, allait admirer les locomotives à vapeurs lorsqu’elles passaient sous le pont Saint-Vincent, et les soldats allemands dans leur défilé quotidien. « C’était presque un spectacle ! »

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Mais dans un camp comme dans un autre, les hommes ne sont que des hommes, et les inquiétudes, les peurs et les angoissent restent les mêmes. « Un jour, mon grand-père a discuté avec un Allemand. Celui-ci lui disait qu’il avait un enfant de mon âge, et qu’il ne savait pas s’il le reverrait un jour. »

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Cette paix relative cesse subitement quand la Résistance se met en place. « Alors là il fallait se méfier de tout le monde. N’importe qui pouvait être dénoncé et jugé coupable, même les innocents. Notre voisin, Marceau, était un Résistant. Il a descendu des Allemands dans l’avenue. Mon oncle réparait les radios. Il nous en avait donné une que nous écoutions en cachette dans le sous-sol. Un jour les Allemands lui ont donné le choix entre travailler pour eux et partir en Allemagne. Il a choisi de rester, mais il captait donc certains renseignements qu’il transmettait à la Résistance. »
L’enfant grandit aux sons des bombardements, des avions, des tirs, des sirènes qui, s’ils sont autant de ravages infligés à la ville, en sont aussi aux plus jeunes esprits.

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« Quand on entendait la sirène, nous restions parfois des heures dans notre cave où les voisins nous rejoignaient ! J’y allais avec mon oisillon qu’une voisine m’avait donné, pour le protéger aussi. Mais un jour, je l’ai oublié. C’était la fois ou la scierie d’à côté a été bombardée. La maison a tremblé, des tuiles sont tombées. Moi, j’ai fait le foin parce que je voulais remonter chercher mon oisillon. »

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Les moteurs d’avions, les mitrailleuses, que l’enfant entend chaque jour, le traumatisent. « Une nuit, un papillon est entré dans ma chambre. Je me suis mis à hurler et j’ai appelé ma mère. Je lui disais que j’avais très peur du petit avion. Chaque jour, on se disait : “On est vivant aujourd’hui, mais demain ?” »

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Une ville en ruine

Et puis, la Libération approchant, les Allemands décident de faire sauter les ponts pour ralentir la progression des Alliés. « Le pont Saint-Vincent avait été miné, alors nous dormions dans la cave. Un matin, “boum”, la maison a encore tremblé. On savait qu’il n’y avait plus de pont. Plus tard les adultes sont allés voir. Le pont était toujours là, mais l’Allemand était en charpie. Il a été mis dans un drap et enterré là. Pendant longtemps, il y a eu une croix avec son casque posé dessus », se souvient Gérard Trillon qui, malgré la prévenance des adultes qui évitaient de l’exposer à des scènes choquantes, s’en remémore certaines.
« Les rues étaient jonchées de carcasses de chars ! “Ne touche à rien”, qu’on me disait. Je me rappelle traverser le pont de la Courtille reconstruit en bois, après sa destruction. »

Et puis, enfin, Chartres est libérée. « Je me souviens de la place des Épars noire de monde ! Tout le monde s’embrassait ! Jamais je n’ai revu autant d’enthousiasme ! Je me souviens aussi de mon père qui ne buvait jamais et qui avait promis : “À la Libération, je prends une cuite !” Je le revois cuver, allongé juste là », rit, en désignant sa terrasse, celui qui a vu la ville renaître de ses cendres, mais qui, lorsqu’il y pense, y voit encore de terribles images.

La cérémonie du 78e anniversaire de la libération de Chartres aura lieu dimanche 28 août à 18 heures, place des Halles. À 18 h 30 sera célébré à la cathédrale un La Deum pour la Libération.

Matthieu Carluccio

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