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La filière “bien-être” de l’élevage de lapins accusée de maltraitances

La filière “bien-être” de l’élevage de lapins accusée de maltraitances

L’association Nos Viventia a déposé plainte, ce vendredi, pour “mauvais traitements” et “défauts de soin” auprès du procureur de La Roche-sur-Yon. Les agissements dénoncés par les militants de la cause animale concernent des entreprises qui ont mis le “bien-être” des lapins au cœur de leur stratégie marketing.

“Savourez l’engagement.” C’est par cette formule que les entreprises à l’origine de “la démarche Lapin et Bien” nous invitent à entrer dans le cercle des “bien-engagés”. Un monde où les éleveurs seraient “bien responsables, bien encadrés, bien soutenus” ; les lapins “bien nés, bien-nourris, bien élevés” ; et les consommateurs “bien informés, bien rassurés, bien satisfaits”.

De fait, ces élevages de lapins organisés en de vastes enclos sont l’avenir de la filière. La commission européenne souhaite que les cages disparaissent des exploitations en 2027.

Mais la gamme “Lapin et Bien” signe avant tout l’alliance de trois géants de l’agroalimentaire : la Coopérative des producteurs de lapins du bocage (CPLB), premier groupement d’éleveurs cunicoles ; le groupe Terrena, aux 4 milliards de chiffre d’affaires annuel ; et enfin l’abattoir deux-sévrien Loeul-et-Piriot, leader en France de la viande de lapins. Des entreprises qui ont fait du bien-être animal un argument de vente.

Une plainte déposée, ce vendredi, par l’association de défense des animaux Nos Viventia vient remettre en cause les trésors de communication déployés par ces géants de l’agro-alimentaire.

Sur la foi d’images “tournées par des lanceurs d’alerte”que France 3 Poitou-Charentes a pu consulter, l’ONG demande à la justice de se pencher sur les “mauvais traitements” et “défauts de soin” présumés, qui seraient commis “dans les locaux de la CPLB” et ses élevages.

Nos Viventia a documenté toute la filière dans une vidéo, publiée sur Youtube ce lundi : du “centre multiplication”, où la coopérative produit les femelles destinées aux élevages de ses adhérents, au transport vers l’abattoir. “C’est tout l’inverse du bien-être animal”selon le naturaliste Pierre Rigaux, cofondateur de l’association. “Il y a une remise en cause fondamentale à avoir.”

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durée de la vidéo : 03min 46

Dans quelles conditions sont élevés les lapins en France ? C’est la question que s’est posée l’association du naturaliste Pierre Rigaux, “Nos Viventia”. Après des mois de recherche, cette ONG a déposé plainte auprès du Procureur de La Roche-sur-Yon. Elle met en cause la coopérative d’élevage de lapins, leader du marché. Enquête dans les Deux-Sèvres d’Hugo Lemonier et Romain Burot.



©France télévisions

Tout commence à Réaumur, en Vendée, derrière les grilles de la CPLB. C’est là que la coopérative a installé son “centre de multiplication”. Les lapines qui y sont produites donneront naissance à des générations et des générations de lapereaux dans les élevages de tout le grand Ouest.

La plupart viendra peupler les nombreux élevages en cage, qui représentent plus de 90% de la production française. Et une minorité se retrouvera chez l’un des éleveurs que met en avant la gamme “Lapin et Bien” dans ses spots publicitaires.

Or, dans la pouponnière de la CPLB, “on est vraiment aux antipodes de toute notion de bien-être”estime Pierre Rigaux. Des morts gisent parmi les vivants : “Certains cadavres ne sont pas ramassés à temps dans les cages et y pourrissent”affirme le militant.

A en croire la filière, “10 à 15% de pertes” serait à déplorer dans les élevages. Les animaux décédés sont glissés dans un grand sac, puis une benne, dans l’attente d’être envoyés à l’usine d’équarrissage. “Ce que l’on a trouvé là dans les bacs de la CPLB, ce sont des animaux vivants : beaucoup de petits lapins qui passent la nuit-là et qui vont être mis dans un camion benne en quelque sorte où ils vont  être concassés”rapporte cependant Pierre Rigaux. “C’est bien sûr totalement illégal.”

Contactée, la CPLB a refusé nos demandes d’interview : “Je n’ai rien à déclarer à personne”, nous a opposé son responsable, Pierre Dupont. Ce lundi, le dirigeant de la coopérative avait cependant admis à Libération : “Des animaux vivants n’auraient pas dû finir à la poubelle. […] On sait que certains ne survivront pas. Parmi ceux qui naissent, un travail de sélection est à opérer pour éviter leurs souffrances. Dans ce cas, l’éleveur doit les sacrifier en leur donnant un coup derrière la tête.”

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En étudiant les images récoltées par Nos Viventia, deux séquences ont fini par retenir notre attention. L’une a été tournée en juin 2022 et l’autre en août, toutes deux chez un éleveur estampillé “Lapin et Bien”.

C’est le jour de “l’enlèvement”. Plus de 2500 lapins doivent être ramassés en moins de deux heures. L’éleveur et deux membres de son entourage patientent sur le quai de chargement au petit matin. Le poids-lourd de l’abattoir Loeul-et-Piriot fait son apparition. A l’aide d’un transpalette, le chauffeur amène un à un les grands casiers oranges. L’opération peut alors commencer : elle va durer 1h30 montre en main.

“Les lapins sont attrapés par les oreilles et jetés dans un chariotdécrit l’activiste Pierre Rigaux. Ils les font valser, ils les font tournoyer en l’air sans aucune considération pour ce qui pourrait leur arriver. La cadence est infernale.”

Ces gestes pourraient “causer des traumatismes chez ces animaux”, selon l’association Nos Viventia, qui dénonce cette pratique dans sa plainte : “C’est proscrit par toutes les recommandations des vétérinaires puisque c’est très douloureux pour les lapins.”

Parmi les hommes accusés de maltraitance par l’association, nous avons identifié un chauffeur envoyé par l’abattoir Loeul-et-Piriot. L’entreprise deux-sévrienne s’est refusée à tout commentaire : “On ne réagit jamais à chaud sur des images comme ça. Je n’ai pas pu les contrôler ces images”, indique son directeur, Mathieu Loeul.

Contacté, l’éleveur mis en cause n’a pas souhaité répondre à nos questions. Son père, toutefois, a échangé quelques mots avec nous. “On n’a rien à se reprocher”estime-t-il. “Moi ça fait 40 ans qu’on en fait des lapins, on a toujours travaillé comme ça. Si ça leur faisait mal, ils seraient crevés… Là, ils n’ont pas d’hématome, rien du tout.”

Bien que retraité, l’homme continue d’aider son fils, qui serait, selon lui, très affecté par la plainte déposée par l’association : “Maintenant on se pose la question de tout arrêter, de mettre la clé sous la porte et de s’en aller”assure-t-il.

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Sa colère est celle d’un homme, qui raconte avoir consenti à tous les sacrifices pour “faire de la qualité”. Son fils a cru en l’aventure “Lapin et Bien” et s’est endetté pour installer les vastes enclos en plastique : “On a fait des investissements importants pour le bien-être des lapinsexplique-t-il. Et à quel coût ! On est à la limite de la rentabilité. On a beaucoup moins de lapins qu’avant.” Selon cet ancien éleveur, “on veut détruire l’élevage”.

Une accusation que récuse l’activiste Pierre Rigaux : “On ne pointe personne en tant qu’individu. Je comprends que ces éleveurs aient l’impression de faire mieux que les autres. Mais c’est cet élevage industriel qui est incompatible par nature avec le bien-être animal”, affirme-t-il.

Pourtant, l’industrie agro-alimentaire reçoit parfois les félicitations des ONG spécialisées dans le bien-être animal. C’est le cas du projet “Lapin et Bien”, présenté, dès l’annonce de sa création, comme “une révolution pour la filière cunicole, en France comme en Europe” par Compassion in World Farming (CIWF) : “Aucun mode d’élevage au sol n’est allé aussi loin que celui-ci, à notre connaissance”déclarait en 2019 Amélie Legrand, responsable des affaires agro-alimentaires.

Voilà l’ONG aux côtés des agroindustriels pour les accompagner dans la “transition alimentaire” qu’elle appelle de ses vœux. CIWF raconte avoir été “sollicité pour échanger sur les orientations techniques” retenues par les trois entreprises à l’origine de “Lapin et Bien”. L’initiative a été récompensée, la même année, par le “trophée de l’innovation en élevage de lapins” décerné par l’ONG.

Nous avons tenté de joindre CIWF. Elle n’a, pour l’heure, pas répondu à nos sollicitations.

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