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La bataille de l’électrique dans le segment premium : les constructeurs allemands menacés

La bataille de l’électrique dans le segment premium : les constructeurs allemands menacés

À côté de la guerre des prix sur les petites voitures électriques, c’est une autre bataille qui se joue. Sur le segment des véhicules premium cette fois, puisque l’électrique vient bousculer l’hégémonie allemande, installée depuis des décennies. Et pour cause : ce marché est une aubaine. « Sur une petite citadine, la marge sera de 500 euros, et pour un SUV premium allemand qui n’est pas le haut du premium, la marge est de 15 000 euros, soit 30 fois celle d’une voiture de moyenne gamme » détaille Eric Esperance, associé au cabinet Roland Berger.

Encore faut-il définir ce qu’est le prime. Autrefois réservée aux modèles faciles à conduire, comprenant des matériaux de qualité, un bruit réduit, mais aussi et surtout un moteur performant, la perception du prime s’est modifiée avec le temps. Désormais, le niveau de technologie embarqué dans le véhicule, en particulier la connectivité, est également un critère.

C’est sur ce point qu’a particulièrement misé Tesla pour installer son image de marque prime sur le Vieux-Continent, avant de réaliser des baisses de prix importantes et de se positionner sur un marché de volumes.

« L’élaboration d’un produit premium nécessite un investissement continu permettant de développer l’ensemble de ces caractéristiques », observe Thomas Weber, directeur associé au BCG et expert des sujets automobiles, ajoutant qu’ « il est très difficile de se positionner sur le segment premium » car il s’agit principalement d’une image de marque qui s’est construite dans la durée.

L’image comme protection

Et là-dessus, les constructeurs allemands ont une longueur d’avance. Tous ont d’ailleurs commencé leur transition vers l’électrique. Porsche lance cette année un nouveau SUV 100% électrique baptisé Macan, avant d’accélérer en commercialisant le célèbre Cayenne électrique. La marque a annoncé vouloir livrer plus de 80% de véhicules neufs entièrement électriques en 2030. BMW, de son côté, compte transformer son usine de Munich pour ne produire plus que des voitures électriques à partir de 2027.

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Pour les experts du secteur automobile, les constructeurs allemands jouissent d’une image de marque encore très forte qui leur offre un avantage dans la transition de l’industrie automobile. « Le premium est plus protégé car il est plus complexe de répliquer la réputation d’une marque, tout comme dans le luxe », confirme Thomas Weber.

Ils peuvent aussi compter sur un réseau de distribution et de maintenance important sur le Vieux-Continent, là aussi un argument de poids, en particulier pour les entreprises, un marché important pour le prime. « C’est un chemin de croix de remplacer une pièce défectueuse ou cassée sur les véhicules des nouveaux entrants sur le marché, il faut parfois attendre plusieurs mois », regrette Eric Esperance.

Les constructeurs allemands « risquent de souffrir »

Mais les entreprises envisagent de plus en plus les flottes de véhicules électriques prime chinois, globalement moins chers que leurs homologues européens. « Ces derniers risquent de souffrir », avance, de son côté, Arnaud Aymé, spécialiste des transports chez Sia Partners. Car l’image de marque peut basculer à tout moment. Et pour cause, les constructeurs allemands, connus essentiellement pour leur savoir-faire sur les moteurs thermiques, proposent en effet des véhicules avec des autonomies « beaucoup trop faibles », selon Eric Esperance, ajoutant :

« Pour l’instant, les grands constructeurs premium européens proposent des modèles autour de 500 kilomètres (selon la norme WLTP), là où les clients de ce type de produit attendent deux fois plus. »

En cause : les constructeurs allemands font produire leurs batteries à l’étranger, principalement en Chine, et les mettent dans des modèles à la puissance embarquée élevée, soit avec des moteurs électriques très lourds. À l’inverse, les nouveaux constructeurs spécialisés dans l’électrique produisent des véhicules plus légers permettant de mettre des grosses batteries, de fait, plus d’autonomie.

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L’autonomie et le logiciel comme faiblesses

Ces derniers produisent d’ailleurs souvent leurs propres batteries afin de les alléger. Tesla a ainsi accolé plusieurs gigafactories à côté de ses usines de production. En Chine, les nouvelles marques qui se lancent sur le prime comme Nio, sont aussi sur ce créneau. Le constructeur a ainsi annoncé des voitures électriques premium d’une autonomie de 1 000 kilomètres, une différence qui pourrait peser dans le choix des usagers à l’avenir.

Les constructeurs allemands devront également se mettre à niveau sur le logiciel embarqué dans le véhicule. Tesla, mais aussi les nouveaux entrants comme Lucid, peuvent « réaliser des mises à jour du logiciel en 15 jours, contre trois mois pour les Européens », observe Eric Esperance. Lucid a d’ailleurs présenté son nouveau modèle destiné à attaquer le marché européen au Salon de Genève il y a deux semaines.

La montée en gamme des marques asiatiques

Les constructeurs allemands sont aussi challengés par d’autres constructeurs étrangers implantés depuis longtemps sur le marché européen. Le géant Toyota, par exemple, mise sur sa marque Lexus, qui a augmenté ses ventes de plus de 50% en Europe en 2023 grâce à l’électrification. Le groupe japonais ne proposera que des véhicules à batteries en Europe sous cette marque d’ici à 2030.

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Au Salon de Genève, la marque MG, ancienne marque historique anglaise, a surpris tout le monde en lançant une nouvelle gamme appelée IM pour Intelligent mobility en Europe à partir de 2025. Sur son site, le constructeur chinois évoque une marque « présente dans le secteur premium qui se concentrera sur les berlines de luxe et les grands SUV ».

Monter progressivement en gamme pour attaquer le marché du premium en étant une marque déjà installée est l’une des stratégies les plus utilisées par les constructeurs, selon Thomas Weber. Le danger pour les constructeurs allemands viendra donc sûrement de ces marques qui réalisent déjà de gros volumes sur les segments inférieurs, comme BYD ou MG, et qui vont progressivement monter en gamme. D’ailleurs, les constructeurs allemands sont déjà en train de perdre la bataille sur ce segment en Chine. En Europe, Mercedes, BMW ou encore Porsche arrivent encore à protéger leurs ventes. Mais pour combien de temps encore ?