Un intrigant fossile d’homininé découvert en Chine laisse entrevoir de nouveaux scénarios sur l’évolution de nos ancêtres.
L’arbre généalogique de l’humanité regorge de surprises, surtout lorsqu’on regarde du côté de l’Asie. Les paléoanthropologues y ont déterré plusieurs fossiles surprenants par leurs morphologies et leur diversité. Une découverte récentedécrite dans le Journal de l’évolution humainevient ajouter une pièce à ce casse-tête. Ni archaïque ni moderne, un adolescent « mosaïque » pourrait faire le lien entre nos ancêtres et des lignées plus primitives. Voire représenter une lignée inconnue !
C’est du moins ce qu’avance l’équipe qui a analysé un crâne et une mâchoire exhumés il y a quelques années à Hualongdong, dans l’est de la Chine. Ces os, baptisés HLD 6, sont ceux d’un jeune âgé de 12 ou 13 ans ayant vécu il y a 300 000 ans, soit environ 200 000 ans avant qu’Un homme sage n’arrive en Asie, en provenance d’Afrique (selon la théorie la plus admise).
Mais voilà : les caractéristiques de HLD 6 sont « inattendues », selon l’équipe sino-espagnole, qui l’a comparé à de nombreux autres fossiles. L’absence de menton, entre autres détails anatomiques subtils,rapproche le spécimen des Homme deboutqui occupaient la région depuis fort longtemps. Mais certains aspects, notamment l’angle de la mandibule et les dents, évoquent davantage les premiers Un homme sageet le crâne confirme que le visage était plat, sans arcade sourcilière prononcée.
En bref, ce fossile est ambigu… et inclassable ! Ce qui ne surprend pas Michelle Drapeau, professeure au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal. « En fait, on ne comprend pas bien l’histoire des homininés en Asie. Plusieurs spécimens trouvés là-bas ont des morphologies intermédiaires, et on a des difficultés à les faire entrer dans les modèles établis pour l’Afrique et l’Europe », indique-t-elle.
Selon ces modèles, les êtres humains « modernes » auraient émergé en Afrique, il y a environ 300 000 ans. Ils se seraient ensuite dispersés dans le reste du monde, ne s’établissant en Chine que bien plus tard. Le fossile de Hualongdong pourrait signifier que des êtres humains anatomiquement modernes (ou plutôt tendant vers la modernité) ont émergé de manière indépendante en Asie, en parallèle de leurs homologues africains. Une sérieuse réécriture du scénario !
« L’équipe de Wu Liu [auteur principal de la publication] défend l’idée qu’il y a eu plusieurs lignées indépendantes en Chine. D’abord, les Homme deboutprimitifs, puis les Dénisoviens, arrivés là-bas autour de 400 000 ans avant notre ère. L’hypothèse d’une troisième lignée, à laquelle appartiendrait HLD 6, est recevable. Il y a d’autres fossiles en Chine qui semblent vraiment différents des Homo erectus ou des Dénisoviens, et c’est intrigant ! » commente Bence Viola, paléoanthropologue à l’Université de Toronto.
Le « crâne de Dali »âgé de 260 000 ans, a lui aussi été présenté comme une possible transition entre Homme debout et Un homme sageen 2017. Mais, selon Bence Viola, le fait que cette potentielle troisième lignée ait abouti à des êtres humains anatomiquement modernes est plus contesté. « Les fossiles et les données génétiques montrent clairement qu’Un homme sage vient d’Afrique. »
Qui était le premier ?
La communauté scientifique hésite à se prononcer sur ces mystérieux hybrides. « Il y a plusieurs problèmes avec la plupart du matériel trouvé en Chine, poursuit l’expert. D’abord, jusqu’à très récemment, les découvertes étaient uniquement publiées en chinois ; ensuite, il n’y a pas de moulages des spécimens accessibles. Enfin, les datations peuvent manquer de fiabilité. C’est donc compliqué d’établir des scénarios évolutifs. »
S’il considère ce fossile comme « très intéressant », Bence Viola souligne qu’il est incomplet. « Beaucoup de mesures ont été extrapolées à partir des fragments retrouvés. On n’a rien sur l’occiput, par exemple, qui est important dans une perspective phylogénétique. »
De son côté, Michelle Drapeau met en garde contre une association trop simpliste entre la finesse du visage et la modernité. « C’est vrai qu’Un homme sagepour presque toutes les caractéristiques, est plus petit que les archaïques, les Néandertaliens et les Dénisoviens. Donc, quand on voit des traits plus graciles sur un fossile, on a tendance à dire que celui-ci dérive vers Un homme sage. Mais certains collègues avancent qu’en fait, les traits graciles seraient primitifs, issus des Homme debout africains, et que les visages massifs des autres lignées seraient dérivés de ces traits graciles », explique-t-elle. Les traits fins de cet adolescent témoignent ainsi peut-être davantage de son archaïsme que de sa modernité…
Une chose est sûre : l’évolution humaine n’a pas été linéaire, et plusieurs morphologies, espèces et hybrides ont coexisté. « Certaines caractéristiques sont devenues graduellement plus apparentes, mais il n’y a pas de ligne nette, c’est donc difficile de classer un fossile dans une espèce donnée », résume la chercheuse.
Si tout ossement est sujet à interprétation, il peut aussi être instrumentalisé, avertit Bence Viola. « Pour le gouvernement chinois, le récit selon lequel les ancêtres du peuple sont sur le territoire depuis des centaines de milliers d’années est important. C’est politique, ça conforte l’idée de nation. » Il espère que des analyses génétiques feront un jour parler ces fossiles en toute objectivité.
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