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 Chartres : “C’est dur d’être une femme à la rue dans les regards des gens”

 Chartres : “C’est dur d’être une femme à la rue dans les regards des gens”

Des bouts de bitume froids et inhospitaliers à des bancs durs et impersonnels, Aurélie a quelque temps habité les zones d’ombre de la ville. Là où ses beautés architecturales sont aussi des trompe-l’œil qui détournent le regard de la misère errant sur les trottoirs, au pied de ces édifices.

Comme un homme à la mer, Aurélie a été une femme à la rue. Elle a fait le plus dur : « Je m’en suis sortie », dit-elle, avec une gravité soudaine dans la voix, consciente de revenir de l’enfer.

De la précarité, un grand coeur

Cette précaire existence lui a laissé un corps déformé, malade, épuisé par les épreuves et un gris-bleu délavé dans ses yeux qui s’absentent, parfois, quand s’impose à son esprit le film de ses années noires.

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Ils pétillent aussi, de cette joie nourrie à la camaraderie sincère des amis d’infortune, et de l’attention généreuse qu’elle porte à tout un chacun. « On me dit que mon grand cœur me perdra », déclare, dans un grand éclat de rire, celle qui est désormais bénévole auprès de tous ceux en rupture de ban et qui en paient le prix fort, victimes ou comptables de leur mauvais sort. Car, entre l’infortune du destin et les conséquences de ses actes, les torts sont souvent partagés.

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L’Eurélienne s’est retrouvée sans toit, à la suite d’un différend, qui s’est envenimé, avec son propriétaire. Une histoire de plafond qui s’effondre dans deux pièces d’un logement insalubre. La locatrice stoppe le règlement des loyers auprès de lui, et les verse, assure-t-elle, à un notaire. Jusqu’à la fois de trop, où elle prend son fils et quitte ce logement “pour nulle part”. Les solutions de dépannage des premiers jours, chez des connaissances, se tarissent vite.

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À l’epreuve de la rue

La maman doit se résoudre à placer le garçon qui aura le sentiment d’être abandonné. « C’était la solution la moins mauvaise pour ne pas lui faire subir ça », se justifie-t-elle, laissant poindre la culpabilité intérieure. Cela a scellé la suite de leur relation devenue tourmentée. Aujourd’hui, l’un et l’autre, le cœur gonflé de ressentiment, s’ignorent. Mais elle clame tristement :

« C’est mon fils, je l’aime »

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Elle fait alors l’expérience du 115 et du logement d’urgence, et de rudes nuits dehors, à proximité de la médiathèque, avant de se fondre discrètement parmi les usagers de la gare, une fois celle-ci ouverte. Elle fait la manche pour arrondir ses fins de journée. Elle rase aussi les murs, de honte, piquée par les regards sévères, méprisants, les propos sentencieux que lui jettent les “biens comme il faut”.

L’intimité à rude épreuve

L’intimité, à la rue, est mise à rude épreuve. « Un homme n’a pas de problème pour aller aux toilettes, il peut faire ça n’importe où. Mais une femme… Heureusement qu’il y a des toilettes publiques. Elles sont souvent très sales, mais on n’a pas le choix ! »

Le pire aura été l’hygiène corporelle. C’est une question de dignité pour elle. « Je suis de forte corpulence et j’ai tendance à transpirer, ça m’est insupportable, impossible de rester comme ça. Heureusement qu’il y a les douches du Fac… »

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À la rue aussi, qu’importe le flacon, pourvu qu’il y ait l’ivresse. L’alcool devient le moyen de noyer le mal, le désespoir, pour un bref instant seulement.

« Un jour, mon fils m’a dit : “Sois tu arrêtes, soit tu ne me reverras plus !” »

Une claque. « Je me disais : “C’est toi qui devrais montrer l’exemple, et au final…”. »
Les paroles de cet adolescent qui voit sombrer sa mère font leur effet, d’autant plus qu’Aurélie révèle être une ancienne toxicomane.

Pour éviter de se laisser à nouveau dicter sa conduite par une addiction, elle se ressaisit en s’accrochant à cet enfant. « C’est dur d’être une femme à la rue dans les regards des gens, mais en plus une femme alcoolique, je ne vous dis pas… »

Enfant placée

La quadragénaire ne se défile pas sur sa responsabilité personnelle dans son parcours. Or, à l’écouter dérouler son histoire, il semble que, très tôt, des jalons ont été mal posés, orientant sans doute son avenir vers le mauvais sens.

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Dans le profil des sans domicile fixe, tracé par l’Insee, 25 % ont été des enfants placés, comme Aurélie. Son enfance a été marquée par une grand-mère aimante dont le décès a rendu folle de douleur la petite-fille de 10 ans qu’elle était alors.

Pour le reste, la cellule familiale n’était pas propice à grandir sereinement, entre un beau-père qui la battait et un grand-père qui violentait sa femme.

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Violences conjugales

Des coups qui la rongent encore de l’intérieur. « Je n’arrive pas à oublier ! », soupire-t-elle, pleine de colère. Des coups qui ont fait naître, en elle, une rage explosive. Elle se prête un double visage : « La Aurélie victime et la Aurélie démon. »

« On va penser que je suis folle mais, des fois, j’ai comme ce besoin d’être frappée… » Elle s’en émeut auprès du psy qu’elle consulte, mais elle s’est aussi ouverte d’une facette.

« On parle beaucoup des femmes battues, j’en étais une. Il y a aussi des hommes battus. Il m’arrive de lever la main sur mon homme… »

L’Eurélienne, mortifiée, ne se trouve aucune excuse. Les deux se sont rencontrés durant leur vie à la rue. Le couple a très vite partagé ses galères, pour le pire mais aussi le meilleur. À force de supplier, de démarcher, fin 2020, il se voit octroyer un logement. Depuis, Aurélie vit d’aides et de peu.

Des séquelles pour longtemps

Durant les années noires, d’autres rencontres ont été déterminantes. Le soutien de l’ancien responsable de l’accueil de jour du Secours catholique l’a hissée hors de la rue. « Je lui dois beaucoup », sourit-elle. De nombreuses portes lui ont claqué au nez, mais ce sont les mains tendues qu’elle n’oublie pas.

« J’ai juste envie de rendre ce que l’on a fait pour moi. »

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L’expérience a laissé des séquelles. « Je me sens parfois oppressée dans mon logement, entre quatre murs », s’étonne celle qui a conservé d’autres réflexes de sa vie de SDF. S’en tenir à l’écart est une bataille de presque tous les instants.

Chemcha Rabhi

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