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C’est la monétisation de notre vie, pas (seulement) l’obsession de la “vie privée” qui tue la photographie de rue

C’est la monétisation de notre vie, pas (seulement) l’obsession de la “vie privée” qui tue la photographie de rue

2023-07-04 14:13:31

La mission d’effectuer un reportage sur les festivités du 4 juillet – l’Jour de l’indépendance – à Boston, l’un des lieux emblématiques de l’histoire nord-américaine, m’a donné l’occasion de réfléchir aux échecs et aux dommages désormais permanents causés à la photojournalisme de rue par l’hystérie “privacy” et l’exploitation sans scrupule des données individuelles par la BigTech au nom du principe “mieux vaut excuser que permission”.

Comme le veut la règle, en attendant les célébrations proprement dites, j’ai commencé à étudier les lieux, à expérimenter les sensations qu’ils véhiculent et à essayer de les traduire en images pour comprendre comment la ville peut « parler » à son visiteur temporaire.

Au cours de ces explorations, il s’est passé un peu de tout, de la possibilité de représenter des compatriotes de la première génération (heureux pourtant d’être photographiés) profitant du soleil de l’après-midi assis devant un salon de coiffure dans le North End (Little Italy of Boston), au risque d’une dégénérescence “maniable” de la conversation avec un “valet” d’une boutique, résultant d’avoir photographié “sans autorisation” sa Harley-Davidson garée dans la rue et terminée au lieu d’une poignée de main amicale.

Entre les deux extrêmes, les regards perplexes (et parfois méfiants) de des personnes attirées par la présence d’un appareil photo, mais complètement indifférentes à la myriade de smartphones qui, en même temps, filmaient pratiquement n’importe quoi et n’importe qui, comme si c’était le véhicule qui m’inquiétait (l’appareil photo) et non l’action (la photographie).

Le fil rouge qui relie ces expériences est le méfiance presque superstitieuse à l’égard de “l’image fixe”pas différent de celui des Amérindiens persuadés que la photographie les aurait privés d’âme, mais aujourd’hui plutôt fondé sur des raisons beaucoup moins “spirituelles”.

L’agacement d’être photographié, en effet, semble plutôt lié d’une part à la croyance (légalement erronée) qu’il existe une « intimité publique » et, d’autre part, à perception moins infondée de l’inacceptabilité que quelqu’un puisse “faire de l’argent” sur son image sans en partager le profit. Est-ce que ça va être publié ? – la photo sera-t-elle publiée ? – est la question qui m’a été posée le plus souvent.

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Sous le premier profil, il est assez facile de prouver l’inexistence d’un “secret public” – il suffit de lire l’arrêt 47165/2010 de la Cour de cassation et, en matière de protection des données personnelles, le communiqué de presse du Garant qui date de 2004 – et donc de conclure que, dans le respect de la dignité de la personne et de sa volonté de ne pas être représenté au cas où il demanderait à ne pas l’être, il n’y a pas d’obstacles à la street-photographie. La protection juridique de l’image personnelle est associée au Code civil et à la partie du droit d’auteur qui régit le portrait. La photographie ne doit pas porter atteinte à la dignité de la personne, le photographe est le propriétaire de l’image prise et si la prise de vue a lieu en extérieur et documente des événements publics, l’autorisation de quiconque n’est pas nécessaire. Tout cela, en partant du principe que le photographe “met le sien”, c’est-à-dire interprète la réalité phénoménale à travers le prisme particulier de sa propre expérience et sensibilité, sinon, par la loi, la photographie n’a aucune protection substantielle. Par conséquent, la photographie prise dans le respect des limites réglementaires peut également être librement publiée, mais cela ne signifie pas qu’au moins légalement, elle peut être librement réutilisée par des tiers.

Plus complexe cependant est le raisonnement relatif à l’exploitation économique des photographies mais surtout des données qui peuvent en être extraites.

Autrement dit, ce ne sont pas ceux qui publient une image qui violent la loi, mais ceux qui la réutilisent illégalementce qui nous amène directement au sujet de exploitation sauvage des contenus publiés en ligne.

Ce sujet commence à se répandre à l’époque des moteurs de recherche qui ont bâti leur succès sur la possibilité d’accéder librement et gratuitement aux contenus diffusés sur le net, il est devenu “endémisé” du fait de lal’anesthésie induite chez les personnes par l’addiction aux réseaux sociaux et l’appropriation systématique par les médias traditionnels des contenus en ligne “parce qu’ils sont de toute façon gratuits”, et revient dans l’actualité avec la polémique déclenchée par la “découverte” qui, pour travail, certaines IA ont été construites en utilisant encore une fois les données diffusées par les gens, mais sans leur accorder la moindre considération.

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Avec tout le respect que je dois aux artistes et aux professionnels de l’image, pour ceux qui se sont appropriés la collecte et l’analyse des données cœur de métier peu importe si la prise de vue est qualifiée de “simple photographie” ou d'”acte créatif” car ce qui compte, c’est si et combien de (méta) données il permet d’extraire.

Composition, attention aux lumières, capter le “moment décisif“… tout cela devient hors de propos si même un méli-mélo de sujets photographiés de manière piétonne avec un smartphone”qui concurrence les reflex” permet d’identifier (automatiquement ou avec l’apport de “tags”) des individus, des lieux et, donc, des relations, qui vont grossir (a)x le profil corpulent de chacun d’entre nous, enfermé et répliqué dans des bases de données infinies à accès réservé à peu et interdit à la plupart. Un discours analogue concerne la reproduction du “style” par une IA car même dans le cas de la “copie” de ce qui rend un artiste unique on parle toujours de collecte et d’analyse de données.

Donc, en résumé, grâce à l’analyse d’énormes quantités d’informations extraites des sources les plus diverses, les professionnels du profilage gagnent aussi de l’argent sur les données extraites des images pour construire des clones informationnels de personnes et ceux de l’IA gagnent aussi sur l’industrialisation du style et sensibilité individuelle de chacun, transformant l’acte créatif en un “produit de rayon”, reproductible à l’infini en autant de variations infinies.

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Il n’est pas immédiat de percevoir comment ce raisonnement est lié à la photographie de rue, mais en réalité le lien est évident.

La La photographie de rue est un outil indispensable pour la préservation de la mémoire et pour documenter l’énorme diversité des phénomènes sociaux humains. Peu importe qu’il soit pratiqué par des maîtres de l’image célèbres ou, comme dans le cas de Viviane Mayerde parfaits inconnus dans la vie qui ne montent qu’à titre posthume dans l’Olympe des grands.

Pourtant, son rôle fondamental n’est pas perçu (et il ne suffit pas à le protéger) par ceux qui sont en proie à une vision hystérique de la vie privée, amplifiée par ceux qui ont fait croire que tout ce qui est de soi est à vendre, par des organes aux données.

Par conséquent, malgré les grandes déclarations de principe sur les “droits fondamentaux”, les plaintes pour “violation de la vie privée” et l’abus de ses données se traduisent souvent, au final, par une monétisation simple et vulgaire des droits : oui, la vie privée, c’est bien mais, en payant bien sûr, tout se vend et tout s’achète.

Si donc la street-photographie cesse d’exister, et si nous perdons par conséquent la possibilité de connaître notre histoire à travers la lecture qu’en font les reporters professionnels et des milliers de photographes “amateurs” à travers le monde, ce ne sera pas (seulement) pour le des interprétations abstruses du concept de “vie privée” proposées par des régulateurs à courte vue et répétées sans critique par des experts à la compétence douteuse. Nous devrons plutôt remercier notre égoïsme individuel qui, par étroitesse d’esprit ou ignorance, nous a conduits à mettre un prix sur quoi que ce soit, y compris nous-mêmes, en espérant que quelqu’un nous achètera (même en morceaux) au lieu de tout prendre et de s’enfuir sans payer l’addition.



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