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Aramco baisse ses prix : Les enjeux économiques et géopolitiques

Aramco baisse ses prix : Les enjeux économiques et géopolitiques

C’est la classique lutte des entreprises face à la concurrence : réduire les prix pour maintenir sa part de marché. Dimanche, Aramco, la société pétrolière royale d’Arabie Saoudite, parmi les plus grandes au monde, a annoncé à ses clients asiatiques, européens et américains qu’elle baisserait le prix officiel de ses bruts de 1,5 à 2 dollars le baril à partir de février. Le royaume a exporté en moyenne 6,3 millions de barils par jour en 2023.

La troisième capitalisation mondiale derrière Apple et Microsoft se retrouve concurrencée par d’autres bruts de la région proposant des prix plus attractifs. Les raffineurs tirent leur marge de la différence entre le prix du brut et le prix du produit raffiné, comme le diesel ou l’essence. C’est surtout en Asie (Chine, Japon, Corée du Sud, Inde et Philippines) que la lutte pour les parts de marché est la plus intense, où Aramco réalise entre 70% et 80% de ses ventes de brut et de produits raffinés.

Pourvoyeur de revenus pour le budget de l’État

Contrairement à une entreprise privée, Aramco, principal pourvoyeur de revenus de l’Arabie Saoudite pour son budget public, doit prendre en compte un cadre politique fixé à la fois par le gouvernement et par la participation du pays à l’OPEP, l’organisation des 13 pays exportateurs, dont il est le leader de facto, et qui a passé une alliance avec 10 autres pays (11 depuis le 1er janvier avec l’arrivée du Brésil) dont la Russie.

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Cependant, des tensions sont apparues au sein du cartel, certains pays africains comme le Nigéria et l’Angola refusant une réduction de leur quota de production. L’Angola a annoncé son départ de l’organisation, bien qu’elle en soit toujours formellement membre.

En effet, l’effort de réduction de la production de l’OPEP+ est principalement fait par l’Arabie Saoudite, et dans une moindre mesure par la Russie, sous le coup de sanctions des pays du G7 et de leurs alliés, qui restreignent ses volumes d’exportation. Le royaume a réduit de 2 millions de barils par jour sa production, soit environ 16%, depuis novembre dernier.

Ralentissement de la croissance économique mondiale

Cependant, cette politique atteint ses limites. D’une part, les coupes du cartel ont été largement compensées par les pays non OPEP+ comme les États-Unis, le Canada, le Brésil et le Guyana, et d’autre part, les perspectives de la demande pétrolière mondiale pour les mois à venir en 2024 sont revues à la baisse. Cela a créé une polémique entre l’OPEP et l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la première estimant que la seconde sous-estime les besoins futurs. La première prévoit une consommation moyenne de 102,8 millions de barils par jour en 2024, tandis que la deuxième prévoit 104,3 millions de barils par jour, en raison des perspectives divergentes de croissance dans les pays émergents, notamment en Chine.

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La Chine, premier importateur mondial de pétrole, a chargé 1,38 million de barils par jour de brut saoudien en décembre, contre 1,7 million de barils par jour en novembre, le plus bas volume depuis juillet, selon les données compilées par LSEG Oil Research, citées par l’agence Reuters.

Trois clients asiatiques de brut saoudien ont également indiqué que la baisse des prix d’Aramco ne les inciterait pas à augmenter leurs livraisons, alors que la période de maintenance dans les raffineries asiatiques se profile. En revanche, les importations chinoises en provenance des États-Unis étaient de 430 000 barils par jour en décembre, contre 220 000 barils par jour en novembre, et les importations en provenance du Brésil étaient de 840 000 barils par jour, contre 810 000 barils par jour en novembre, soit une troisième hausse mensuelle consécutive.

Cette orientation du marché pétrolier est un revers pour le ministre de l’Énergie saoudien, le prince Abdulaziz bin Salman, qui critique régulièrement les “spéculateurs” sur les marchés à terme du pétrole, qui vendent aujourd’hui des barils pour une échéance plus lointaine, en pariant sur des cours plus bas au moment de la livraison.

Cependant, les investisseurs ont intégré ces derniers mois que le ralentissement économique mondial s’accentuera au cours du premier semestre de 2024, en particulier avec une conjoncture morose en Chine, comme reconnu par les plus hauts dirigeants du Parti communiste (PCC) en décembre, qui ont admis que le pays rencontrerait des “difficultés” pour relancer l’activité économique.

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Reconstitution des stocks mondiaux

Les investisseurs estiment donc que les coupes de l’OPEP+ n’empêcheront pas la reconstitution des stocks à travers le monde, ce qui entraînera une détente des prix du baril. Dans la semaine se terminant le 2 janvier, les fonds d’investissement ont réduit leurs positions acheteuses (longues). “Cela s’est traduit par un flux baissier de 5,2 milliards de dollars, venant principalement de la constitution de positions vendeuses (courtes)”, ont souligné les experts en matières premières chez SG dans leur rapport hebdomadaire.

À court terme, les tensions géopolitiques, notamment au Moyen-Orient où la rébellion des Houthis yéménites perturbe le flux maritime en mer Rouge, où transitent 9% du transport maritime de pétrole, pourraient faire augmenter les prix. De même, des perturbations dans la production pétrolière en Libye ont été un facteur de soutien ces derniers jours. Mardi en fin d’après-midi, le prix du baril de Brent a augmenté d’environ 2%, à 77,6 dollars, celui de baril de WTI, la référence américaine, a augmenté de 2,4%, à 72,4 dollars. Mais sur un an, ils affichent une baisse respective de 3,3% et 4,3%.