Ils ne lancent pas d’appel pour accueillir des Afghans, comme l’ont fait d’autres élus. « Pas besoin, je sais qu’ils arriveront dans nos territoires », lâche, pragmatique, Jean-Louis Marsac, maire (DVG) de Villiers-le-Bel, 28 000 habitants, dans l’est du Val-d’Oise. « Quand il se passe quelque chose dans le monde, ça se répercute toujours dans nos villes disait aussi François Pupponi (ancien député et maire de Sarcelles). C’est notre réalité ! » Un phénomène faisant de ces communes, comme d’autres banlieues, un véritable baromètre des crises mondiales.
Pour preuve, Jean-Louis Marsac a récemment été contacté par la communauté haïtienne à la suite du tremblement de terre survenu le 14 août en Haïti. Puis, après la prise de Kaboul le 15 août par les talibans, il a accordé une attestation de domicile à un réfugié Afghan. Il l’avait refusée en première instance « parce qu’on ne s’en sort plus des demandes, mais vu l’actualité, j’ai révisé le dossier, explique l’élu. Ce monsieur, s’il le souhaite, pourra faire venir sa famille. »
218 réfugiés afghans accueillis dans le Val-d’Oise depuis début août
Depuis le début du mois d’août, « le Val-d’Oise a accueilli 218 réfugiés afghans, ce sont 70 familles qui ont été prises en charge », a indiqué Olivia Grégoire, secrétaire d’État lors d’une récente visite dans le département.
Des pieds-noirs ayant fui l’Algérie en 1962, des Vietnamiens, Cambodgiens, Laotiens, dit « boat people » dans les années 1970, des chrétiens d’Orient harcelés par des islamistes arrivés dès 1980, avec un fort afflux en 2014 après la prise de Mossoul par Daech, des Tamouls Sri-lankais fuyant des extrémistes Bouddhistes fin 1980… Villiers-le-Bel, Garges-lès-Gonesse et Sarcelles sont devenues « des terres d’accueils », insiste Patrick Haddad, maire (PS) de Sarcelles où vivent officiellement 60 000 habitants de 80 ethnies. « On a tous des doctorats en relations internationales en restant en bas de chez nous, aime répéter une trentenaire de Sarcelles. À dix ans, on savait que les Chaldéens, ce sont les chrétiens d’Orient persécutés. »
Comment ces populations arrivent dans ces communes populaires, pauvres, où le taux de chômage dépasse 20 % ? Il y a certes la présence de propriétés de l’État, comme ces deux hôtels sociaux existant depuis plus de vingt ans à Villiers-le-Bel, où sont envoyés des migrants. Ou encore, à Sarcelles, le Cèdre Bleu, ancien Ehpad en partie racheté par la ville, mais régulièrement réquisitionné par l’État qui l’utilise comme centre d’hébergement d’urgence pour les migrants évacués de Paris.
D’importants liens de solidarité communautaires
Mais si ces villes sont attractives, c’est aussi lié aux réseaux de solidarité communautaires déjà présents. Certains sont plus organisés que d’autres. Comme les Assyro-chaldéens. Ils sont 11 000 en Île-de-France sur 20 000 en France. 8 000 d’entre eux vivent dans l’est du Val-d’Oise. « C’est devenu notre capitale ! », plaisante Bruno Yakan, président de l’association chaldéenne de France, basée à Sarcelles où les maires successifs – de Raymond Lamontagne (RPSR) en 1983 à Patrick Haddad aujourd’hui, en passant par François Pupponi et le socialiste Dominique Strauss-Kahn – les ont toujours soutenus.
« En 2014, la communauté était très mobilisée, témoigne Bruno Yakan. Jusqu’en 2019, 82 familles ont pu arriver sur le territoire grâce à un comité mis en place avec les associations, la mairie, la sous-préfecture. » « C’était dur de tout quitter, mais on a été super bien accueillis, réagit l’un d’entre eux. Aujourd’hui, on se sent français, la majorité d’entre nous ne veut pas rentrer en Irak, il y a toujours des problèmes. »
Ce réfugié, comme tant d’autres, pouvait compter sur des familles, un cousin, un voisin du pays ou même une simple connaissance, pour le loger à son arrivée. « On a des populations venues de l’étranger installées depuis longtemps. Quand un compatriote doit quitter son pays, il est hébergé, même s’il n’y a pas de place. Les deuxième et troisième générations le font aussi. De cette solidarité, il faut s’en féliciter, insiste le maire de Villiers. On l’a vu avec les crises en Afrique, au Maghreb et de manière plus massive avec les chrétiens d’Orient. »
Une fois passée l’étape de l’hébergement d’urgence, il faut se loger de façon pérenne, mais difficile d’y accéder quand on est sans ressources et demandeur d’asile, en particulier en Île-de-France qui concentre 50 % des demandeurs. Certes, le parc social est important dans ces villes de l’est du Val-d’Oise avec en moyenne 54 % de HLM (Habitation à loyers modérés). Mais il faut s’armer de patience, souvent trois à quatre ans voire davantage. À Villiers-le-Bel, 2 000 foyers sont sur liste d’attente.
À Sarcelles, la situation est sensiblement la même. À tel point qu’en 2015, une convention entre la ville, une association et un bailleur avait été signée pour réserver des appartements à des réfugiés. « Ça concernait une cinquantaine de logements, finalement 38 familles Chaldéennes en ont bénéficié », confirme Bruno Yakan. Certains migrants se tournent alors vers le parc privé. Une manne pour les marchands de sommeil.
« Il y a des gens qui profitent de cette misère », déplore Jean-Louis Marsac, maire de Villiers le Bel, en lutte contre l’habitat indigne. Un fléau important dur à enrayer malgré un budget de 500 000 euros. Direction le quartier de la Cerisaie, copropriété de 216 appartements, un temps dégradée, dont la rénovation s’est achevée en 2019. Fini les façades roses, jaunes et bleus délavées, place aux extérieurs blancs qui témoignent de ce renouveau. Mais, à l’intérieur, des marchands de sommeil continuent de sévir. Ici sont logés des hommes seuls, souvent des Afghans, à plusieurs dans une chambre pour des tarifs exorbitants. Difficile de trouver des habitants qui acceptent d’évoquer le phénomène. « Ça loue au matelas, ça peut aller entre 300 et 400 euros par mois, mais ce n’est pas nouveau », rappelle un quadragénaire de la cité.
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Au-delà du logement, l’intégration passe aussi par l’école où les enfants de ces vagues migratoires successives se retrouvent avec les autres élèves. Pour les non francophones, ça passe par une scolarisation en UP2A (Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants) pour permettre aux écoliers d’être inscrits dans une classe ordinaire tout en bénéficiant d’un enseignement renforcé en français. « Parfois ce n’est pas évident. Quand les Tchétchènes sont arrivés, plusieurs directeurs d’école nous disaient de pas savoir comment communiquer avec ces enfants, c’était plus facile avec les parents qui parlaient anglais. Avec les Afghans, la même question de la communication peut se poser », projette Jean-Louis Marsac.
Soutien scolaire pour les enfants, cours d’alphabétisation pour les parents
Enseignant depuis une quinzaine d’années à Sarcelles, classé REP (Réseau d’éducation prioritaire), Marc (le prénom a été changé) le concède : « On fait avec les moyens du bord pour accompagner ces mômes, mais ce n’est pas facile avec les effectifs qui augmentent, forcément ça se répercute sur le niveau scolaire. » « Dans certains de nos quartiers, on a des classes où un tiers des enfants ne parlent pas la langue à la maternelle. Mais nous avons su nous adapter, créer des outils avec l’Éducation nationale, et il y a le programme de réussite éducative », insiste Patrick Haddad. Une institutrice de Villiers-le-Bel estime « qu’aujourd’hui on sait faire avec ces enfants. Il y a une assez bonne prise en charge. »
En dehors des murs de l’école, le tissu associatif agit. Soutien scolaire pour les enfants, cours d’alphabétisation pour les parents, les initiatives ne manquent pas. A Garges-lès-Gonesse, où « 30 % de Gargeois ne sont pas d’origine française et nombreux sont les primo-arrivants », indique le maire (UDI) Benoît Jimenez, deux fois par semaine pendant trois heures, des parents suivent des cours de français gratuits dans les mêmes locaux que leurs enfants. Un programme initié par la Maison des langues de la commune.
Au fil des années, ces différentes vagues migratoires ont fait de Villiers-le-Bel, Sarcelles, Garges, des villes cosmopolites. « Avec près de 130 nationalités, le territoire est un symbole de la diversité du XXIe siècle », écrivait en 2012 Catherine Roth, ethnologue. Patrick Haddad, pour qui l’accueil des réfugiés doit se penser au niveau national, insiste : « C’est à d’autres villes de faire un effort. »
2021-09-15 10:00:00
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