« Une période d’instabilité approche » – Yanina Welp, experte en populisme, à propos du triomphe de Javier Milei en Argentine

Le président argentin nouvellement élu promet une restructuration et un démantèlement de l’État, une « dollarisation » et une rupture radicale avec le gouvernement précédent. La politologue Yanina Welp, basée à Genève, explique le contexte de sa victoire et ce qui attend désormais l’Argentine.

Ce contenu a été publié le 20 novembre 2023 – 11h00

20 novembre 2023 – 11h00

Benjamin von Wyl

SWI swissinfo.ch: Javier Milei a été élu président de l’Argentine avec une nette victoire au second tour, 11% devant son adversaire, l’ancien ministre de l’Economie Sergio Massa. Etes-vous surpris par ce résultat ?

Yanina Welp : Je suis surprise par la clarté, mais pas par le résultat lui-même : le gouvernement actuel laisse derrière lui un très mauvais héritage économique et social et le précédent ministre de l’Économie n’a pas réussi à prendre ses distances avec ce gouvernement. Néanmoins, la clarté reste une surprise car les sondages d’opinion ne montrent pas un tel écart.

SWI : Il y a 40 ans, la dictature militaire argentine prenait fin – et maintenant les Argentins élisent un président qui minimise ou nie les crimes de ce régime. Quelles en sont les raisons ?

YW : Je crois que les clés pour comprendre cette élection ne se trouvent pas dans la fracture entre démocratie et autoritarisme, comme voulait le décrire le gouvernement argentin actuel, mais dans le principe du changement. La population est fatiguée et a choisi le changement sans considérer les éventuelles conséquences négatives.

SWI : Le président nouvellement élu Milei se qualifie d’anarcho-capitaliste. Comment décririez-vous sa politique ?

YW : Sans objet et non souhaitable.

SWI: Si vous considérez Javier Milei comme un populiste, quelque chose le distingue des autres populistes : il est également un expert économique. Comment sa position d’expert influence-t-elle la façon dont les gens le perçoivent et ses opinions politiques ?

YW : Je ne pense pas qu’un diplôme en économie fasse de quelqu’un un expert en économie. Ce que je crois, c’est qu’un vocabulaire technique complexe, associé à un choix de mots très agressif et à des slogans simplistes, peut expliquer le soutien qu’il a reçu de certaines parties de la population, notamment des jeunes électeurs. D’autres l’ont soutenu en raison de son rejet du péronisme. [Anmerkung: Der unterlegene Sergio Massa vertrat das peronistische Bündnis.]

SWI : Milei a-t-il été élu grâce à ses promesses économiques ?

YW : Les gens qui l’ont élu veulent un changement radical. Lorsqu’on lui a posé des questions sur les points controversés de son programme politique, la réponse la plus courante a été “Il ne va pas vraiment faire ça”. Le triomphe de Milei est dû à l’échec de l’élite politique qui a dirigé le pays pendant 20 ans.

SWI : Entre autres choses, la campagne de Milei appelait à la suppression de la banque centrale et de nombreux ministères gouvernementaux, y compris ceux responsables de la santé et de la science. Avec quelle facilité le nouveau président peut-il abolir ou reconstruire les institutions ?

YW : Il y a des choses qui sont très difficiles à mettre en œuvre. Par exemple, la « dollarisation », c’est-à-dire l’introduction du dollar comme monnaie, pourrait être inconstitutionnelle.

Pour d’autres projets, il a besoin du soutien parlementaire, ce que son alliance Libertad Avanza ne possède pas. Même si le soutien de Mauricio Macri, l’ancien président de 2015 à 2019, a été crucial pour la victoire de Milei, cela ne lui garantit pas le soutien nécessaire sur les propositions législatives. Il y aura des mouvements dans de nombreuses directions au sein des alliances qui se sont formées jusqu’à présent. Je crois qu’une période d’instabilité nous attend.

Le premier tour de scrutin en Argentine a eu lieu le 22 octobre. Les Suisses de l’étranger racontent ici ce que cela a été de voter le même jour dans deux pays très différents:

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