Un mois et demi après le procès du dénommé Malsain, le patron de l’ancien point de deal des Boute-en-Train à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), et de ses lieutenants, c’est au tour de l’équipe qui lui a succédé, d’être jugée devant la 13e chambre correctionnelle à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Depuis ce mardi et pendant une semaine, neuf prévenus, du gérant aux guetteurs, doivent s’expliquer sur ce qui fut l’un des fours le plus rémunérateurs de Saint-Ouen.
Avec la dernière vague d’interpellations qui s’est achevée en novembre 2021, c’est le clap de fin qui est donné à ce réseau historique de trafic de cannabis et de cocaïne. À son apogée, la « cité de la drogue », comme elle était surnommée, réalisait un chiffre d’affaires de 5,7 millions d’euros sur sept mois. Le trafic des Boute a perdu de sa superbe avec la nouvelle équipe. « Ça avait baissé grave », résume Jugurtha H. l’un des gérants présumés du four. De l’ordre de 16000 euros par jour, le gain avait été divisé de moitié.
Même les surnoms des trafiquants de rechange sont moins flamboyants : Z, Fazer, JJ, Fellouz en lieu et place de Malsain et Mojito. Le décor lui, est le même : les deux tours jumelles de la cité des Boute-en-Train, qui surplombent les Puces et le périphérique. La tour 10 est dévolue au stockage provisoire du cannabis, le bâtiment 12 abrite la revente.
Le point de deal s’éveille un peu avant midi. Les guetteurs prennent leur poste et disposent les poubelles en travers pour retarder l’intervention de la police. A midi pétantes, une Audi A3 grise apparaît, son conducteur est identifié comme étant Billel C. Les petites mains dégagent les poubelles pour le laisser passer. On le salue quand il arrive devant les deux HLM. Il rentre dans la tour 10 puis la 12. Billel, 32 ans, surnommé Z est dépeint comme le nouveau gérant du terrain. Un Mojito au petit pied.
11 voitures différentes, 2800 euros dans sa sacoche
Dans le box, durant plus de deux heures, le prévenu est cuisiné consciencieusement par le président Jean-Baptiste Achiardi. Doudoune poids plume sur le dos, petite barbe broussailleuse, Billel a bien du mal à se justifier. Il nie être le patron du terrain et ne confesse que « la sécu de la night », la sécurité de la nuit, et quelquefois, le ravitaillement.
« Vous gérez aussi les dépannages, l’équipe de guetteurs. Si on met tout ça bout à bout, est-ce qu’on n’a pas le rôle de gérant ? », questionne la procureure. « On n’a pas de rôle défini, assure Billel. Mais mon rôle fixe, c’est nourrice. »
Son train de vie aussi interroge. Entre mars et mai 2021, il est vu dans 11 voitures différentes « en sous-location », des berlines allemandes pour la plupart. « Donc, vous changiez pour le plaisir, ironise le président. Vous réduisiez ainsi les risques d’être sonorisé (mis sur écoute) ». « Ce n’était pas mon intention. J’aime bien en changer », précise Billel.
De même a-t-il été interpellé en possession de plus de 2800 euros glissés dans sa sacoche. Ses revenus proviendraient, selon lui, de son activité sur les réseaux sociaux où il dit être influenceur. Il met ses talents de community manager au service du point de deal. Ses vidéos humoristiques postées sur un compte Snapchat, dénommé « Midi Midi », soit l’amplitude d’ouverture 24 heures sur 24 du point de stup.
Elles lui procureraient des rémunérations allant de 800 à 1000 euros. « Ça peut paraître étonnant de se promener avec plus de 2000 euros, alors que vous n’avez pas d’activité », s’étonne le président.
Des tournages de clips dans la cité, selon le prévenu
Autre découverte intrigante, une arme exhumée d’une bouche d’égout à l’entrée des Boute. Un pistolet 9 mm approvisionné de 15 cartouches avec ses empreintes. Elle aurait été utilisée lors de tournages de clips dans les cités de Saint-Ouen, selon Billel. « J’ai manipulé cette arme sur un clip. Deux clips de Fianso ont été tournés ainsi qu’un autre d’un rappeur italien, Baby Gang », affirme le prévenu.
Pendant la suspension d’audience, le président tente de retrouver sur Internet trace de ces tournages. En vain. Billel, lui, vient de se souvenir du titre de l’un des raps de Fianso tourné aux Boute : « Attrape-moi si tu peux. » Sourire en coin du président, qui doute fortement de la vocation musicale des Boute. « Ça ne tournait pas que des clips », fait remarquer le magistrat.
Il déroule alors la longue liste des règlements de comptes entre trafiquants, qui ont ensanglanté la ville de Saint-Ouen à cette époque. Le 24 août 2019, Cyborg, le patron du four de la cité voisine Charles-Schmidt, est exécuté à Aubervilliers. Le 5 juillet 2020, on déplore une tentative de meurtre à la cité Soubise : la victime reçoit cinq impacts de balles et en réchappe miraculeusement.
Une série de règlements de comptes puis des interpellations
Le 28 août de la même année, cité Charles-Schmidt, un tireur à moto fait feu à sept reprises sur le point de deal, on dénombre trois blessés. En septembre, un mineur est jambisé et deux personnes sont tuées : un majeur et un mineur sont criblés de balles dans une cave de la cité Soubise.
En janvier 2021, cité Cordon, rue Claude-Monet, un homme de 26 ans est achevé à coups de battes de base-ball. Le 15 février 2021, un homme de 25 ans est atteint par un tir de 9 mm dans cette même cité. Le 17 février, cité Charles-Schmidt, le passager d’une moto fait feu sur les guetteurs.
Ces règlements de comptes ont été suivis de vagues d’interpellations dans les plus gros fours de Saint-Ouen : Michelet, Charles-Schmidt et les Boute. Elles ont débouché sur autant de procès depuis 2020. Lors du procès du réseau de Malsain aux Boute, des peines très lourdes ont été prononcées : dix ans, dont les deux tiers de sûreté pour le boss en cavale au Maroc, et une amende de 2 millions d’euros, à la mesure des profits estimés. Le procès en cours, lui, se poursuit jusqu’au mardi 6 juin, jour du délibéré.
2023-05-31 10:00:00
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