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PORTRAIT. Mort d’Elizabeth II : une reine à la longévité exceptionnelle

PORTRAIT. Mort d’Elizabeth II : une reine à la longévité exceptionnelle

« Le pont de Londres est tombé » (London Bridge est en panne). C’est par ces mots que le secrétaire particulier de la reine est censé avoir alerté le Premier ministre britannique du décès d’Elizabeth II, ce jeudi 8 septembre 2022, dans l’après-midi. Un code pour éviter que l’information ne fuite trop vite aux oreilles du monde.

Dans tous les studios de radio du pays, une « lumière nécro » bleue s’est allumée. Un signal. Les présentateurs devaient se préparer au pire, en diffusant une musique d’attente. Triste, bien sûr. Autant dire que les Sex Pistols, qui s’égosillaient en jurant que la reine n’avait rien d’un être humain n’auront pas eu la parole. En 1977, déjà, sans se départir de son éternel sourire compassé, la reine avait exigé que la Bbc censure leur blasphématoire Dieu sauve la reine. Pas touche à la monarchie.

Sa Majesté en a maté de plus coriaces. En 70 années de règne, Elizabeth II a vu défiler l’Histoire. La décolonisation (dès 1947), l’adhésion à la Communauté économique européenne (1973), la guerre des Malouines (1982), trente ans de Troubles meurtriers en Irlande du Nord (1965-1995)… Puis ce drôle de Brexit (2016). La reine aime l’Europe, sans doute plus que l’Union européenne, mais motus. Soumise à la neutralité politique, elle règne mais ne gouverne pas.

Ce qui ne l’empêche pas de faire les gros yeux aux Premiers ministres, si besoin. Eux passent, elle reste. Elle en a côtoyé quinze, Liz Truss comprise, a trouvé Winston Churchill épatant et Margaret Thatcher culottée mais agaçante, avec sa voix haut perchée. De Boris Johnson, pas un mot. Mais il se murmure, au palais, qu’elle aurait fini par s’attacher à cet échevelé qui l’avait d’abord inquiété et qui lui a remis sa démission le 5 septembre 2022 à Balmoral, remplacé par Liz Truss.

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Le journal dans lequel la reine a couché ses pensées, chaque soir depuis le début de son règne, est classé secret. Un crève-cœur pour les historiens.

Boris Eltsine amadoué

Car n’en déplaise à ceux qui raillent sa monarchie de pacotille, Elizabeth II a su imposer, en six tours du globe, une diplomatie feutrée d’une redoutable efficacité. Elle a connu treize présidents américains et sept français, a adoubé les héros comme Nelson Mandela (1990) et a aussi, parfois, fait plier les malotrus.

Boris Eltsine en fait les frais, un soir de 1994. Craignant ses dérapages avinés, l’entourage de la reine exige un dîner sans vodka. Elizabeth II veille pourtant à ce que le verre de vin du maître du Kremlin ne désemplisse pas… et finit par l’amadouer. Comme le souhaitait son Premier ministre John Major, Eltsine fera quelques concessions sur l’Otan.

Pas armée pour régner

Implacable souveraine ? Enfant timide, Lilibet, comme la surnomment ses parents, a grandi loin du trône. Nièce du roi Edward VIII, elle n’a pas vocation à jouer les premiers rôles. Elle n’est d’ailleurs par armée pour cela : une gamine de son rang, juge sa mère, n’a besoin de maîtriser que les bonnes manières.

Elizabeth n’use donc pas ses dentelles sur les bancs d’une école. Tout juste bénéficie-t-elle de huit heures par semaine (!) d’anglais, d’histoire, de généalogie royale et de français – qu’elle maniera toute sa vie à la perfection –.

Maigre bagage mais qu’importe. Lilibet ne s’épanouit pleinement qu’au contact des chevaux. Au printemps 2020, en plein Covid-19, c’est d’ailleurs une photo d’elle cavalant dans le parc de Windsor qu’elle diffuse pour rassurer ses sujets sur sa santé.

Précieux répit arraché au carcan royal qui l’emmaillote depuis 1936. Cette année-là, son oncle Edward VIII envoie valser le protocole après 325 jours de règne : il abdique pour épouser sa douce, une Américaine deux fois divorcée. Voilà son frère George VI, le père d’Elizabeth, roi malgré lui.

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Finie l’insouciance. Lilibet n’a que dix ans, mais ses amies ne peuvent plus l’approcher sans se fendre d’une révérence, en l’appelant j’ai (Madame). Son Altesse se soumet sans broncher et suit désormais des études plus poussées : constitution, grec, italien…

Propulsée reine à 27 ans

Son seul acte de rébellion sera de succomber à son cousin Philip Mountbatten, prince grec sans le sou, marin de la Royal Navy, coureur du monde et de jupons. Elle a 13 ans, lui 18. Ils se marient huit ans plus tard. Pour le meilleur, mais le pire arrive vite. George VI meurt en 1952. À 27 ans, Elizabeth se voit propulser reine du Royaume-Uni et cheffe du Commonwealth.

Les paparazzis s’offusquent déjà de sa froideur. Pas une larme devant leurs objectifs oppressants. Question d’éducation.

Un clan intenable

Sa Majesté mènera donc son royaume comme son clan, rebaptisé Dans les entreprises. Le grand amour de sa sœur Margaret, le capitaine Peter Townsend, divorcé, est expédié à l’autre bout de la planète. Son mari Philip, décédé le 9 avril 2021un tantinet volage, est vite ramené dans le rang : il devra se contenter du titre – humiliant – de prince ; marcher derrière son épouse, renoncer à ses envies de grand large pour s’occuper de leurs quatre enfants.

En public, Elizabeth II se révèle aussi plus câline avec ses chiens corgis, qu’elle vénère, qu’avec ses descendants. En témoigne cette scène sidérante, relatée dans le savoureux livre de Marc Roche, Elle ne voulait pas être reine ! (Albin Michel) : en 1954, de retour d’un périple de six mois à l’étranger, la reine passe sans un regard devant Charles, 5 ans, pour filer s’entretenir avec des officiels.

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La mort de Diana, un tournant

Sa dureté ne suffira pas à colmater les brèches. En 1992, trois de ses enfants divorcent. Pire : Diana publie un livre brûlot sur Charles. Impardonnable. À la mort de sa belle-fille dans un accident avec son amant, Dodi Al-Fayed, le 31 août 1997 à Paris, la reine reste aveuglée par la rancœur. Et sourde à l’émotion de son peuple, qui pleure sa « Princesse de cœur ». Elle attend six jours avant d’écourter ses vacances, à Balmoral, pour regagner Buckingham et se fendre, enfin, d’une brève allocution télévisée.

Les Britanniques sont outrés. Puis ils oublient. La reine reste leur reine. Intouchable. En 2012, ils exultent quand elle se joue d’eux : en pleine cérémonie d’ouverture des JO de Londres, une mise en scène osée la montre sautant en parachute avec Daniel Craig, alias James Bond.

Sept ans plus tard, ses sujets saluent sa droiture quand elle met au ban de la royauté son fils préféré, Andrew, pour avoir côtoyé de trop près le prédateur sexuel Jeffrey Epstein. Puis quand elle coupe les vivres de son petit-fils Harry et de son épouse américaine Meghanallergique aux règles de la monarchie.

Symbole du passage de relais qui se prépare, le prince Charles, 73 ans, est publiquement associé à cette décision inédite. La reine cache mal ses doutes quant à la capacité de son fils à régner, mais il lui faut bien se résoudre, une dernière fois, à appliquer le protocole. Sans émotion. En apparence, du moins.

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