Longtemps, le mot grec diaspora
a été presque exclusivement appliqué à l’expérience du peuple juif. Suite au génocide turc de 1915une diaspora arménienne s’est constituée, puis des migrations plus récentes ont généré une myriade d’autres phénomènes diasporiques.
Pour comprendre bien des bouleversements politiques et géopolitiques actuels, il faut en tenir compte. Ainsi, analysant le mouvement des femmes qui ébranle actuellement le régime des Mollahs en L’Iranle sociologue Farhad Khosrokhavar (Le Grand Continent
novembre 2022) souligne le rôle d’une diaspora de près de 4 millions de personnes étroitement associée à la classe moyenne iranienne. Pratiquement toutes les familles ont quelqu’un à l’étranger et leurs relations sont des relations préservées […]. Ce phénomène est renforcé par internet et […] a annulé les effets de l’endoctrinement de l’école en Iran
.
Voici qui invite à considérer d’autres expériences. Aux États-Unis, la diaspora irlandaise a durant des années soutenu le mouvement indépendantiste en Irlande du Nord, y compris dans ses modalités les plus violentes. Les migrants latino-américains, notamment depuis les États-Unis, exercent une influence culturelle considérable sur leur pays d’origine, en plus des envois de fonds
l’argent qu’ils envoient massivement à leurs familles et communautés, et il en est de même pour plusieurs pays d’Afrique et d’Asie.
Le soutien de la diaspora juive à Israël est sans grande nuance depuis les années 80, ses membres étant sommés de l’apporter de façon inconditionnelle, quelle que soit la politique de l’État hébreu. Celui de la diaspora arménienne à l’Arménie, financier, et géopolitique, s’accompagne par contre de pressions pour peser sur la vie politique interne du pays.
Combat pour la liberté
Il arrive que des organisations diasporiques relaient la politique d’un État, mais aussi soient contrôlées par lui. Il en est ainsi en France avec la diaspora chinoise, ou en Allemagne avec l’immigration d’origine turque. Différemment, certaines migrations coupent les ponts avec le pays d’origine, en particulier lorsque s’imposent des logiques d’intégration, voire d’assimilation.
Bref, il existe une réelle diversité de configurations dans les relations entre États et diasporas qui en sont issues ou qui y sont liées.
En ces temps de guerre russe en Ukrainequ’en est-il ? Les descendants de migrants russes sont surtout issus de la vague de départ consécutive à la révolution de 1917, faite de Russes blancs
. Ils ne pèsent plus guère sur la vie interne de leur désormais plutôt lointain pays d’origine, et pas davantage les migrants récents, qui fuient la politique terroriste de Poutine et refusent la mobilisation. Les Ukrainiens sont venus nombreux au Canada et aux États-Unis à partir de la fin du XIXe siècle, puis depuis l’indépendance de l‘Ukraine en 1991 pour travailler dans les usines et les campagnes des pays voisins d’Europe (en Pologne, deux à trois millions de personnes), au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne ou au Portugal. Ils jouent un rôle important dans l’accueil des familles quittant l’Ukraine en guerre, éventuellement avec l’aide de réseaux gréco-catholiques. Des liens puissants, familiaux, culturels, nationaux, les attachent à leur pays d’origine. Par ailleurs, nombre d’Ukrainiens vivent aussi en Russie – vraisemblablement plus d’un million – qui ne sont certainement pas tous en faveur de la guerre menée par Poutine.
Ainsi, la diaspora ukrainienne est active dans le soutien à son pays d’origine, et pour son intégration à une Europe centrale qui soit elle-même fortement arrimée à l’Union européenne. Là où son homologue russe est peu audible, elle est un acteur non négligeable du combat pour la liberté, la démocratie et les droits humains.
Michel Wieviorka, sociologue. © ARCHIVES Daniel FOURAY/OUEST FRANCE.
Sociologue.
