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Lettre ouverte à Adèle Haenel : Salut et adelphité.

Lettre ouverte à Adèle Haenel : Salut et adelphité.

Chère Adèle Haenel,

C’est l’actualité, comme on dit, qui m’invite à vous écrire. Vous êtes une actrice française aimée du public et des prix. En 2020, à l’annonce du César attribué à Roman Polanski, accusé d’agressions sexuelles sur une mineure, vous quittez la salle, avec le surlendemain ces mots presque planétaires de Virginie Despentes : “On se lève et on se casse”. Je ne sépare pas, moi non plus, la personne, ses actes et ce qu’il créé.

Votre choix d’arrêter le cinéma s’est redoublé d’une récente lettre dans les médias. Vous avez raison de vouloir politiser votre “arrêt du cinéma” pour dénoncer la complaisance falote de l’industrie du cinéma envers les violents et par extension envers le capitalisme écocidaire. Car tout est dans tout. Le cinéma continue de rendre désirable l’ordre patriarcal et néolibéral – nous sommes d’accord. Le milieu du cinéma, celui de la littérature dominante aussi, préfèrent la légèreté. On est gêné aux entournures. “Comment ça va se vendre ? Ce n’est pas ce qu’on souhaite donner à voir, à lire…” Le monde tel qu’il va est devenu gênant comme un cousin trop sobre au milieu d’une fête sans fin. Il va finir par tout gâcher. Laisse-nous nous amuser !

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Je m’en souviens : la Palme d’or à Rosette a été critiquée parce que le film des Frères Dardenne était “tristement naturaliste”entendez : pas assez récréatif, rabat-joie. Rosetta gâchait le cocktail Rosette – kirsch, marasquin et crème de cerise. Et voilà que le festival de Cannes s’est ouvert cette semaine. Il ne fait pas très beau sur Cannes ce samedi, littéralement il pleut. Les messieurs vont faner leurs coiffures, on va prendre en main ses hauts talons. Alors attention de ne pas être refoulées à la montée des marches, comme ces femmes en 2015, parce qu’elles n’en portaient pas. Le petit scandale promotionnel de Jean-Claude Van Damme se bagarrant avec Dolph Lundgren sur le tapis rouge sang cachait encore le fascisme ordinaire du regard masculin. Le problème, c’est que l’histoire éternue : Johnny Depp, un de ces violents, a fait ce mardi l’ouverture du festival ; et le président du jury, Ruben Östlund, n’utilise-t-il pas l’esthétique du luxe et des apparences qu’il cherche à critiquer ?

Chère Adèle Haenel, bien sûr, quand vous dites le cinéma, l’industrie du cinéma, qui reconduit par l’artifice de la beauté un ordre mortifère, il faut entendre – je suppose que vous entendez – un certain cinéma, une certaine industrie du cinéma. Car le Festival International du Film Indépendant de Bruxelles n’est pas le Festival de Cannes. Car les Polarise Nordic Film Nights ne sont pas les Oscars de Los Angeles, et ainsi de suite.

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Il y a donc deux manières de s’affronter à la réalité. Soit on la quitte. Ciao, ce sera sans moi. Trop de compromissions. Je ne veux plus participer à cette honte. Soit on reste, on persiste, on ne laisse pas dire “qu’elle parte, c’est qui ? La fête continue”. Non, on reste et on dérange par sa seule présence. On insiste. On agit de l’intérieur. On ne laisse pas dire “elle nous annule de son monde ? Et alors ? Bon débarras”. Non, on reste à bord. On est là et on fait chier jusqu’au bout.

Tout comme à l’époque de l’affaire Weinstein il fallait faire du “moment un mouvement” je ferais de votre voix (à entendre) une voie (à suivre), à suivre au cinéma. Il y a assez de beauté, assez de puissance dans la tête et les corps pour un cinéma véritablement contemporain. La fête n’est pas à abolir, peut-être, elle est à réinventer. Comme au Festival international du film écologique et social qui a lieu dans deux semaines, à Cannes aussi, porté, lui, par le désir d’un “monde plus juste et supportable”. Ce que vous appelez de vos vœux.

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Chère Adèle Haenel, j’aurais bien envie de vous saluer en disant “Salut et fraternité” ou plutôt “sororité” (pour moi, historien, le mot est synonyme de communauté de vie). Mais il y a un autre mot que vous connaissez sans doute, plus neutre, plus collectif encore, plus intersectionnel, et qui j’avoue tombe à point nommé. C’est adelphité, ce mot venu du grec, qui dit le frère et la sœur en même temps, c’est-à-dire la solidarité entre semblables, entre tous les vivants – solidarité à laquelle vous associez la politisation de votre vie d’artiste.

Alors, chère Adèle Haenel,

Salut et adelphité,

Gil Bartholeyns
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