Les multiples facettes de Gérard Depardieu : Une enquête choc

“Ce qui frappe est que Gérard Depardieu ne se soit jamais caché”écrivent les auteurs. Au contraire, ses airs de voyou lui permettent de décrocher le rôle qui va le lancer vers les sommes, Les Valseuses. “Putain, le personnage de Jean-Claude, c’est moi, hurle Depardieu en jetant le livre à la figure de son auteur. Ces deux mecs qui se font chier, qui harcèlent les filles, qui volent de bagnoles, qui se bourrent la gueule tous les soirs, c’est ma vie, ça.”

Dès le début, il joue carte sur table. Sans réaction du milieu du cinéma. “Évidemment, il touchait les seins et les culs de tout le mondeconfirme la réalisatrice Josée Dayan dans l’ouvrage. Il a toujours fait ça. Il met la main dans la culotte ou dans votre soutien-gorge mais c’est comme s’il caressait un chaton. Tout le monde prenait ça à la blague.”

Gérard Depardieu visé par une nouvelle plainte pour agression sexuelle

Pas tous, non. Sophie Marceau garde un souvenir pénible du tournage de Police. “C’est un prédateur, Depardieu, il faut qu’il bouffe tout et tout le monde”déclare-t-elle en 2015 à Société. Auparavant, dans Studioelle le qualifie de « pervers sado-maso ». Des propos qui lui valent son lot d’insultes de la part des professionnels du 7e art hexagonal. Philippe Torreton a droit au même traitement quand il égratigne “Gégé” dans Libération. “Quand on attaque Depardieu, il faut une filmographie solide”souffle un critique dans Le masque et la plume…

”Tout le cinéma a bouffé grâce à lui”

Aux États-Unis, Julia Roberts n’apprécie pas non plus de se faire embrasser sur la bouche sans son consentement pendant les Golden Globes. Et Andie McDowel pique une crise lorsqu’il lui dit : “Vous avez des seins superbes.” Tout en pestant contre “le puritanisme”il se défend en estimant qu’il “ne faut pas laisser la morale tuer la vie.”

Mais le coup de grâce à sa carrière américaine tombe en 1991, lors de la diffusion d’une interview accordée à Film Comment en 1978, dans laquelle il affirme, avoir participé à son premier viol à 9 ans, et qu’il y en avait eu d’autres ensuite. Ressortent aussi ses propos au Fois la même année : “Il n’y a pas de mal à ça, les filles voulaient être violées. Je veux dire que ce n’était pas vraiment un viol. C’est seulement que les filles se mettent dans ce genre de situation. ” Ce qu’il précise en 1980 dans Son : “Oui, mais je passais après tout le monde parce que j’étais gamin. La fille disait : Viens, qu’on en finisse, y en a marre. En fait, viol, c’est beaucoup dire. Il s’agissait plutôt de filles qui, pour appartenir à la bande, se faisaient passer dessus. ” Il tente de nier par la suite (“ Vraiment, est-ce qu’à 9 ans, on peut violer quelqu’un ?”), mais son image est définitivement ternie aux USA. D’ailleurs, Cyrano est le grand perdant des Oscars en 1991.

Les propos chocs d’Anouk Grinberg sur Gérard Depardieu : “Quand un producteur engage Depardieu, il sait qu’il engage un agresseur”

En France, cela fait scandale aussi, mais pour d’autres raisons. Le ministre socialiste de la Culture, Jack Lang, dénonce “un coup bas contre un de nos plus grands acteurs”tandis qu’un des leaders de la droite, Jacques Toubon, évoque “une manœuvre pour priver d’un Oscar la France, à travers sa plus belle incarnation. ”

L’explication ? “Tout le cinéma a bouffé grâce à lui, a-t-on maintes fois entendu au cours de notre enquête”écrivent Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumefeld. L’année 1981 l’illustre à merveille. Entre août et décembre, il attire en salle 1,8 million de spectateurs avec Le choix des armes1 million avec La femme d’à côté et 7 millions avec La chèvre. Soit un polar, une romance et une comédie. Il excelle dans tous les registres, ce qu’aucun autre acteur français ne parvient à réaliser. Son nom au générique suffit à assurer le succès d’un long métrage. Et lorsque la secrétaire du producteur Daniel Toscan du Plantier lui demande au téléphone “C’est de la part de qui ?”il rétorque “De la part de Dieu !”. Une boutade, certes, mais révélatrice de son statut.

”Il y a deux hommes en lui”

Tout au long des pages d’Une affaire très française se dévoilent des traits de caractère contradictoires : “Il y a deux hommes en lui, pourrait-on dire. Le grand acteur d’une finesse absolue et le type lourdingue qui abuse de son pouvoir. L’amant de femmes hors du commun et le harceleur de filles en situation de faiblesse. Lequel est le vrai Depardieu ? ‘Je suis un type plutôt simple et sensible qui, au fond, est quand même un grand manipulateur. Un type terrifiant’, a-t-il dit un jour à un journaliste de Studio.”

Les femmes de sa vie l’affirment, “Il n’est pas un violeur”. Et le médecin Jean-Pierre Tarot ajoute : “Il y a une forme de drague lourde et aussi une sexualité bruyante, qui suscite volontairement le dégoût, alors que c’est l’homme le plus fin, le plus cultivé, le plus sensible que je connaisse.”

L’affaire Gérard Depardieu prend des proportions dantesques

”Artistiquement parlant”, il est “mort de son vivant”

Même si, après la diffusion de Complément d’enquêteune cinquantaine d’artistes signent une tribune, estimant que “lorsqu’on s’en prend ainsi à Gérard Depardieu, c’est l’art qu’on attaque”beaucoup ont depuis fait marche arrière.

“Artistiquement parlant”il est “mort de son vivant”concluent les auteurs. “Avec ces histoires de viols auxquelles je ne crois pas, Gérard ne tournera plus”confirme Josée Dayan, dans ce livre qui s’achève par ces mots : “Aimé, trop aimé, au-delà du raisonnable. C’est désormais sa postérité qui se dérobe sous ses pieds au moment où, quittant la scène, ne lui sont plus réservés que l’opprobre et les quolibets.”

Gérard Depardieu, l’argent et la politique

Dans leur enquête fouillée sur “l’histoire secrète d’une chute vertigineuse devenue l’affaire de tout un pays” Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld ne s’intéressent pas qu’aux raisons qui ont permis à Gérard Depardieu, l’image de la France, des comportements déplacés sur les plateaux de cinéma. Les deux journalistes du Monde dévoilent aussi des aspects moins connus de sa personnalité.

“Il n’aime que l’argent” aurait dit de lui son fils, Guillaume. “L’étonnant, dans son cas, c’est d’avoir vu l’homme d’affaires émerger comme alternative et contrepoison à l’acteur de génie” ajoute son ancien agent, Jean-Louis Livi. Les réalisateurs se plaignent qu’il n’apprend plus ses textes et se soucie davantage du cachet que du scénario. S’il fait preuve de flair dans ce domaine (un cachet d’un million quatre cent mille euros agrémenté de 9 % des recettes pour Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre qui attire 15 millions de spectateurs en 2002), ce n’est pas toujours le cas dans ses nombreux investissements. “Je n’ai jamais gagné d’argent avec les affaires que j’ai faites” déclare-t-il. “Mon seul grand puits de pétrole, c’est mon talent et le cinéma.” Selon les sources, invérifiables, sa fortune est tout de même estimée entre 200 et 250 millions d’euros.

Le livre s’attarde aussi sur “sa collection de dictateurs” (dixit Yann Moix), de Fidel Castro à Vladimir Poutine, en passant par Kim Jong-Un. Ainsi que son admiration pour tous les présidents français sauf François Hollande, le président chinois Xi Jinping ou Donald Trump. Ou, plus inattendu, son rapport à la mort.

Autant de facettes qui permettent de mieux appréhender un personnage particulièrement complexe.

Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumefeld, Une affaire très françaiseAlbin Michel.