Les implications de l’intelligence artificielle dans la littérature et la narration numérique

Il est aujourd’hui admis que l’intelligence artificielle génère des textes, mais son intrusion dans le monde institutionnalisé de la littérature suscite toutes sortes de craintes et de débats.

C’est ce qui a été développé dans une partie des interventions de Serge Bouchardon et Mounir Hamouda, respectivement professeur à l’Université de Technologie de Compiègne (France) et maître de conférences à l’université Mohamed Khider de Biskra. Les deux universitaires se sont rencontrés lors d’un séminaire international organisé en 2019 à Biskra, au cours duquel le second, déjà engagé dans des recherches sur le sujet, a invité le premier à y participer.

Cette fois, c’est l’inverse : invités par l’Institut français dans le cadre d’une tournée en Algérie, les deux chercheurs se sont intéressés à tous les aspects des “récits numériques” (titre de la conférence) liés à l’interface “écran” (ordinateurs, tablettes, smartphone), combinée à l’espace Internet ou à l’interconnectivité en général.

Ils cherchent à analyser les nouvelles avancées apportées par ces outils, bien loin de la simple lecture sur un écran (ebook et ses plateformes dédiées comme le projet Gutenberg, etc.), préviennent-ils. C’est dans ce contexte qu’ils ont mis en avant la notion d’hypertexte permettant une lecture non linéaire mais plus riche, les récits cinétiques faisant appel à des animations, les récits collaboratifs ou participatifs, et enfin, les récits génératifs. Les possibilités sont énormes, et certains exemples donnés lors de la conférence sont le fruit d’expérimentations menées au sein même de l’université française.

Une application intitulée “Derives” permet, par exemple, de proposer des contenus poétiques sur smartphones, dépendant du moment de la journée, du lieu, de l’état de marche ou d’arrêt, et même de la météo. Diverses compétences sont mises à profit pour aboutir à de tels contenus.

L’unification des compétences pour la réalisation d’un produit littéraire n’est pas nouvelle, car le livre conventionnel a lui aussi évolué et tiré parti de nombreuses avancées artistiques, techniques et technologiques. Toutefois, le petit plus du numérique réside dans cette interactivité, parfois instantanée, avec l’environnement, mis en avant par Serge Bouchardon. Parmi les exemples d’interactivité évoqués se trouve la fiction interactive pour téléphones portables, intitulée “Enterre moi, mon amour,” développée en 2017 en collaboration avec la chaîne de télévision Arte.

Dimension pédagogique et humaine

Tout a commencé avec l’histoire de Nour, une vraie migrante syrienne. Celle-ci a accepté, à la demande d’une journaliste du quotidien français Le Monde, que ses échanges textuels avec son mari, resté au pays, soient publiés, racontant ainsi son périple dans “Dans le téléphone d’une migrante syrienne.” Les participants à la fiction sont invités à intervenir pour aider Nour, devenue personnage, à réussir son aventure. Cette dimension pédagogique et humaine permet de prendre conscience de la situation de tous les migrants de la planète.

Les aspects pédagogiques liés aux jeux vidéo sont la spécialité de Mounir, qui estime que “dans des situations ou des environnements où la lecture conventionnelle fait défaut, le jeu vidéo peut servir de catalyseur.” Le film A. I., adapté d’une nouvelle de Bryan Aldis datant de 1969, signée Bryan Aldis, en est une des illustrations. La franchise née avec le succès du film Terminator entamée en 1984 traduit le summum de la crainte que suscite l’IA en mettant en scène des machines contrôlées par un système informatique (Skynet) doté d’une intelligence artificielle menaçant d’exterminer la race humaine.

Les formes du récit génèrent des initiatives, comme l’illustre Wattpad, une plateforme sociale spécialisée développée en 2006 par deux Canadiens, qui permet de réunir des millions de lecteurs et d’écrivains pour échanger autour de l’écriture narrative.

C’est sur cette plateforme que, à titre illustratif, l’Américaine Anna Todd a publié en 2014 sa saga “After,” tapée entièrement sur smartphone, qui a connu un succès phénoménal avant de décrocher un contrat d’édition papier, puis des droits pour une adaptation cinématographique.

Littérature algorithmique

Ce sont ces expériences qui suscitent le plus de débats et de craintes. Que de grands joueurs soient battus par la machine aux échecs ou plus récemment au jeu de Go, on peut toujours dire qu’on a affaire à des domaines à stratégies complexes mais où la logique règne toutefois en maître.

Mais avec la littérature, on est censé être en plein dans la créativité. Les chercheurs n’ont pas de réponse tranchée face à ces outils numériques de type ChatGPT ou d’autres plus sophistiqués pouvant générer des œuvres complètes, mais avancent des hypothèses selon lesquelles “on peut travailler avec, ou alors les utiliser pour faire autrement.”

A la dimension possiblement créative, on adjoint la dimension pédagogique. Mounir Hamouda explique comment il a intervenu auprès de ses étudiants pour les inciter à faire la jonction entre la recherche et l’usage de l’IA pour améliorer le travail académique sans tomber dans le plagiat.

Il est intéressant de souligner qu’avant d’être un outil, l’IA a été elle-même traitée comme thématique dans la littérature et le cinéma, avec des exemples allant de la série télé “Person of Interest” au film “A. I.” de Steven Spielberg.

Les exemples sont nombreux à l’instar de l’ordinateur de bord (HAL 9000) du vaisseau spatial du film “2001, l’Odyssée de l’espace” de Stanley Kubrick, écrit avec le célèbre écrivain de science-fiction, Arthur C. Clarke. Tout fonctionne comme si cette IA d’abord personnage a fini par sortir pour devenir auteur.