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Les enfants cibles d’un marketing agressif sur des produits alimentaires médiocres

Les enfants cibles d’un marketing agressif sur des produits alimentaires médiocres

2023-09-26 18:34:10

Sciences et Avenir : Sur le site de “Open Foods Facts”, près d’un million de produits alimentaires sont recensés. Or votre étude n’en prend en compte que 228. Comment avez-vous sélectionné ceux qui sont analysés dans votre enquête ?

Audrey Morice : Nous avons utilisé trois critères : le produit devait être vendu en France ; au vu du marketing sur l’emballage, il devait clairement être destiné aux jeunes ; enfin, pour la plupart, les industriels les commercialisant devaient avoir signé la charte “EU Pledge”.

“Seules 2 céréales pour petit-déjeuner sur 10 sont suffisamment équilibrées au regard du modèle de l’OMS”

Selon quels critères avez-vous évalué ces aliments ?

Nous nous sommes basés sur un travail mené par des experts de l’OMS (Organisation mondiale pour la santé). En 2015, ils ont mis au point un outil définissant “le profil nutritionnel” de 18 catégories d’aliments. Mis à jour en mars 2023, cet outil fixe des seuils de gras, de sucre, de sel, mais aussi de teneur en calories, en sucres ajoutés et ou en édulcorants, au-delà desquels, il serait nécessaire de restreindre la commercialisation d’un produit à destination des plus jeunes. Nous avons repris cette méthodologie pour analyser 228 produits vendus en France pour les enfants. Conclusion : près 90% d’entre eux ne devraient pas faire l’objet de publicité et de marketing auprès des plus jeunes.

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À quelles familles appartiennent ces produits ?

À des familles très variées, mais pour schématiser, nous avons la famille des bonbons et des chocolats, la famille des biscuits et des gâteaux très consommés au moment du goûter, et la famille des en-cas, comme les barres de céréales. Les produits du petit-déjeuner sont eux aussi très concernés, tout comme les boissons, qu’elles soient lactées, à base de fruits, énergisantes ou gazeuses (soda). Plus surprenant : beaucoup de yaourts et de spécialités fromagères dépassent les seuils calculés par l’OMS. La dernière catégorie de produits est constituée des plats servis dans les fastfoods.

Selon les critères nutritionnels de l’OMS, seuls 10 produits sur 228 peuvent faire l’objet de marketing ciblant les enfants ou les adolescents. Quels sont-ils ?

Nous n’avons pas souhaité mettre l’accent sur ces derniers, car ce que nous démontrons, c’est que l’écrasante majorité – près de 90% – des produits de marques signataires de la charte EU pledge cible les enfants avec un marketing alors qu’elle ne devrait pas y autorisée, selon les critères de l’Organisation mondiale de la Santé.

Seules 2 céréales pour petit-déjeuner sur 10 sont suffisamment équilibrées au regard du modèle de l’OMS. Plus de trois quarts des yaourts sont trop sucrés ou trop riches en matières grasses. C’est d’autant plus grave que les 22 entreprises signataires de la charte EU pledge se targuent à elles seules de représenter plus de 80% des dépenses publicitaires alimentaires en Europe.

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“Tout commence avec l’emballage du produit…”

Les parents ne peuvent pas lutter contre la publicité et le marketing, toujours plus inventifs à destination des jeunes. Seule une réglementation serait efficace.

Cependant, je peux vous préciser les caractéristiques de quelques produits au profil nutritionnel correct. Ce sont les yaourts sans sucres ajoutés, des fruits et des légumes emballés en portion individuelle, de l’eau avec des arômes et sans sucres ajoutés, des compotes, uniquement à base de fruits : finalement très peu d’aliments, dans un océan de produits à faible valeur nutritionnelle.

Qui est Foodwatch ?
Foodwatch est une association loi 1901, agréée pour la défense des consommatrices et consommateurs. Créée en Allemagne, en 2002, à la suite du scandale de la vache folle, par l’ancien directeur de Greenpeace international, Thilo Bode, cette ONG a ensuite ouvert des bureaux aux Pays-Bas (2009), en France (2013), à Bruxelles, et en Autriche (2020).
Elle milite pour plus de transparence dans le secteur alimentaire, défend le droit à “une alimentation qui ne porte atteinte ni aux personnes, ni à l’environnement”. Récemment, elle a dénoncé le “shrinkflation”, une pratique commerciale qui consiste à réduire la quantité vendue dans un emballage sans pour autant diminuer le prix de vente du produit.

Vous parlez d’un marketing très agressif à destination des plus jeunes. Pourriez-vous nous le décrire ?

Les industriels de la malbouffe élaborent des stratégies à la limite de la manipulation afin de s’immiscer au sein des familles et de saper les efforts d’éducation alimentaire des parents impuissants.

Tout commence avec l’emballage du produit, riche en illustrations, en dessins, en couleurs, avec souvent un visuel qui associe au produit une mascotte ou un personnage. Le produit lui-même, au-delà de ses qualités nutritionnelles médiocres (bien trop salé, sucré ou gras), a un goût, une forme, ou une couleur qui attire la curiosité des enfants : par exemple, l’aliment prend des formes rigolotes ou enfantines (un biscuit en forme de dinosaure), crépite sous la langue, ou il est multicolore.

Des jouets ou des figurines sont offerts à l’intérieur du paquet et incitent à l’achat. La promotion du produit s’accompagne souvent d’opérations commerciales destinées à faire gagner des places dans un parc d’attraction, des consoles de jeux, des concerts, etc. Pour finir, les marques nouent des partenariats avec des influenceurs, des stars, ou des athlètes connus des jeunes. Cet investissement en marketing est complété par d’importants budgets consacrés à la publicité.

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Le Chili, un exemple à suivre. Voyez les différences entre ces deux paquets de céréales : à gauche un paquet classique, à droite un paquet vendu au Chili. Sur le paquet chilien, le dessin du tigre a disparu et deux deux logos nutritionnels sont présents en haut à droite. L’un informe que l’aliment est trop sucré, l’autre qu’il est trop calorique.

Pourriez-vous nous donner un exemple concret ?

Dans notre étude, nous analysons le cas du partenariat entre le rappeur marseillais, star des jeunes, JuL et la marque Oasis. Par exemple, dans un clipl’artiste incarne “JuS”, son double en version “fruit” et chante dans l’univers de la marque Oasis Tropical.

Un mois après sa publication, le clip totalisait plus de 10 millions de vues sur YouTube. Or, les boissons de cette marque sont très riches en sucre, et selon les seuils de l’OMS, ne devraient pas faire l’objet de marketing ou de publicité.

“Il faut une action politique forte pour interdire la surexposition des enfants à la malbouffe”

Par ailleurs, toutes ces stratégies commerciales échappent de plus en plus à la vigilance des parents, la télévision n’étant plus le seul vecteur de ces campagnes de promotion. S’y ajoutent maintenant, les réseaux sociaux, les vidéos sur internet et même les jeux vidéo.

Cette enquête est aussi l’occasion de montrer les limites des engagements volontaires pris en 2007 par les industriels de l’agroalimentaire dans le cadre de “l’EU Pledge”.

Effectivement, ces industriels s’étaient engagés à limiter la publicité ciblant les enfants de moins de 13 ans, selon des critères très discutables. Une étude, parue dans la revue PLOS Oneavait comparé les critères de la charte “EU Pledge” à ceux de l’OMS, sur 2691 produits vendus en Europe. Moins de la moitié des produits (48%) s’étaient révélés inéligibles à la publicité avec les critères des industriels, alors qu’avec ceux élaborés par l’OMS, les ¾ des produits (68%) ne pouvaient plus faire l’objet de spots publicitaires.

De plus, dans le cas de la charte européenne des fabricants, la publicité et le marketing ciblant les enfants sont autorisés pour les pâtisseries, le chocolat, les confiseries et les sodas, tandis qu’avec les seuils de l’OMS, aucun de ces aliments n’obtient théoriquement cette autorisation. De même, les édulcorants ne sont pas inclus dans le “code de bonne conduite” EU pledge, alors que pour les experts de l’OMS, les produits contenant des édulcorants ne devraient pas être commercialisés auprès des enfants.

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L’ensemble de ces données montre qu’un engagement volontaire d’industriels est peu efficace, et qu’il faut une action politique forte pour interdire la surexposition des enfants à la malbouffe.

Pourtant, des lois ont été proposées en ce sens en France ?

Certaines n’ont jamais réussi à être votéesd’autres ne sont pas assez contraignantes. Nous ne sommes pas les seuls à le constater. Dans un rapport sur la prévention et la prise en charge de l’obésité (novembre 2019), la Cour des comptes souligne la nécessité pour la France “de se doter d’une régulation normative de la publicité pour enfant”. D’autres institutions françaises comme l’Inserm, Santé publique FrancejeInspection générale des affaires socialesont aussi conclu à la nécessité de légiférer. Aujourd’hui, nos décideurs manquent de courage politique.

Au Chili, il est interdit de mettre des mascottes sur les paquets de céréales

Il n’y a pas que les industriels de l’agroalimentaire qui freinent la mise en place de lois efficaces. L’industrie de l’audiovisuel mène aussi un lobbying actif. A-t-elle beaucoup à perdre ?

Il y a quelques années, une étude a estimé les pertes prévisibles pour l’audiovisuel, en cas d’interdiction de la publicité des produits délétères sur la santé des enfants. Ce coût financier a été évalué à un peu moins d’un million d’euros. Ce chiffre peut être mis en perspective avec le surcoût sociétal de la surcharge pondérale, calculé par la Direction générale du Trésor en 2016 – pour l’année 2012 – et estimé, lui, à plus de 20 milliards d’euros.

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Y a-t-il des pays qui font mieux que la France ?

Oui, de nombreux pays, comme le Chili ou le Mexique, ont une législation très offensive sur ces sujets.

Par exemple, au Chiliil est interdit de mettre des mascottes sur les paquets de céréales. Plus près de nous en Europe, la Norvège est un pays exemplaire. En 2012, elle a interdit la publicité destinée aux enfants, à la radio et à la télévision. En juin 2023le Parlement norvégien a durci la loi avec une interdiction stricte de la publicité pour les aliments et les boissons déséquilibrés, ciblant les moins de 18 ans. Cette loi entrera en vigueur en 2024. Parallèlement, elle a voté une interdiction des ventes de boissons énergisantes au moins de 16 ans. La France a donc des exemples sur lesquels s’appuyer pour légiférer !



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