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Le roman sans titre – À la recherche d’«Equal-Parallel: Guernica-Bengasi», la sculpture perdue de Richard Serra.

Le roman sans titre – À la recherche d’«Equal-Parallel: Guernica-Bengasi», la sculpture perdue de Richard Serra.

Un roman pour un Richard Serra de perdu

Dans “Chef-d’œuvre”, le romancier espagnol Juan Tallón reprend l’affaire de la sculpture de 38 tonnes égarée par le musée Reina Sofia de Madrid. Éclatant.

Le point de départ du roman “Chef-d’œuvre” de Juan Tallón paraît plus relever d’un tour de passe-passe surréaliste que du minimalisme monumental dont le sculpteur Richard Serra s’est fait une spécialité. Comment le musée Reina Sofia de Madrid a-t-il pu égarer les 38 tonnes d’acier d'”Equal-Parallel: Guernica-Bengasi”, œuvre en quatre pièces plutôt encombrantes ?

Commanditée en 1986 à l’artiste américain pour l’une des premières expositions temporaires du centre d’art alors édifié à Madrid, autour de l’ancien hôpital San Carlos de la fin du fin XVIIIe siècle, la création refait surface en 1990, avant de se retrouver reléguée sur un site de stockage géré par une entreprise privée. Plus personne ne s’y intéresse jusqu’en 2005, date à laquelle la directrice Ana Martinez de Aguilar cherche à remettre la main sur la sculpture.

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Non seulement les fichiers – manuscrits – de l’institution muséale s’avèrent lacunaires, mais l’entreprise qui en avait la charge a déjà déposé le bilan depuis longtemps, notamment en raison de prestations non remboursées par l’État ! Cette affaire, révélée en 2006 par la presse espagnole, est au cœur du récit fragmenté de Juan Tallón, journaliste et romancier qui trouve une forme originale pour évoquer les multiples méandres de ce mystère, et bien plus encore.

Sorte de fiction documentaire, “Chef-d’œuvre” ne cherche pas à rendre compte de façon linéaire et chronologique de ce fait divers de l’art contemporain, mais en éclate au contraire les tenants et aboutissants en donnant tour à tour la parole à plus de 60 narrateurs, tous impliqués – de près ou de très loin – dans cette disparition ou, à tout le moins, liés à l’art de Richard Serra ou au paysage administratif et politique de l’Espagne. La plus ancienne narration date de 1972 et donne la parole au sculpteur, narrateur récurrent. L’intervention la plus récente est de 2020 et provient de… Juan Tallón lui-même qui, comme il l’écrit dans sa note, assure que ce roman est un “mélange permanent d’imagination et de réalité”. “Aucune des deux, seule, ne m’aurait permis d’écrire ce livre.”

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Parmi les voix qui défilent selon une chronologie éclatée, on trouve aussi bien une gardienne de musée, un juge d’instruction, un conseiller à la Culture de Madrid que le compositeur Philip Glass, ami et collaborateur de l’artiste américain, l’architecte Jean Nouvel ou le galeriste Larry Gagosian. Ces points de vue multiples finissent par former une mosaïque où plusieurs hypothèses, des plus scientifiques au plus fantasmatiques, paradent – la plus vraisemblable serait que des voleurs aient découpé l’œuvre pour revendre l’acier au poids.

Mais, de cette kyrielle de microrécits parfois inattendus (une programmatrice informatique, un ferrailleur ou un chauffeur de taxi), formant une sorte d’enquête qui n’est pas sans rappeler le procédé de Roberto Bolaño dans “Les détectives sauvages”, on apprend aussi beaucoup de choses sur Serra lui-même. Sur ses débuts par exemple, alors qu’il utilise encore du caoutchouc trouvé au rebut ou du plomb fondu projeté sur les murs, sur ses influences, sur son éthique… Intrigant et documenté, ce livre éclaté s’avère aussi assez éclatant.

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L’original n’a en tout cas jamais été retrouvé et c’est sa réplique qui trône désormais au Reina Sofia, musée qui n’indique toujours pas sur son site l’histoire mouvementée de l’œuvre.

“Chef-d’œuvre”, Juan Talon, Ed. Le bruit du monde, 330 p.

Boris Senff travaille en rubrique culturelle depuis 1995. Il écrit sur la musique, la photographie, le théâtre, le cinéma, la littérature, l’architecture, les beaux-arts.

Plus d’infos @Sibernoff

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