Nouvelles Du Monde

Le rap francophone et son impact sur les ados : entre fascination et questionnement

Le rap francophone et son impact sur les ados : entre fascination et questionnement

C’est un phénomène auquel on ne peut échapper si l’on est parent d’adolescents. Le rap francophone est partout : sur les listes de lecture Spotify qu’ils écoutent, dans les festivals estivaux qui le présentent, même sur Netflix, avec les saisons 1 et 2 de l’émission Nouvelle école qui cherche les perles du rap de demain. Et là, en accompagnant les enfants dans cette découverte, dans un esprit de partage et d’ouverture (aussi pour se préparer aux festivals estivaux où nous devrons les accompagner lors des soirées rap), c’est un choc, un coup de vieux, une déception morale. En écoutant les paroles d’artistes tels que Jul, Soso Maness, Koba LaD, Niska, Shay ou SCH, on ne comprend d’abord rien au vocabulaire. C’est normal, c’est générationnel. Mais quand on le “comprend”, en tant que parent, on est perplexe. Entre l’ado confortable qui explique ce que signifient “bail”, “matrixer” ou “moula” tout en assurant que Damso (ndlr : qui est belge), en réalité, n’est pas aussi vulgaire que dans ses textes, et le petit frère qui chante à tue-tête le refrain de Faut que j’la chope de Fresh, qui a remporté la saison 1 de Nouvelle école, il y a de quoi se poser une question légitime : nourri par le triptyque deal, fric et flingue, dégoulinant de virilité et de vulgarité entre deux clichés sexistes, est-ce que le rap francophone, qui cartonne certes dans les cours d’école, est vraiment fait pour leurs oreilles ? Des clés de compréhension et une esquisse de réponse avec Benjamine Weill, philosophe et auteure d’un ouvrage passionnant sur le sujet : À qui profite le sale ? Sexisme, racisme et capitalisme dans le rap français (Éd. Payot). La spécialiste, imprégnée de rap depuis trente ans, invite à découvrir sa diversité au-delà des clichés.

Lire aussi  La Semaine Sainte a clôturé la saison en beauté et Previaje 4 suscite des attentes

Qu’entend-on lorsque l’on dit que le rap est “sale” ? Benjamin Weill : Le mot “sale” a une polysémie dans le rap. Faire du rap sale, du “son sale”, cela peut signifier que c’est bon. Mais il y a aussi “faire du sale”, ce qui est devenu plutôt compris comme transgressif sur le plan moral. Aujourd’hui, on a tendance à mettre en avant l’aspect négatif, alors qu’il y a aussi une dimension positive au sale, qui consiste à se réapproprier les stigmates, à faire du beau à partir du sale. Bien que la transgression fasse partie de la culture hip-hop dont est issu le rap, cette tendance actuelle autour d’une certaine saleté n’est pas non plus l’ADN de tout le rap.

La vulgarité fait-elle partie de son ADN ? Oui, entre autres, mais cette vulgarité ne concerne pas que le rap, même si on a tendance à se focaliser là-dessus. Il ne faut pas oublier que Renaud, par exemple, était aussi vulgaire. La chanson a toujours été un espace – ce que j’ai d’ailleurs toujours expliqué à ma fille, qui a maintenant 21 ans, lorsque nous confrontions nos rapports – où la vulgarité a sa place. De la même manière que nous apprenons à adapter différents niveaux de langage en fonction des situations, il est important, en termes d’éducation, de savoir qu’il y a des choses qui peuvent être dites dans une chanson mais qui ne doivent pas être dites dans la vie réelle.

Lire aussi  Alberto Fernández, critique en Inde : "C'est le quatrième G20 auquel je participe, et nous n'avons pas résolu les problèmes"

Justement, en tant que parents, nous avons parfois l’impression que les adolescents ne se rendent pas compte de la vulgarité de ce qu’ils chantent… À l’adolescence, il y a quelque chose qui résonne à cet endroit-là, dans la confrontation avec les adultes. En tant que parents, nous avons tendance à oublier cela. Quand j’avais 14 ans, en 1993, nous écoutions et chantions Elmer Food Beat (groupe de rock français aux paroles plutôt grivoises), ce qui n’était pas tellement mieux, mais cela ne faisait pas autant polémique. Je pense que lorsqu’on est adolescent, on a besoin de vulgarité pour pouvoir aborder le sujet du sexe notamment, car le sexe est omniprésent et il faut pouvoir l’apprivoiser. À travers le rap, il y a quelque chose de cru, ce qui fait que nous nous l’approprions un peu plus facilement.

Une vulgarité qui frôle parfois le sexisme, n’est-ce pas ? Le sexisme est présent comme partout ailleurs, il n’est pas spécifique au rap. C’est une vulgarité qui a un sens, qui est sauvage, mais qui n’est pas nécessairement misogyne. Mais depuis le début des années 2000, il est devenu l’étendard du rap, avec une focalisation médiatique sur les clichés sexistes, jusqu’à la caricature.

Pourriez-vous expliquer ? À l’origine, ce courant musical n’était pas caricatural. Il était transgressif, il pouvait être vulgaire, sexuel sans forcément être sexiste. Cela a commencé au début des années 2000, lorsque le rap a commencé à se vendre. Il y a eu un intérêt à promouvoir les caricatures, en poussant cela à l’extrême, jusqu’à aujourd’hui où le rap est devenu totalement mainstream. C’est la musique qui se vend le plus, donc qui devrait normalement être considérée comme le mouvement musical artistique le plus reconnu. Mais son caractère mis en avant sexiste et vulgaire est marketé pour être le grand méchant loup.

Lire aussi  Comment les afrobeats sont devenus l'un des genres musicaux les plus populaires aux Pays-Bas

D’où vient cette injonction à une virilité exacerbée, avec les femmes réduites à des objets ou au rôle de mères sacrificielles ? Cette dichotomie entre la mère et la putain, ce n’est pas le rap qui l’a inventée. Nous sommes face à un sexisme relativement banal, non pas parce qu’il est trivial ou sans importance, mais parce qu’il est largement répandu. L’industrie du rap et des médias du rap était principalement dominée par des hommes imprégnés de ce sexisme banal. Cela s’est exacerbé à travers le rap, car il y a des enjeux systémiques que j’explique justement dans le livre : qui détient les moyens de production ? Pourquoi et à qui cela profite-t-il ?

Des conseils pour les parents ? Continuer à discuter avec les jeunes de pourquoi ils aiment ce genre de rap, éviter de juger autant que possible et de censurer. En termes de construction identitaire, il y a quelque chose qui résonne très fort entre le rap et les adolescents du côté du rythme, qui les touche profondément. Nous avons aussi tendance à oublier que le rap a une fonction un peu thérapeutique, presque cathartique : dire “je suis un caillera et je vais faire des choses horribles”, c’est aussi une manière pour les adolescents d’exorciser leur colère, leur envie de tout détruire sans avoir à le faire.
#rap #estil #trop #sale #pour #les #ados
publish_date]

Facebook
Twitter
LinkedIn
Pinterest

Leave a Comment

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

ADVERTISEMENT