Environ à la moitié du spectacle, qui dure 2h20, un sketch met en scène le Dr Morel en train de prélever des organes. Mais le sketch est tronqué car l’acteur principal, Laurent Deshusses, se remet d’une opération pour laquelle le chirurgien était précisément le Dr Morel (quelle coïncidence étrange).
La prise de conscience prend six jours
Le 12 octobre, le Dr Morel quitte le Casino Théâtre visiblement troublé, n’ayant pas encore réalisé à quel point le sketch était “hautement blessant et humiliant”, portant atteinte “à sa réputation d’homme honnête et professionnelle”, le dépeignant “comme un médecin vénal, sans scrupules et sans égard pour ses patients” (allégué 78).
Toujours selon les documents présentés par le Dr Morel et son avocat, avant une audience le 13 novembre devant le Tribunal de première instance.
La prise de conscience a lieu six jours plus tard, le 18 octobre. Ce soir-là, le Dr Morel assiste une deuxième fois à la Revue, cette fois à l’invitation du Conseil municipal de Vandoeuvres (allégué 81).
C’est un choc.
“L’atteinte [à la personnalité] est d’autant plus aiguë que le Sketch en question est joué presque chaque soir, parfois deux fois par jour, devant le public genevois, pendant plus de deux mois” (allégué 70) et que la Revue “jouit d’une très grande popularité auprès du public genevois et d’une visibilité importante dans les médias romands” (allégué 58).
Un huissier se transporte
Il se passe six jours de plus avant que le Dr Morel, “encore sous le choc de cette humiliation publique” (allégué 82), ne contacte son avocat. Nous sommes le 24 octobre. L’avocat réagit vivement. Il prend son téléphone et envoie à la Revue un “huissier judiciaire près les Tribunaux de la République et Canton de Genève” (allégué 83).
“À cet effet [relever certains passages du spectacle], je me suis rendu ce jour [26 octobre] à 19 heures 30 au Casino-Théâtre, rue de Carouge 42,1205 Genève, où j’ai procédé aux constatations suivantes”, commence l’huissier dont le constat est annexé au dossier déposé le 3 novembre au greffe de la justice genevoise.
“Le rideau s’ouvre sur une scène composée d’une table d’opérations entourée par du personnel médical”, poursuit l’huissier dans son relevé du sketch “La greffe des soignants”. L’acteur Laurent Deshusses joue un médecin qui réalise une opération sur un patient conscient. (…) Environ à mi-chemin du sketch, Laurent Deshusses entame une chanson satirique intitulée “Les portes d’entrées des HUG”. Laurent Deshusses, incarnant le Professeur Morel, avertit un patient des HUG qu’il va mourir à l’hôpital et qu’il va récupérer son foie et sa cornée. Il ajoute ensuite qu’il ne réalise des greffes que sur des personnes qui peuvent payer.”
Un journaliste de Heidi.news va se faire dépecer
“Plus tard, Laurent Deshusses, toujours en incarnant le Professeur Morel, chante: “Toi le cheikh qui m’a payé quand je t’ai transplanté, tous les acomptes que tu m’as versés, on va les oublier”. Je précise que Heidi.news est mentionné explicitement dans le sketch, car l’un des intervenants autour de la table d’opération annonce l’arrivée d’un patient qui travaille chez Heidi.news.
Ainsi se termine le constat de l’huissier. Pour la suite, nous devons nous référer aux allégations de l’avocat, où une surprise nous attend.
“Par ailleurs, le 2 novembre 2023, M. Morel a eu une conversation téléphonique avec M. Frédéric Hohl, producteur de la Revue, pour exiger la suppression immédiate du sketch litigieux des prochaines représentations de la Revue” (allégué 86). Résultat? “M. Hohl s’est alors engagé verbalement à supprimer ledit sketch des futures représentations de la Revue” (allégué 87).
Étonnant! La Revue aurait-elle cédé à un simple coup de fil d’un élu MCG?
Lisant ces quelques lignes dans les documents transmis par la justice en vue de l’audience du 13 novembre, j’ai également appelé Frédéric Hohl le 10 novembre pour savoir ce qu’il était advenu du sketch. “Jamais de la vie”, m’a-t-il répondu. La Revue ne cède à aucune pression. Même lorsque le Vatican a demandé la suppression d’un sketch sur le Pape, nous avons tenu bon.
Un couplet modifié
Même le Pape, dans la Cité de Calvin… Bravo Genève, bravo la Revue, défendant la liberté d’expression et le rire salutaire!
Pourtant, le lendemain, le samedi 11 novembre, une journaliste de Heidi.news s’est également rendue au Casino-Théâtre du 42 rue de Carouge pour faire son propre constat. Il se trouve que dans la chanson de Laurent Deshusses, un couplet a été modifié.
Au lieu de:
“Toi le cheikh qui m’a payé quand je t’ai transplanté, tous les acomptes que tu m’as versés, on va les oublier”,
Laurent Deshusses, que les plus anciens se souviendront peut-être pour son rôle il y a 30 ans dans L’Ours Maturin et la Famille Wallace sur TF1 et la RTS, chantait désormais:
“Toi presse qui viens fouiner, tu fais un sale métier, tous les mensonges que tu as publiés, on va les oublier”.
Diable, le Dr Morel, surnommé “le chirurgien aux mains d’or”, a plus d’un tour dans son sac. Non seulement il a réussi, sans obtenir la “suppression immédiate du sketch litigieux”, à censurer en partie la Revue genevoise, mais il a également été nommé au Conseil d’administration des HUG par son parti, le MCG, le 13 décembre dernier.
Heidi.nouvelles aurait publié des mensonges? Nous maintenons toutes nos affirmations concernant la greffe du foie du patient émirati.
Et le résultat de l’audience du 13 novembre, où nous avons eu le plaisir de rencontrer Philippe Morel et ses avocats? L’ordonnance du 14 décembre du Tribunal de première instance, sur des mesures provisionnelles, donne raison à Heidi.news sur toute la ligne.
La partie adverse, qui n’osait apparemment pas attaquer la Revue, a tenté de faire porter à Heidi.news la responsabilité du sketch de Laurent Deshusses. Un échec.
Le Dr Morel cherchait surtout à profiter de l’occasion, ainsi que de la mention de son nom dans un éditorial du 7 octobre sur le candidat UDC vaudois au Conseil des Etats Michaël Buffat, pour obtenir par des mesures provisionnelles la suppression des articles de Heidi.news d’avril 2023 le concernant. Cela a également échoué.
Le tribunal a entre autres constaté que “M. Morel ne rend pas plausible que les articles litigieux (…) auraient eu des conséquences, en particulier sur son activité professionnelle de chirurgien ou sur l’échec de sa campagne électorale”.
Et également que “il y avait un intérêt public prépondérant à informer le public sur les événements révélés”, non seulement en raison des “ambitions politiques” de M. Morel, mais aussi “en raison [de ses fonctions] de médecin spécialisé en chirurgie générale et viscérale”.
Le Dr Morel continue de prétendre que les documents ayant soutenu l’enquête de Heidi.news sont des faux. Nous avons entrepris des démarches pour prouver le contraire.
