L’appli BeReal: quand le concept initial s’éloigne

Lancée en 2020, l’application qui permet de prendre une photo quotidienne, la plus naturelle possible, voulait se distinguer des autres plateformes. Mais face à la baisse du nombre d’utilisateurs, l’ajout de fonctionnalités poussant à la mise en scène l’éloignent de son concept initial.

Un samedi de juin, vers 17 heures. Thomas, étudiant en communication de 19 ans, se promène dans les rues de Nantes pour retrouver des amis au café, quand soudain une notification retentit sur son téléphone. Montée d’adrénaline, c’est l’application BeReal qui lui donne deux minutes chaque jour pour prendre un selfie de lui et de l’endroit où il se trouve. “C’est vraiment génial comme application, je peux savoir ce que font mes amis et surtout c’est moins chronophage que d’autres réseaux sociaux”, explique Thomas.

Le concept est très simple : au moment d’appuyer sur l’appareil photo, les caméras avant et arrière du téléphone se déclenchent simultanément. Une fois la photo prise, elle est ensuite partagée avec un réseau d’amis préalablement défini. Aucune modification n’est donc possible, le réseau social n’accepte pas non plus les anciennes photos de la galerie.

” Tout est faux et répétitif ”

“Des moments authentiques, sans jugement”, c’était la promesse de BeReal. Avec un selfie pris sur le vif, l’objectif était de partager la réalité de son quotidien, au supermarché, dans son lit, devant un film, la notification pouvant arriver à tout moment. Ce qui n’empêchait pourtant pas certains internautes de se comparer aux autres. “Je complexe trop BeReal, je vais te supprimer, tu me montres tous mes amis qui ont une vie sociale épanouie”, témoigne par exemple Zoé, une lycéenne active sur Twitter.

Trois ans après ses débuts, l’application connaît aujourd’hui la crise. Après avoir stagné un moment autour de 10 000 utilisateurs, début 2021, BeReal a réussi à fédérer jusqu’à 20 millions d’utilisateurs en juillet 2022, se plaçant dans le top 3 des applications les plus téléchargées en Grande-Bretagne et en France, en septembre. Mais la lassitude semble gagner une partie des utilisateurs : “BeReal c’est plus comme avant, maintenant tout est faux et répétitif, même les photos sont beaucoup moins drôles”, soupire Clémence, infirmière parisienne de 21 ans, qui a désinstallé l’application. Selon les données de Sensor Tower, les téléchargements mensuels auraient diminué depuis septembre, le nombre d’utilisateurs réguliers baissant de 61 % – de 15 millions en octobre, ils ne seraient plus qu’à peine 6 millions en mars 2023.

“Bonus BeReal”

De quoi inciter l’application à modifier ses règles, quitte à se détourner de son principe initial. Peu après son lancement, il a ainsi été rendu possible pour les utilisateurs ratant la notification de BeReal de poster une photo en retard, appelée “en retard”. En contrepartie, la photo est accompagnée d’une mention du retard. “Parfois je reçois la notification à un moment où je ne fais rien, alors j’attends d’être occupée pour prendre ma photo. Ça me permet de montrer que je fais quelque chose de ma journée”, confie Anna, étudiante de 17 ans à Paris. De plus, il est maintenant possible de poster jusqu’à deux photos supplémentaires le même jour. Appelées “Bonus BeReal”, elles peuvent être mises en ligne à n’importe quel moment de la journée.

Créé en 2020 par deux jeunes diplômés français de l’École 42, Alexis Barreyat et Kévin Perreau, BeReal compte encore ses fans. Certains utilisateurs ne peuvent pas se passer de cette application, à travers laquelle ils rivalisent avec leurs amis pour poster la photo la plus inattendue ou loufoque. “J’ai réussi à prendre une photo avec mon prof de maths en plein cours, c’était trop drôle, il n’avait pas compris le but alors on a dû lui expliquer pendant la pause”, rigole Léopold, élève de 16 ans dans le XIIIe arrondissement de Paris. Cela ne s’arrête pas aux portes des collèges et lycées. Gwenn, étudiante lyonnaise de 18 ans en droit, raconte avoir initié son père à la plateforme il y a quelques mois. “Ça me fait vraiment rire de voir qu’il se prend au jeu, il poste des photos sans vraiment comprendre pourquoi et réagit même aux miennes. Finalement BeReal, c’est hyper intergénérationnel !”
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