Le Télégramme: Une première greffe de larynx a été réalisée en France, en septembre. C’était à Lyon, sous votre supervision, Pr Badet. Comment va votre patiente aujourd’hui ?
Lionel Badet : Elle va bien. Comme attendu, elle a fait un rejet dans les 60 premiers jours. Mais il s’agit de l’histoire naturelle de tout greffé, on lui a donc donné des traitements immunosuppresseurs un peu plus forts. Maintenant, l’objectif est de pouvoir enlever la canule de trachéotomie, et qu’elle retrouve sa voix. On en saura plus dans un an. La greffe de larynx est intéressante car elle rentre dans un mouvement plus global qui est d’ouvrir l’activité de transplantation à la prise en charge de handicaps majeurs.
Votre équipe, à Lyon, a aussi été à l’initiative d’une greffe de deux bras chez un patient. Quelle est l’évolution de son état depuis l’opération, il y a presque trois ans ?
KG : Il va très bien même si, lui aussi, a subi un rejet assez sévère récemment. On a été obligés de le traiter en conséquence. Sa vie de tous les jours est transformée, il a retrouvé de l’autonomie. Mais il a toujours cette épée de Damoclès au-dessus de la tête : combien de temps va-t-il encore aller bien ? Est-ce que sa greffe va durer 10,15 ou 20 ans, ou moins longtemps ? Personne ne peut le dire.
KG : Un Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) est en cours à Lyon concernant la greffe de pénis. Le protocole a été lancé et je pense que dans les deux ans qui viennent, on pourra réaliser la première greffe. Elle vise à répondre à des amputations traumatiques liées à des accidents – on parle là de moins de dix personnes à l’échelon national – mais pas à de la réassignation sexuelle, bien que, techniquement, il soit possible de le faire. Il s’agit de deux problématiques totalement différentes. Il y a 20 ou 30 ans, si j’avais parlé de pratiquer une greffe de pénis, on m’aurait probablement pris pour un dingue. L’évolution de la société fait que de nouvelles questions se posent aujourd’hui, la difficulté reste de savoir où placer la barrière.
Des greffes de cœur de porc sur des humains ont déjà été pratiquées dans le monde. Verra-t-on bientôt des « xénotransplantations » de ce type réalisées en France ?
KG : Des CHU sont fers de lance dans ces activités, notamment celui de Nantes, mais cela ne signifie pas qu’elles vont avoir lieu tout de suite.
Yannick Le Meur : Effectivement, la xénotransplantation a une très longue histoire. À une époque, on y a cru, puis, des échecs retentissants ont conduit beaucoup d’équipes à abandonner. Mais pas à Nantes. Il y a un regain d’intérêt après des essais récents très médiatisés : des barrières ont été franchies, immunologiques principalement.
KG : Avec la revisite de la xénotransplantation en 2023, réapparaît un problème éthique qui n’avait pas du tout été posé il y a trente ans : a-t-on le droit d’asservir une population animale au développement du bien-être de l’humanité ? Cette question devient prégnante, notamment chez les jeunes générations. Mais peut-être que la xénotransplantation a un avenir limité et que d’autres choses prendront le dessus, à partir de l’ingénierie tissulaire, par exemple.
Le congrès de la Société francophone de transplantation (SFT) se déroule jusqu’à ce vendredi à Brest. Y a-t-il des innovations d’envergure mondiale qui vont être présentées ?
YLM : Une communication importante du Pr Gilles Blancho est attendue sur un nouveau traitement anti-rejet développé à Nantes, qui peut avoir un impact majeur dans les années à venir, dans toutes les greffes. Il s’agit d’un anticorps qui ne présente pas de côté toxique en particulier pour le rein.
KG : Cet anticorps arrive à maturité, suite à l’agrégation de près de 25 ans de travail, à l’image du fonctionnement de la SFT qui s’appuie sur une lente accumulation de connaissances qui nous permet d’améliorer la qualité de vie et la prise en charge des patients, la lutte contre le rejet aigu, le rejet chronique, etc.
Y. L. M. : Il n’y a peut-être pas d’innovations majeures lors de ce congrès. Il permet néanmoins la présentation de nouveaux antiviraux qui arrivent pour traiter les complications liées à la transplantation, des procédés de désimmunisation pour greffer des patients ingreffables à cause d’anticorps préexistants, et des techniques chirurgicales nouvelles, et de préservation de greffons. Pour nous, au CHU de Brest, c’est l’occasion de se mettre au point sur ce que font les autres centres en France.
Que pratique-t-on comme type de greffe à Brest ?
YLM : On a une activité de transplantation assez faible ici à Brest. On ne greffe que le rein, avec un pourcentage de donneurs vivants de 20 %. On répond aux besoins de la population, avec 50 à 60 actes par an. Nos délais d’attente sont d’ailleurs plus faibles que dans le reste de la France, entre un an et deux ans pour les patients les plus faciles à greffer. Concernant la greffe de foie, le CHU le plus proche est à Rennes, tandis que le poumon et le cœur se font plutôt du côté de Nantes.
Le monde de la transplantation est-il aussi touché par la grave crise de l’hôpital public ? Pourra-t-on répondre à tous les besoins à l’avenir ?
YLM : Aujourd’hui, maintenir un programme de transplantation comme celui qui est en place en France, est un challenge quotidien. On rencontre de grosses difficultés à greffer des patients, suite à un manque de disponibilité d’organes et de problèmes d’organisation et de personnel dans les hôpitaux. Les objectifs définis par le Plan greffe vont être compliqués à tenir.
KG : La SFT soutient des projets de recherche et les jeunes générations pour que demain, elles nous remplacent. Il faut les accompagner au mieux, car les filières de la transplantation sont une activité publique, où l’on gagne moins bien sa vie que dans le privé, avec beaucoup de contraintes de travail de nuit, d’astreinte, et de garde, et de gestion des plateaux techniques.
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2023-12-07 18:41:56