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La crise de l’énergie en Europe : une embellie durable ou éphémère?

La crise de l’énergie en Europe : une embellie durable ou éphémère?

La crise énergétique est-elle vraiment terminée malgré la guerre en Ukraine et les conflits impactant le commerce international, en particulier en mer Rouge ? Alors que les navires qataris transportant du gaz vers l’Europe s’éloignent du canal de Suez pour emprunter une route plus longue et coûteuse, les prix du gaz continuent de chuter sur le marché européen. Même la vague de froid habituellement porteuse d’une augmentation de la demande n’a pas réussi à inverser cette tendance. Les prix ont ainsi retrouvé leur niveau d’avant la crise, bien que les livraisons de gaz russe, principal fournisseur de l’Europe avant 2022, n’aient pas repris.

En effet, le prix du gaz sur la principale bourse d’échange européenne, appelée TTF (Title Transfer Facility) , a chuté à 28 euros le mégawattheure (MWh) le 19 janvier 2024. Cela représente loin des 55 euros/MWh de novembre 2023, mois à partir duquel la baisse a été quasi-continue. Pour rappel, fin août 2022, un pic avait été atteint avec 277 euros/MWh, avant que les cours ne fluctuent entre 80 et 50 euros/MWh pendant toute l’année 2023.

De plus, sur le marché à terme, où les transactions sont établies pour une livraison future, la situation se normalise. Le 18 janvier, 1 MWh de gaz livré en février ou mars 2024 s’échangeait à moins de 29 euros. Pour l’hiver 2025, il fallait compter 33,5 euros/MWh, un montant proche des niveaux d’avant 2021. En comparaison, fin 2022, en pleine tempête, 1 MWh de gaz commandé pour le premier trimestre de 2023 s’échangeait à 144 euros. “Nous ne nous attendions pas du tout à un tel retournement de situation il y a un an”, a déclaré à La Tribune un analyste des marchés de l’énergie.

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Chute de la consommation

Mais pourquoi une telle accalmie ? Comme pour l’électricité, celle-ci vient d’abord de la baisse frappante de la demande de gaz, qui rassure les marchés malgré les tensions sur l’offre. Selon un rapport trimestriel de la Commission européenne sur le marché du gaz, la consommation de gaz de l’UE a diminué de 8% sur un an. D’avril à juin 2023, elle a encore diminué (à 65 milliards de mètres cubes) et est restée inférieure à la fourchette de consommation quinquennale de 2017 à 2021.

Un mois plus tôt, en novembre 2023, l’exécutif bruxellois avait d’ailleurs fait savoir que les Vingt-Sept avaient réduit leur demande de gaz de 18% par rapport à la moyenne des cinq dernières années, pour des raisons “en grande partie structurelles”. L’Agence internationale de l’énergie a également déclaré que la crise ukrainienne a “marqué un tournant” pour la consommation de gaz en Europe, qui “devrait encore baisser” davantage.

“Dès lors, le marché s’est vraiment détendu, car personne n’avait anticipé une chute pareille”, a commenté Nicolas Leclerc, cofondateur du cabinet de conseil en énergie Omnegy.

Selon les chiffres de l’institut Bruegel, l’utilisation de gaz en Europe a ainsi plongé de 12% en 2022, puis respectivement de 18% et 20% au premier et au second semestre de 2023 par rapport à la période 2019-2021. En juillet 2022, les États membres avaient convenu de réduire volontairement leur recours à ce combustible fossile entre août 2022 et mars 2023, de 15% par rapport à la moyenne quinquennale – un objectif dépassé.

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Moins de demande industrielle

Difficile, néanmoins, d’en identifier précisément les causes. La demande de gaz a diminué de 22% en moyenne en septembre 2023 par rapport à 2019-2021. La raison principale était la baisse de consommation des ménages en Allemagne (-43%, contre -25% en France), tandis que dans l’Hexagone, la chute de l’utilisation du gaz dans la production d’électricité (-46%, contre -16% en Allemagne) était la cause principale. Il est difficile de distinguer ce qui relève d’une meilleure efficacité énergétique, n’affectant pas la production, et ce qui pourrait s’apparenter à une “destruction de la demande” (les industriels qui ralentissent ou arrêtent des chaînes de production parce que l’énergie devient trop chère ou trop volatile).

Course au gaz naturel liquéfié

En parallèle, la détente provient de l’offre, notamment le passage au gaz naturel liquéfié (GNL) provenant du monde entier. En 2023, l’UE est devenue le plus grand importateur de GNL au monde avec une part de 22% des importations mondiales de GNL au 2e trimestre, devant la Chine (18%) et le Japon (15%). Les exportations américaines de GNL ont atteint des records en 2023, dépassant même le Qatar au niveau mondial. Malgré l’impact environnemental délétère de ces cargaisons, les exportations de GNL continuent d’exploser.

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Les réserves souterraines de gaz de l’Europe restent également à un niveau élevé, avec un taux de remplissage à 77,5% au 19 janvier selon les données de Gas Infrastructure Europe, contre 44% à la même période en 2022. Cette mesure a été prise immédiatement après l’invasion de l’Ukraine pour garantir un approvisionnement suffisant.

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Le plafonnement des prix de l’UE n’a pas permis l’accalmie

Reste à savoir si cette baisse des prix va durer, en raison des incertitudes géopolitiques. Au plus fort de la crise, les rustines politiques comme la promesse de l’UE de plafonner les prix du gaz n’ont pas permis une accalmie. C’est plutôt la baisse de la demande et l’augmentation de l’offre qui ont provoqué cette détente, des mesures potentiellement durables dans le temps.

En 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait promis de plafonner le TTF puis d’en sortir, en affirmant qu’un nouvel indice de référence le supplanterait “fin mars 2023” afin de “mieux refléter les prix”. “Ce n’est pas en changeant le thermomètre qu’on pourra faire baisser la température. Le problème de base, c’est qu’il y a un risque de demande supérieure à l’offre”, avait alors affirmé à La Tribune un fournisseur de gaz ayant requis l’anonymat, dénonçant un “effet d’annonce”. Un an plus tard et alors que le TTF n’est plus remis en cause, l’histoire lui a donné raison.

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